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Poésies (Rimbaud)/éd. Vanier, 1895/Comédie en trois baisers

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Poésies complètes, Texte établi par avec préface de Paul Verlaine et notes de l’éditeur, L. Vanier (p. 51-52).


COMÉDIE EN TROIS BAISERS


Elle était fort déshabillée,
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins.

— Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner, comme un sourire
Sur son beau sein, mouche au rosier.


— Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un long rire tris-mal
Qui s’égrenait en claires trilles,
Une risure de cristal…

Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! »
— La première audace permise,
Le rire feignait de punir !

— Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
— Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : « Oh c’est encor mieux !… »

« Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »
— Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D’un bon rire qui voulait bien…

— Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.