Poètes Moralistes de la Grèce/Autres Sentences attribuées à Phocylide
Poètes Moralistes de la Grèce, Garnier Frères, 1892 (p. 277-293).
Ne contracte pas de mariage furtif et scandaleux ; ne te livre pas à des amours infâmes.
Ne trame point de ruses, ne trempe point tes mains dans le sang.
Sache vivre de ce que tu as justement acquis : méprise les richesses que procure l’iniquité. Content de ce que tu possèdes, abstiens-toi de ce qui ne t’appartient pas.
Dans tout ce que tu dis, sois l’interprète de la vérité : ne permets pas à ta bouche le mensonge.
Que tes premiers respects soient pour les dieux, les seconds pour tes parents : accorde à chacun ce qui lui est dû, sans jamais te laisser corrompre.
Ne rebute point le pauvre. Que tes jugements soient dictés par la justice. Si tes jugements sont iniques, tu seras jugé par Dieu même à ton tour.
Aie le faux témoignage en horreur. Que ta langue soit l’organe de l’équité.
Respecte la virginité : conserve toujours la bonne foi.
Tiens scrupuleusement la balance égale ; ne la laisse pencher d’aucun côté.
Crains en tout les extrêmes. En quelque chose que ce soit, la beauté résulte de la justesse des proportions.
Si tu prêtes un faux serment, ton ignorance même ne te servira pas d’excuse ; quel que soit le parjure, la haine de Dieu le poursuit.
N’enlève pas les semences du laboureur ; tout ravisseur est l’objet de l’exécration publique.
Ne retiens pas la récompense de l’homme laborieux. Garde-toi d’opprimer le pauvre.
Que ton jugement conduise ta langue ; ensevelis ton secret dans ton sein.
Non content d’être juste, ne permets pas l’injustice.
Donne à l’instant au malheureux ; ne lui dis pas de revenir le lendemain et souviens-toi que c’est à pleines mains qu’il faut donner à l’indigent.
Sers de guide à l’aveugle ; ouvre ta maison à l’exilé.
Toute navigation est incertaine ; prends pitié du malheureux qui a fait naufrage.
Présente la main à celui qui tombe ; sauve l’infortuné qui ne peut trouver d’appui. La douleur est commune à tous les hommes. La vie est une roue et la félicité n’a rien de stable.
Si tu possèdes des richesses, partage-les avec les malheureux et que l’indigence reçoive sa part de ce que Dieu t’a prodigué.
Pussent tous les hommes n’avoir qu’un sentiment, une fortune, une vie !
Tiens l’épée pour te défendre et non pour frapper et plût à Dieu que tu n’eusses jamais besoin de t’armer, même pour une juste cause, car tu ne peux donner la mort à l’ennemi, que tes mains ne soient souillées.
Ne traverse pas le champ de ton voisin, et respecte son héritage ; en tout la modération est belle en tout la transgression est condamnable.
Respecte dans la campagne le fruit qui n’est pas encore mûr.
Accorde aux étrangers les mêmes égards qu’à tes concitoyens. Nous sommes tous également soumis à l’infortune et la terre elle-même n’offre point à l’homme un sûr appui.
L’avarice est la mère de tous les crimes. C’est l’or qui conduit et qui égare les hommes. Funeste métal, que tu es un guide infidèle ! Toi seul causes notre perte ; par toi seul tout est renversé. Plût aux dieux que tu ne fusses pas devenu pour nous un mal nécessaire ! C’est à toi que nous devons les combats, les rapines, les massacres ; par toi les pères ne trouvent que de la haine dans le cœur de leurs enfants ; par toi, les frères deviennent les ennemis de leurs frères.
N’aie point un sentiment dans ton cœur, un autre sur tes lèvres. Ne ressemble point au caméléon qui change de couleur comme de place.
L’homme volontairement injuste est atroce. Je n’ose en dire autant de celui qui obéit à la nécessité, mais sonde bien le cœur du mortel que tu vois agir.
Ne t’enorgueillis ni de tes richesses, ni de ta force, ni de ta sagesse. Dieu seul est sage, seul il est riche et puissant.
Compatis aux malheureux ; ne sois pas ébloui de l’éclat des grandeurs. L’excès du bien même est funeste aux mortels : plongés dans les délices ils recherchent de nouvelles voluptés. La trop grande richesse conduit à l’orgueil et produit l’insolence. La chaleur du sang dégénère en manie : la colère est un mouvement passager ; mais exaltée, elle devient fureur.
Que les maux qui sont passés ne troublent point ton âme. Il est impossible que ce qui est fait ne le soit pas.
Sache commander à ta main et mettre un frein à ta colère. Trop souvent celui qui frappe devient meurtrier malgré lui.
L’émulation des hommes honnêtes est louable ; celle des méchants est funeste.
L’audace est pernicieuse dans les méchants ; elle est d’un grand secours à ceux qui veulent faire le bien.
L’amour de la vertu est honnête ; l’amour charnel ne conduit qu’à la honte.
L’homme d’un caractère aimable et doux fait le bonheur de ses concitoyens.
N’envie pas le bonheur de tes égaux : ils ont des défauts, n’aie que de l’indulgence. C’est la félicité des dieux de ne pas connaître l’envie. La lune n’est pas jalouse de la clarté plus brillante du soleil ; la terre, contente de sa place, n’ambitionne pas la hauteur des cieux ; les fleurs ne disputent pas de grandeur avec les mers : tout est uni dans la nature par une concorde éternelle. Si la discorde se mettait parmi les dieux le ciel serait renversé.
Mange, bois, parle avec mesure. Conserve en tout la modération, en tout évite l’excès.
Fuies toute action honteuse et conserve la tempérance. Ne suis point de dangereux exemples et ne repousse l’injustice que par l’équité.
La persuasion produit les plus grands biens. Les querelles et les plaintes n’engendrent que les plaintes nouvelles.
Ne crois pas légèrement. Considère d’abord quel est le but de celui qui te parle.
Il est beau de l’emporter en beaucoup de choses, même sur ceux qui font le bien.
Il vaut mieux offrir à l’instant à son hôte une table frugale que de le faire attendre pour lui donner, peut-être à contre-cœur, un repas splendide.
Ne sois pas pour le pauvre un créancier rigoureux.
N’enlève point à la fois tous les oiseaux du nid, respecte au moins la mère pour avoir encore des petits.
Ne permets point à l’ignorant de remplir les fonctions de juge.
Il n’appartient qu’au sage d’enseigner la sagesse et qu’à l’artiste de prononcer sur l’art.
L’ignorant est incapable d’entendre les choses élevées ; on n’est propre à rien quand on n’a pas cultivé son esprit.
N’attire pas dans ta société de flatteurs parasites ; ils n’aiment que la bonne chère, achètent un bon repas par leurs lâches caresses, se piquent aisément et ne sont jamais satisfaits.
Ne mets pas ta confiance dans le peuple ; il est toujours inconstant. Le peuple, le feu et l’eau ne peuvent être domptés.
Conserve la modération, même dans les sacrifices que tu offres aux dieux.
Accorde un peu de terre aux morts privés de sépulture et ne trouble point la paix des tombeaux. Ne montre point au soleil ce qui doit être caché et n’attire point sur ta tête la vengeance divine.
Sera-t-il permis à l’homme de dissoudre ce qui fut lié par le Créateur ? Nous croyons qu’un jour les reliques des morts sortiront de la terre, reparaîtront à la lumière et seront réunies au rang des dieux. Dans les cadavres pourrissants les âmes sont incorruptibles, car l’esprit est l’image de Dieu qui ne fait que le prêter aux mortels. C’est de la terre que nous recevons nos corps. Ils doivent se résoudre en terre et ne seront plus qu’une vile poussière. L’esprit sera rendu à l’air pur dont il est formé.
N’épargne pas tes vaines richesses. Souviens-toi que tu es mortel. Jouirons-nous de nos richesses dans les enfers, emporterons-nous nos trésors ?
Tous les morts sont égaux et Dieu commande aux âmes. Tous seront reçus dans les demeures éternelles, tous auront une commune patrie et les mêmes lieux attendent et les pauvres et les rois.
Mortels nous avons peu de temps à vivre ; quelques instants nous sont accordés, mais l’âme n’éprouvera pas de vieillesse et jouira d’une éternelle vie.
Ne te laisse pas accabler par le malheur ni transporter pas les événements heureux. Il faut se défier souvent dans la vie de ce qui paraît le plus assuré.
Apprends à te conformer aux circonstances et ne souffle pas contre le vent. Un instant amène la douleur, un instant amène la consolation.
La raison est une arme plus pénétrante que le fer.
Dieu a distribué des armes à tout ce qui existe. L’oiseau a reçu la vitesse et le lion la force, le taureau se défend par ses cornes et l’abeille par son aiguillon. La raison est la défense de l’homme.
La sagesse est inspirée par Dieu même. Rien n’est supérieur à la raison qui le conduit. L’homme qui n’a que de la force ne peut se mesurer avec le sage. C’est la sagesse qui règle les travaux du laboureur, c’est elle qui régit les cités, elle qui dompte les mers.
Ne te pique pas d’une ambitieuse et bruyante éloquence. Ne cherche pas à briller par tes discours, mais à les rendre utiles.
C’est se rendre coupable que de cacher un scélérat et de procurer au crime l’impunité. Dévouer le méchant à la haine, voilà notre devise : vivre avec des criminels, c’est s’exposer à mourir avec eux.
Ne reçois point en dépôt le butin du brigand. Celui qui vole et celui qui recèle sont coupables du même crime.
Use sobrement de ce que tu possèdes, et, par de folles profusions, ne te condamne pas toi-même à l’indigence.
Ne rassemble pas en plus grand nombre que tu n’en peux nourrir de ces animaux qui aident l’homme à tirer de la terre sa subsistance.
Distribue à chacun la portion qui lui est due ; rien n’est préférable à l’équité.
Remets dans son chemin le voyageur qui s’égare ; arrache à la fureur des flots les malheureux qu’ils vont engloutir.
Relève même le cheval de ton ennemi mortel qui est tombé sur la route. Il est bien doux d’acquérir un ami sincère dans la personne de son ennemi.
Ne compose pas de poisons ; ne consulte pas de livres de magie.
Coupe le mal dans sa racine ; guéris la plaie avant qu’elle soit envenimée.
Ne mange point d’animal égorgé pas d’autres animaux ; abandonne aux chiens ces restes impurs. C’est aux bêtes féroces à se dévorer mutuellement.
Respecte la pureté des tendres vierges ; ne leur prends pas même la main avec violence.
Lorsque la guerre s’allume, fuis les querelles et les dissensions.
Ne te nourris pas des restes d’une table étrangère. Dois à toi-même ta subsistance et ne l’achète pas au prix de l’ignominie.
Ne verse pas tes bienfaits sur les méchants ; c’est semer sur les vagues de la mer.
Travaille ; tu dois payer ta vie par tes travaux. Le paresseux fait un vol à la société.
N’as-tu pas appris de métier, va donc bêcher la terre. Donne-toi de la peine, tu ne manqueras pas de travaux. Veux-tu te livrer à la navigation ? Les mers te sont ouvertes. Veux-tu trouver des occupations champêtres ? Les campagnes sont assez vastes.
Sans le travail rien n’est facile à l’homme, ni même aux immortels : le travail ajoute encore à la vertu.
Lorsque les fruits des campagnes dépouillées par le tranchant de la faucille viennent de récompenser les travaux du laboureur, les fourmis quittent leurs demeures souterraines et reparaissent chassées de leurs retraites par le besoin ; elles recueillent les grains d’orge ou de froment abandonnés dans les guérets, et la fourmi, qui traîne sa charge avec peine, est suivie d’une autre fourmi chargée d’un semblable fardeau. Ce peuple, faible à la fois et laborieux, ne se laissé pas vaincre par la fatigue et ramasse pour l’hiver les bienfaits de l’été.
Fille de l’air, la diligente abeille ne se livre pas à des travaux moins assidus. Elle choisit pour son atelier la fente d’une roche ou le creux d’un chêne antique. C’est là qu’elle dépose le suc précieux qu’elle a recueilli de mille fleurs. Elle en forme des palais innombrables de cire, elle en distille le miel le plus délicieux.
Ne garde pas le célibat si tu ne veux pas finir tes jours dans l’abandon. Rends à la nature ce que tu lui dois : tu as été engendré, tu dois engendrer à ton tour.
Ne prostitue pas l’honneur de ta femme ; n’imprime pas une tache flétrissante à tes enfants. Dans le lit d’une adultère naissent des enfants qui ne se ressemblent pas.
Respecte les secondes noces de ton père. Que le lit de sa nouvelle épouse soit sacré pour toi. Révère-la comme ta mère dont elle a pris la place.
Ne t’abandonne point à des amours effrénées ; non, l’amour n’est point un dieu ; il est de toutes les passions la plus dangereuse et la plus funeste. Mais chéris la compagne de ton sort. Quelle douceur, quelle félicité, quand une sage épouse est aimée de son époux jusqu’à la dernière vieillesse, quand il lui rend toute la tendresse qu’elle lui prodigue, quand les querelles n’ont jamais divisé ce couple heureux !
Abstiens-toi de toute union charnelle, qui ne soit pas précédée d’un contrat, et qui ne soit fondée que sur la violence ou la séduction.
Ne crains pas moins d’épouser une méchante femme, et que l’appât d’une funeste dot ne te rende pas l’esclave d’une épouse indigne de toi. Imprudents que nous sommes ! On nous voit courir toutes les maisons d’une ville pour nous procurer des coursiers de race généreuse, des taureaux vigoureux et des chiens ardents à la chasse, mais nous ne prenons aucune peine pour trouver une femme vertueuse. Les femmes, non moins éblouies par l’éclat de l’or, ne refusent pas de riches et méprisables époux.
N’ajoute pas de noces nouvelles à tes premières noces ; ni de nouvelles douleurs à tes premières calamités.
Ne montre point à tes enfants un visage sévère ; que ta douceur gagne leur amour. S’ils font quelque faute, fais-les corriger par leur tendre mère, fais-les reprendre par les plus anciens de ta famille, par de respectables vieillards.
Ne souffre pas que tes fils soient frisés comme de jeunes filles et qu’ils laissent mollement flotter sur leurs épaules les boucles de leurs cheveux. C’est aux femmes que sied bien le soin de leur chevelure ; cette vanité est indigne de l’homme.
Tes enfants ont-ils reçu le dangereux avantage de la beauté, veille sur tes fils, défends-les des attaques de la fureur licencieuse. Que des clefs te répondent de la couche de tes filles ; ne permets pas qu’avant le mariage leurs attraits soient aperçus hors du seuil de ta porte. C’est une garde difficile que celle de la jeunesse unie à la beauté.
Aime ta famille et fais-y régner la concorde. Respecte les cheveux blancs ; cède la place à la vieillesse et ne lui dispute jamais les honneurs qui sont dus à cet âge vénérable. Rends au sage vieillard tous les hommages que ton père recevrait de toi.
Ne prive pas les ministres des autels de la portion des victimes qui doit leur appartenir.
Accorde à tes domestiques une nourriture saine et suffisante. Tu veux qu’ils te chérissent, ne leur refuse pas ce qu’ils ont droit d’attendre de toi. N’abuse pas du pouvoir que la fortune t’a donné sur eux, et n’ajoute pas de nouvelles peines à leurs maux, un nouvel avilissement à leur humiliation. N’accuse pas légèrement auprès de son maître un domestique étranger.
Ton valet est-il prudent, ne rougis pas de prendre ses conseils.
Ton âme est-elle saine, ton corps sera toujours pur. Telles sont les lois de la justice. Conformes-y ta conduite, le bonheur t’accompagnera jusqu’à la dernière vieillesse.