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Poésies (Desbordes-Valmore, 1830)/L’Orage

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Pour les autres éditions de ce texte, voir L’orage (« Ô quelle accablante chaleur ! »).

PoésiesA. BoullandTome 1 (p. 29-32).


L’ORAGE.



Ô quelle accablante chaleur !
On dirait que le ciel va toucher la montagne.
Vois ce nuage en feu qui rougit la campagne :
Quels éclairs ! quel bruit sourd ! ne t’en va pas ; j’ai peur !
Les cris aigus de l’hirondelle
Annoncent le danger qui règne autour de nous ;
Son amant effrayé la poursuit et l’appelle :
Pauvres petits oiseaux, vous retrouverez-vous ?

Reste, mon bien-aimé ! reste, je t’en conjure ;

Le ciel va s’entr’ouvrir.
De l’orage sans moi tu veux braver l’injure ;
Cruel ! en me quittant, tu me verrais mourir.
Ce nuage embrasé qui promène la foudre,
Vois-tu bien, s’il éclate, on est réduit en poudre !
Encourage mon cœur, il palpite pour toi...
Ta main tremble, Olivier, as-tu peur comme moi ?
Tu t’éloignes ; tu crains un danger que j’ignore :
En est-il un plus grand que d’exposer tes jours ?
Je donnerais pour toi ma vie et nos amours ;
Si j’avais d’autres biens, tu les aurais encore.
En cédant à tes vœux, j’ai trahi mon devoir ;
Mais ne m’en punis pas. Elle est loin, ta chaumière.
Pour nous parler d’amour, tu demandais le soir ;
Eh bien ! pour te sauver, prends la nuit tout entière ;
Mais ne me parle plus de ce cruel amour ;
Je vais l’offrir à Dieu, dans ma tristesse extrême :
C’est en priant pour ce que j’aime

Que j’attendrai le jour.

Sur nos champs inondés tourne un moment la vue :
Réponds ; malgré mes pleurs, veux-tu partir encor ?
Méchant, ne souris plus de me voir trop émue ;
Peut-on ne pas trembler en quittant son trésor ?
Je vais me réunir à ma sœur endormie :
Adieu ! laisse gronder et gémir l’aquilon ;
Quand il aura cessé d’attrister le vallon,
Tu pourras t’éloigner du toit de ton amie.

Mais quel nouveau malheur ! qu’allons-nous devenir ?
N’entends-tu pas la voix de mon vieux père ?
Ne vois-tu pas une faible lumière ?
De ce côté, Dieu ! s’il allait venir !
Pour une faute, Olivier, que d’alarmes !
Laisse-moi seule au moins supporter son courroux ;
Puis tu viendras embrasser ses genoux,

Quand je l’aurai désarmé par mes larmes.
Non ! la porte entr’ouverte a causé ma frayeur :
On tremble au moindre bruit, lorsque l’on est coupable.
Laisse-moi respirer du trouble qui m’accable,
Laisse-moi retrouver mon cœur.
Séparons-nous, je suis trop attendrie ;
Sur ce cœur agité ne pose plus ta main ;
Va ! si le ciel entend ma prière chérie,
Il sera plus calme demain :
Demain, au point du jour, j’irai trouver mon père ;
Sa bonté préviendra mes timides aveux ;
De nos tendres amours pardonnant le mystère,
Il ne t’appellera que pour combler tes vœux.

Déjà le vent rapide emporte le nuage,
La lune nous ramène un doux rayon d’espoir ;
Adieu ! je ne crains plus d’oublier mon devoir,
Ô mon cher Olivier ! j’ai trop peur de l’orage.