Poésie (Rilke, trad. Betz)/Poèmes français/Carnet de poche/Vieillir
Apparence
VIEILLIR
Certains étés il y a tant de fruits
que les paysans ne daignent plus les prendre.
Ai-je, moi, ô vous, mes jours, mes nuits,
sans récolter, laissé passer aux cendres
les lentes flammes de vos beaux produits ?
Mes nuits, mes jours, vous avez tant porté ;
vos branches toutes ont gardé le geste
du long labeur dont vous sortez :
mes jours, mes nuits, ô mes amis agrestes !
Je cherche ce qui tant vous fut propice.
Douceur pareille, pourrait-elle encor,
ô mes beaux arbres presque morts,
flatter vos feuilles, ouvrir un calice ?
Ah, plus de fruits ! Mais une fois dernière
s’épanouir en vaine floraison,
sans réfléchir, sans compter, comme font
inutilement les forces millénaires !