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Poèmes inachevés (Samain)/Huit heures, la maison…

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Poèmes inachevésMercure de FranceŒuvres de Albert Samain, t. 3 (p. 281-284).

Huit heures, la maison fraîche semble sourire
Par sa vitre bien claire aux arbres du jardin.
Le rideau tremble au vent qui passe, et tout respire
La jeunesse que donne aux choses le matin.


La rue est calme encor, parfois dans le silence
Résonne un seau bruyant qu’on heurte dans la cour.
L’eau ruisselle aux pavés, et partout recommence
Le cours familier des besognes du jour.



Assise au piano, légère et délicate,
La taille mince encore et le torse fluet,
La fillette étudie une blanche sonate
Compassée et charmante ainsi qu’un menuet.


La robe noire avec un ruban de sagesse
Retombe en chastes plis autour du tabouret.
..............................
Sur ses tempes le bleu des veines transparaît.


Soigneuse elle s’applique et reprend et s’arrête
Quand l’accord malaisé trahit ses doigts nerveux ;
Alors d’un geste brusque et renversant la tête
Elle fait sur son dos ruisseler ses cheveux.


Et de ces airs caducs fleurant la bergamote
Monte un rêve de ciel tendre et de cristal pur ;
Une antiquaille en poudre y danse la gavotte
Et la divine enfance y sourit à l’azur.



Petites mains d’enfant sur les touches d’ivoire,
Jouez naïvement le vieux maître ingénu :
Tout frissonne et s’éveille au fond de la mémoire
Comme un bois plein d’oiseaux quand le jour est venu.


C’est l’alouette aux champs, c’est la chambre à l’aurore,
C’est le premier rayon aux tuiles du vieux toit,
C’est le rire argentin dans l’escalier sonore
Et l’eau bénite, encor tremblante au bout du doigt.


Et l’homme [.........................]
Poussant du fond de l’âme un soupir d’exilé,
Sent moins lourde à traîner sa besace de vices
Quand sur son cœur fiévreux cette eau pure a passé.


Il écoute et voici que de petites fées
Vont sautillant parmi les notes de cristal,
La source au bois jaillit et par douces bouffées
S’exhalent les parfums légers du ciel natal.



Petites mains d’enfant, jouez, douces mains pures,
Les andante tournés comme des madrigaux,
Cependant que la voix qui compte les mesures
Donne au cœur apaisé des battements égaux.


Au piano d’ébène accoudant ses bras roses,
L’Innocence aux grands yeux d’azur semble écouter,
Et l’on entend parfois dans le calme des choses
Ses grandes ailes d’or doucement palpiter.