Poésies (Amélie Gex)/La veille des morts

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Claude-Paul Ménard Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 35-38).

LA VEILLE DES MORTS


Comme l’ouragan se démène dans l’air !
Gœthe.


Ma sœur, c’est la nuit de Toussaint ;
Demain les morts auront leur fête ;
La cloche pleure au temple saint,
Ici sanglote la tempête.
Comme les bruits ce soir, ma sœur,
              Font peur !
Le vent fait en courbant les houx :
              Hou ! hou !
L’écho répète près de nous :
              Hou ! hou !

La flamme vacille au foyer,
Rougissant la tenture brune ;
Sur la route on voit ondoyer
Les arbres blanchis par la lune…
Que ces rayons ce soir, ma sœur,
              Font peur !
La chouette dit aux hiboux :
              Hou ! hou !
Ceux-ci répondent dans leur trous :
              Hou ! hou !


On sent passer comme un frisson
Inconnu dans notre demeure ;
On croit ouïr le triste son
D’une voix qui crie ou qui pleure…
Vraiment, les bruits ce soir, ma sœur,
              Font peur !
L’auvent grince arrachant ses clous :
              Hou ! hou !
Et déjà craquent les écrous !
              Hou ! hou !

Entends… la cloche aux trépassés
Parle, et sa voix grave et sereine
Semble de tous leurs jours passés
Raconter la joie ou la peine…
Mais la cloche aux vivants, ma sœur,
              Fait peur !
L’air vibre et fait à tous les coups :
              Hou ! hou !
L’écho reprend d’un ton plus doux :
              Hou ! hou !

On dit que dans leurs lits étroits
Les morts, interrompant leur rêve,
Ce soir, poussent de leurs doigts froids
Le marbre qui sur eux se lève…

Grand Dieu ! que les ombres, ma sœur,
              Font peur !
Je crois entendre autour de nous,
              Hou ! hou !
Des portes crier les verrous,
              Hou ! hou !

Sans doute que sur le chemin
Qui près du cimetière passe,
On pourra retrouver demain
Des morts la fugitive trace…
Oh ! comme en y songeant, ma sœur,
              J’ai peur !
Du vieux Grégoire aux cheveux roux,
              Hou ! hou !
Il semble qu’on entend la toux :
              Hou ! hou !

L’ouragan souffle et, dans les bois,
Tremblent et frissonnent les chênes ;
Ecoute !… on dirait, sur les toits,
Que les damnés roulent leurs chaînes…
Oh ! comme tous ces cris, ma sœur,
              Font peur !
Les chiens hurlent après les loups :
              Hou ! hou !
Le ruisseau fait sur les cailloux :
              Hou ! hou !

Sœur, réponds-moi, vas-tu dormir ?…
Les morts veulent une prière
Car, près de nous, j’entends gémir
Une pauvre âme prisonnière…
Quand minuit sonnera, ma sœur,
              J’ai peur !
Qu’ils viennent crier en courroux :
              Hou ! hou !
« De profundis ! — Priez pour nous ! »
              Hou ! hou !