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Poèmes inachevés (Samain)/C’était une mondaine…

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Poèmes inachevésMercure de FranceŒuvres de Albert Samain, t. 3 (p. 265-267).

C’était une mondaine et charmante féerie.
Devant nous s’étendait le jardin frais et noir,
Et la table semblait, scintillante et fleurie,
Une grande fleur rose épanouie au soir ;


Les rires voltigeaient sur les lèvres ; des brises
Légères balançaient les branches indécises
Et faisaient frissonner des boucles de cheveux.
Tout était chatoyant, diapré, lumineux

Et cela ressemblait à ces fêtes exquises
Que l’âme de Watteau rêvait pour ses marquises.
Pour moi, j’en jouissais, songeant à part moi-même
Que le luxe est parfois joli comme un poème ;
Et mes yeux composaient un butin précieux,
Car tout étincelait : les bagues et les yeux,
Les cristaux, les satins, les lèvres, les sourires
Et le vin d’or captif dans l’argent fin des buires.
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Tout à coup le dessert éteignit ses éclats,
Et le dernier causeur finit son mot tout bas.
Debout, cambrant la taille et renversant la tête
Comme une jeune Muse invitée à la fête,
Vous chantiez comme il sied les soirs d’enchantements
Sous le ciel où tremblaient des pleurs de diamants.
Vous chantiez ; des échos s’éveillaient dans mon âme
Et, grave, j’écoutais ce qu’une voix de femme
Où l’art met le secret vibrant qu’il porte en lui
Ajoute de beauté frissonnante à la nuit !…

Telle je vous voyais…

Telle, longtemps avant, mes yeux d’enfant rêveur
Vous avaient vu passer au jardin de mon cœur.


Et ce fut un moment vécu loin de la terre,
La coupe de Thulé bue au seuil du mystère,
Quelque chose qui tend le cœur à le briser
Et que j’aurais voulu, pour mieux l’éterniser,
Mêler à la douceur divine d’un baiser.