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Poésies attribués à Charles d’Orléans/Ballade V

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BALLADE.

     Je meurs de soif au près de la fontaine ;
J’ai tresgrant fain, et si ne puis mengier ;
Je suis au bas en la maison haultaine,
Et enchartré en ung tresbeau vergier ;
En grant péril, et hors de tout dangier ;
Les biens que j’ay, me font povre indigent ;
En beau logis, ne me sçay où logier ;
Je gaigne assez, et si n’ay point d’argent.
     Je fais grant dueil, tristesse m’est loingtaine ;
Dormir ne puis et ne fais que songier ;
Je suis tout sain et ay fievre quartaine ;
Tout esdenté, mon frain me fault rongier ;
Vérité dy, et si suis mensongier ;
Je suis recluz, hanté de tout gent ;
Congneu de tous et à tous estrangier ;
Je gaigne assez, et si n’ay point d’argent.
     Grant doubte fays de chose bien certaine ;
Incertain suy, et si en vueil jugier ;
Ou champ estroit je jouste à la quintaine ;
Non offencé, je me cuide vengier ;
Ung pesant faiz me semble treslegier ;
Je suy paillart et contrefay du gent ;
Par trop couart, hardy comme ung Ogier ;
Je gaigne assez, et si n’ay point d’argent.


ENVOI.

     Prince, je suy siche, pour abregier,
Prodigue aussi, nonchallant, diligent,
Assez subtil, plus simple que bergier,
Je gaigne assez, et si n’ay point d’argent.