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Poèmes inachevés (Samain)/Pendant qu’au loin la ville…

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Poèmes inachevésMercure de FranceŒuvres de Albert Samain, t. 3 (p. 275-279).

Pendant qu’au loin la Ville immense est endormie
Et qu’il n’en reste plus qu’un murmure dans l’air,
Monotone et pareil à celui de la mer,
Seul dans ma chambre, assis sur l’étroit lit de fer,
Ton portrait devant moi, je songe. — Et l’accalmie


De l’Heure solennelle où flottent doucement
Des brises qu’on dirait des ailes de pensées
Descend en moi du fond des ombres étoilées.
Et le souvenir pur des délices passées
Brûle comme un flambeau sous le noir firmament.



Rares, des bruits de pas s’éloignent par les rues……
Et je sens peu à peu l’Amour .........
Dans mon cœur solitaire entrer comme un poinçon,
Pendant qu’autour de moi, avec un long frisson,
Tournent rêveusement les Robes disparues.


Je songe… Une voix tendre a chanté dans la nuit
Faite des mille voix de jadis étouffées.
Dans l’ombre, comme un chœur aérien de fées,
Les Heures d’autrefois, de tes chapeaux coiffées,
Défilent tour à tour dans mes yeux de minuit.


Vivace et palpitant sous les souffles nocturnes
Mon amour sensitif s’éveille de nouveau.
Tel un lys, à midi, tranché par le couteau,
Qui se redresse pur et frissonnant dans l’eau.
Et voici déborder en moi les vieilles urnes,



Les urnes de mon cœur fier et mystérieux
Qu’emplissait, chaque soir, de tendresse vivante
Une mélancolique et fidèle servante,
Et que je renversais à tes pieds nus d’amante
Pendant que tu m’ouvrais les jardins de tes yeux.


Tes beaux yeux vivants là sous la lampe et ta bouche
Riche comme un beau fruit d’automne ruisselant,
Ta bouche et l’arc de ton sourire étincelant.
Tes yeux, ta bouche… Ô mon trésor ensorcelant !…
Ô pauvre cœur plein d’ombre où ton soleil se couche !…


Moi, sans sonner à faux quelque beau désespoir,
Je redescends tout seul la colline fanée,
Et j’écoute — là-bas — pâle et l’âme inclinée,
Le dernier Angelus de la Douce Journée
Tomber comme une larme au cœur souffrant du Soir ;



Et je sens tout en moi tomber pesant et morne
Le crépuscule noir qui couvre le chemin.
Je suis trop las d’hier pour commencer demain ;
Si tu passais encor, je baiserais ta main…
Et je reste à t’attendre on dirait sur la borne.


Parfois même je crois voir la porte s’ouvrir,
Et toi surgir vivante en robe d’espérance.
Ô grand enfant frileux, câlin, d’âme en souffrance,
Fou qui grelotte au noir de ton indifférence
Et cherche un peu d’amour ancien pour se couvrir.


Des reliques sont là — tout cela qui se sème
Le long du beau pèlerinage aventureux
..................
..................
Fruits tombés ramassés aux Jardins où l’on s’aime.



Passé, Fantôme ailé des lettres, des chiffons,
Subtil comme un parfum, léger comme une flamme,
Et qui joue à pleurer au violon de l’Âme
La male-chanson bleue, la chanson de la femme,
Faite de nerfs cassés et de sanglots profonds.


Ton portrait devant moi sous la lampe… Et je sombre,
Et j’ai beau plonger l’œil jusqu’au fond du ciel noir,
Rien pour me consoler n’en descendra ce soir
.......... et je sens, sans le voir,
Quelque chose couler sur ma face dans l’ombre.