Poètes d’aujourd’hui/Henri Barbusse
HENRI BARBUSSE
1874
M. Henri Barbusse est né à Asnières (Seine), le 17 mai 1874. Il a été lauréat du concours de poésie de l’Écho de Paris en 1893. Et il a épousé, en 1898, la fille cadette M. Catulle Mendès. M. Barbusse, qui a été critique dramatique à la Grande Revue, et qui est aujourd’hui rédacteur en chef du magazine Je Sais Tout, n’a publié, comme poète, que ce volume Pleureuses, dont sont extraits les poèmes qu’on va lire. M. Catulle Mendès l’a apprécié en ces termes quand il parut : « C’est plutôt un poème, ce livre, un long poème, qu’une succession de pièces, tant s’y déroule visiblement l’histoire intime et lointaine d’une seule rêverie. Les Pleureuses viennent l’une après l’autre ; tous leurs yeux n’ont pas les mêmes larmes, mais c’est le même convoi qu’elles suivent, le convoi, dirait-on, d’une âme morte avant de naître… C’est bien une âme, oui, plutôt même qu’un cœur, qui se désole en ce poème, tant tous les sentiments, l’amour, les désespoirs, et les haines aussi s’y font rêve… Les Pleureuses pleurent en des limbes, limbes de souvenance où se serait reflété le futur. Et en cette brume de douceur, de pâleur, de langueur, rien qui ne s’estompe, ne se disperse, ne s’évanouisse, sans disparaître délicieusement… Pas de plainte qui ne soit l’écho d’une plainte qui fut un écho. Et c’est le lointain au-delà du lointain… » Depuis, M. Barbusse semble s’être tourné de préférence vers l’art du romancier, avec Les Suppliants et L’Enfer, deux romans parus le premier en 1903, et le second en 1908.
- Bibliographie :
Les œuvre. — Pleureuses, poésies. Paris, Fasquelle, 1895, in-18. — Les Suppliants, roman. Paris, Fasquelle, 1903, in-18. — L’Enfer, roman. Paris, Libr. Mondiale, 1908, in-18.
À consulter. — F. Coppée : Mon franc-parler, 4e série. Paris, Lemerre, 1896. — Catulle Mendès : Rapport sur le Mouvement poétique français de 1867 à 1900. Paris, Imprimerie Nationale, 1902, et Fasquelle, 1903, in-8.
Henri Chantavoine : Poètes et poésies. Journal des Débats, 21 novembre
1895. — Catulle Mendès : Henri Barbusse. Echo de Paris, 30 avril 1895
— L. Muhlfeld : Chronique de la littérature. Revue blanche, 1er juin 1895
— Pierre Quillard : Henri Barbusse. Mercure de France, août 1895.
LE SOURIRE
Ma sœur, quand tu souris, on croit
Que c’est ton âme sur la terre…
Mais pour moi, c’est le grand mystère
Qui m’éblouit au seuil de toi !
Le sourire, c’est ce qu’on donne !…
C’est, un mensonge parfois vrai,
C’est, dans tes beaux yeux de secret,
La caresse autre, quoique bonne.
Il faudrait tant, couple royal,
Sur la grand’route, avec vaillance,
Passer dans l’éclat du silence
Et le grave mépris du mal !
Pourtant, ton rire de lumière
Restera notre pureté.
Ce sera dans l’éternité
Notre vague et pauvre prière.
Notre prière et notre foi,
Et ton regard dans notre église ;
Ce sera l’image précise
De ta bouche qui pense à moi.
Après toute métamorphose,
Lorsque le soir sera l’oubli,
Je verrai ton rire pâli
Rester comme la seule chose,
Jusqu’au moment assoupissant
Où, calme à tes mains disparues,
Dans le vieux rêve de nos rues,
Je passerai comme un passant.
LE POISSON SEC
Parmi la boutique un peu noire,
Reflet morne demi-caché.
Tu n’es, pauvre poisson séché,
Que les lettres de ton histoire.
Te rendrait-on ton cœur amer,
Ta vie âpre et dévoratrice,
Quand tu sombrais avec délice
Dans la caresse de la mer ;
Te rendrait-on ton doux sillage,
Monarque fluide aux yeux d’or,
Ton rêve assiégeant et sans bord,
Ta vie, étroit et grand voyage,
Quand même entre tes petits os,
Tandis que tu gis sur la planche,
On mettrait en poussière blanche
La grande amertume des eaux !…
Ce matin, j’ai jeté nos lettres
Dans le feu, neuf et clair frisson…
Elle n’a rien dit, la chanson
Qui chantonnait auprès des lettres.
LA LAMPE
La nuit en songes funèbres
Descend du grand ciel dormant,
Et la lampe doucement
Montre son cœur aux ténèbres.
Dans le coin silencieux
Naît la fleur crépusculaire…
La douceur du soir l’éclairé
Comme un sourire, des yeux.
Avec la foi qui persiste.
Avec son rêve humble et pur,
Timide aux heures d’azur,
Elle attendait l’heure triste.
Elle est bonne aux calmes jours,
Aux pauvres nuits sans paupières.
Bonne à toutes les prières
Puisqu’elle est seule toujours.
Dans la fuite coutumière
Des derniers rayons du jour,
Le silence vient autour
Pour écouter sa lumière.
Elle donne sans parler
Sa messe silencieuse ;
Mais la caresse pieuse
Ne peut pas tout consoler.
Et la reine au palais sombre
A peur de s’évanouir
Ne voulant pas éblouir
Les yeux désolés de l’ombre.
LA LETTRE
Je t’écris et la lampe écoute.
L’horloge attend à petits coups ;
Je vais fermer les yeux sans doute
Et je vais m’endormir de nous…
La lampe est douce et j’ai la fièvre ;
On n’entend que ta voix, la voix…
J’ai ton nom qui rit sur ma lèvre
Et ta caresse est dans mes doigts.
J’ai de la douceur de naguère ;
Ton pauvre cœur sanglote en moi ;
Et mi-rêvant, je ne sais guère
Si c’est moi qui t’écris, ou toi…
COUTURIÈRE
Sur la pluie, un peu de jour…
Le soleil jaune et bleu verse
Un rayon perlé d’averse
Sur les maisons du faubourg.
Parmi l’atelier avare
Sombre et courbée elle coud,
Mais sent doucement sur tout
L’arc-en-ciel qui se prépare.
Quand il luit, illimité
Sur les maisons éblouies
Des doux rayons de la pluie,
À mi-voix elle a chanté.
Chanté l’étendue immense,
L’avenir vague et fleuri…
Ses yeux sur ses mains sourient.
Elle croit à sa romance,
Elle croit à la beauté,
Elle croit à l’harmonie,
Elle se sent infinie,
Les lèvres dans la clarté.
Et plus tard, grise et fidèle.
Murmurant les airs anciens,
Elle s’en va vers les siens
Avec le soir autour d’elle.
Au milieu du grand frisson
Indifférent qui la foule,
Elle est seule dans la foule
À cause de sa chanson.
Douce et pleine d’impossible,
Elle revient du labeur,
Égarée et l’air rêveur
Dans la musique invisible.