Poésie (Le Figuier,...)

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Poésie (Le Figuier,...)
Revue des Deux Mondes4e période, tome 121 (p. 162-166).
POÉSIE


I.


LE FIGUIER


Ce figuier était plus de deux fois centenaire ;
Sa branche se tordait comme un nombreux serpent ;
Sous sa voûte on errait comme en un cloître on erre,
Et cet arbre était fier d’ombrager un arpent.

C’était toujours la nuit sous ses rameaux en arches.
Aussi les amoureux s’y donnaient rendez-vous ;
Car les enfans toujours plaisent aux patriarches,
Et les vieux sages sont amis des jeunes fous.

Vrai ! ses tiges vivaient parasites ou franches,
Et leur fourmillement noir bruissait toujours ;
Mais le tronc reposait rassasié de branches
Ainsi que Job était rassasié de jours.

Ses surgeons pullulaient sous le vert de sa robe ;
Mais la sève sans cesse émanait du vieux cœur ;
Ainsi Dieu sur un doigt levé maintient le globe
Et rien qu’en y pensant assure sa vigueur.

En vain des ans nouveaux s’épuisaient les clepsydres ;
Plus vieux, l’arbre, au rebours de l’homme, était plus beau ;
Ses têtes renaissaient comme celles des hydres,
Et sa racine allait réveiller le tombeau.

Or il roula si bien ses anneaux de couleuvre,
Or il couvrit la plaine entière d’un tel poids,
Que le Seigneur le vit, s’admira dans son œuvre,
Et dit à l’arbre vert qui paraissait un bois :

« Arbre, je veux pour toi faire une chose encore,
Car tu mis à profit et ton temps et ton suc ;
De quel honneur nouveau veux-tu qu’on te décore,
Ô toi qui sus vieillir sans devenir caduc ?

Veux-tu plus de rameaux, ou veux-tu plus de feuilles ?
Veux-tu que plus d’oiseaux t’emplissent de leur bruit ?
Je voudrai ce que tu voudras, quoi que tu veuilles… »
— Et l’arbre murmura : « Produire encore un fruit ! »


II.


LES ÉLIZABETH


J’ai dit Élizabeth la Sainte de Hongrie
Dont la charité change en rose l’aliment
Qu’elle portait au pauvre, et sur qui se récrie
Son époux, qui l’admire et s’exalte en l’aimant.

J’ai dit Élizabeth la Reine d’Angleterre,
Pleine de parfums forts, que le peintre espagnol
Quabero nous peignit, et pleine de mystère
Sous sa robe fleurie où perche un rossignol.

J’ai dit Élizabeth la sœur de Louis seize
Brodant son tapis noir où son pleur vient courir,
Et brochant de vertus son âme qui s’apaise,
Et consent à sourire aux veilles de mourir.

Je dis l’Élizabeth de ces trois reines reine,
Celle par qui nos maux sont toujours adoucis ;
Mieux que l’une brillante, et que l’autre sereine,
Et qui change en rosiers les plus jaunes soucis !


III.


EFFEUILLAISON


Le pétale de rose est en forme de cœur.
Alors, aux Fêtes-Dieu, l’art de l’enfant de chœur
Le disperse au-devant des processions lentes,
Sous l’encens floconneux, près des cires croulantes
Sur le sentier ouaté d’une moite langueur.

Procession ! mot d’or qui brûla notre enfance,
Au feu retentissant des encensoirs sacrés :
L’officiant, en chape, au seuil du dais s’avance,
Et sous l’écharpe blanche aux plissemens nacrés.

L’écharpe, interposée entre les doigts du prêtre, —
Pourtant bénis. — et le métal de l’ostensoir…
Procession ! ton nom m’a fait réapparaître
Le ruban du cortège allant au reposoir.

Les seuils se sont voilés de draps en bise toile
Où mainte fleur s’épingle avec un air penché ;
Le feu de chaque cierge au loin semble une étoile
Près du Saint-Sacrement, soleil demi-caché.

Qu’importe un bruit de bugle, un chant faux ou timide ?…
La transposition angélique fut là,
Pour les porter à Dieu dans un accord fluide
Tels qu’aujourd’hui le souvenir me les mêla.

Dans la mémoire lente et processionnelle
D’un cérémonial, où mon âme à genoux
Sur les pas du lointain défilé qui s’annelle
Veuf effeuiller les cœurs de femmes les plus doux !…

. . . . . . . . . . . . . . .


Ô cœur de sainte Flore et cœur de sainte Agathe…
— Le pétale de rose est en forme de cœur…
Fleur de virginité, martyre délicate,
Dont le sang qui s’effeuille est fleur, flamme et liqueur.

Ô cœur de sainte Ursule aux virginaux refuges !
Sur le panneau votif, sous le toit émaillé,
Memling a décoré ta châsse d’or dans Bruges,
Cœur onze mille fois pour la Vierge effeuillé !

Cœur de sainte Marie et de sainte Monique ;
La Mère de Jésus, la Mère d’Augustin.
Ô cœur de Madeleine et cœur de Véronique,
Calvaire aux pleurs de sang, pleurs de nard au festin.

Cœur de sainte Cécile et cœur de sainte Hélène,
— Le pétale de rose est un cœur respiré…
Le bois vrai de la Croix garde encor une haleine
Du Seigneur. — et le bois de l’orgue a soupiré.

Cœur de sainte Bathilde et de sainte Mathilde,
— La rose près du trône a des parfums royaux…
Cœur de sainte Isabelle et de sainte Clotilde,
Le pétale de rose est fait de vos joyaux.

Cœur de sainte Maranne et cœur de sainte Cyre
Que dans leur ermitage aima Théodoret…
Le pétale de rose en éclosant désire,
Le cœur en se fanant comprend qu’il adorait.

Le pétale de rose et tournoie et rougeoie,
Envolé du manteau de sainte Elizabeth
Où, quand elle eût caché le pain du pauvre, ô joie !
Ce fut, quand on l’ouvrit, une fleur qui tombait !

Ô cœurs, effeuillez-vous, et saignez, ô pétale !
La milice céleste est en forme de fleur,
Dante a vu la blancheur de la rose où s’étale
La douceur des élus qu’a faite leur douleur.

Ô pétales d’amour, passions des calices
Foulés aux pas du prêtre ayant l’hostie aux mains ;
Cœurs de Saintes, pâmez ! aimez, pétales lisses !
Glissez ! pleuvez ! jonchez ! empourprez les chemins !

Rouges de sang, rouges de feu, rouges de fraise ;
Jet de baumes par des rythmes d’hymnes phrasé…
Et si de l’encensoir se consumait la braise,
Tu la rallumerais, cœur de sainte Thérèse,
Dans les élancemens de ton zèle embrasé !

Robert de Montesquiou-Fezensac.