Poésies (Quarré)/L’Ange et la Fée

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L’ANGE ET LA FÉE.




L’ANGE ET LA FÉE.

À Madame la Comtesse de Grancey, née de Cordoue.
28 Décembre.


À pareil jour votre berceau
Jadis fut témoin d’un mystère ;
Tout sommeillait dans le château,
Votre nourrice et votre mère.

À peine ouverts, vos yeux charmans
S’étaient fermés sous des caresses ;

C’était l’heure où les talismans
Sont aux mains des enchanteresses.

Sur les castels aux noirs donjons,
Sur les tours d’aspect fantastique
Phébé versait les blancs rayons
De sa clarté pâle et magique ;

Gais farfadets, joyeux lutins,
Dansaient sur la neige durcie ;
Les pauvres Sylphes, en essaims,
Voltigeaient d’une aile transie ;

Quand, du merveilleux Alhambra
Quittant la royale retraite,
Dans un char ailé s’élança
Une fée avec sa baguette.


Au temps passé, flamme d’amour
Avait, dit-on, ô châtelaine !
Rempli son cœur qui brûla pour
Gonzalve le fier capitaine.

Du haut des airs dans les combats
Elle encourageait sa vaillance,
Puis le héros entre ses bras
Savourait douce récompense.

Le mystère voilait ces feux :
Mais, au réveil de chaque aurore,
Sur le gazon foulé par eux
Des parfums s’exhalaient encore ;

Et dans le souffle des zéphirs
Caressant la fleur agitée,

On respirait tendres soupirs
Du chevalier et de la fée.

Quand le destin brisa leurs nœuds,
Tout en pleurant d’être immortelle,
« Ô mon Gonzalve ! à tes neveux
« Mon amour restera, » dit-elle.

Depuis, envers les descendans
Du héros cher à sa tendresse,
Toujours par des dons séduisans
La fée acquitte sa promesse.

Et ce jour-là, pour vous doter,
Jeune enfant qui naissiez à peine,
Elle voulait faire éclater
Sa munificence de reine.


Sur un rayon mystérieux,
S’étant glissée en votre asile,
Elle vit un ange des cieux
Veillant près du berceau fragile.

Il redoutait l’effet puissant
De la magie et de ses charmes,
Et pour vous protéger, enfant,
Avait pris de célestes armes.

La fée entr’ouvrit les rideaux
Qui dérobaient votre visage,
Et murmura tout bas des mots
D’un étrange et secret langage.

Puis, touchant votre front vermeil
Avec sa baguette enchantée :

« Ainsi qu’un rayon de soleil
« Descend sur la nue argentée,

« Descends, beauté, charmante fleur
« Que l’on respire avec ivresse,
« Et répands ton attrait vainqueur
« Sur cet objet de ma tendresse.

— « La beauté pourrait être un mal,
« Dit le bon ange avec prudence ;
« Pour balancer ce don fatal,
« Mon Dieu, laissez-lui l’innocence.

— « Que ta lèvre invite au baiser ;
« Que ton œil noir lance la flamme.
— « Qu’un chaste amour, pour l’embrâser,
« Mon Dieu, règne seul dans son ame.


— « À ton sourire séducteur
« Je donne la grace entraînante.
— « Et moi, je donne la candeur
« Aux accens de ta voix charmante.

— « Esprit des sons mélodieux,
« Verse-lui des flots d’harmonie,
« Pour plaire au cœur ainsi qu’aux yeux
« Enivre-la de ton génie.

— « Présent divin, bonté du cœur,
« Qui fais pleurer sur la souffrance,
« Rends-la belle aux yeux du malheur
« Comme une aurore d’espérance. »

Ainsi chacun d’eux, tour-à-tour,
Épuisant pour vous ses largesses,

De bonté, de grace et d’amour,
Vous a prodigué les richesses.

Et souvent, aux yeux incertains,
La beauté profane ou divine
Dont tous vos charmes sont empreints
Rend douteuse votre origine.

Quand, au sein d’un monde attrayant,
Vous passez brillante et parée,
On dit tout bas, en vous voyant :
« C’est un lutin, c’est une fée. »

Mais, plus heureux, si l’on connaît
Votre ame aux vertus sans mélange,
La fée, aussitôt, disparaît,
Et le lutin devient un ange.