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Poésies badines et facétieuses/L’hospitalière

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l’Hospitalière

L’HOSPITALIÈRE.

CONTE.

Sœur Luce, jeune hospitalière,
Pour un jeune convalescent
Sentait tout ce qu’un cœur ressent
Dans l’accès d’une ardeur première.
Je laisse à penser la manière
Dont fut servi l’adolescent :
Mille soins, font sur son visage
Renaître les plus belles fleurs,
Et le brûlent de mille ardeurs
Pour la belle qui le soulage.
Un moment donc qu’il se livrait
Au doux espoir d’être aimé d’elle,
À l’instant accourut la belle ;
Il en sentit croître son feu.
La nature à l’amour fidèle
Dans le moment joua son jeu ;
Et pendant que l’amour appelle
La formule d’un tendre aveu :
« — Mon cher enfant, — s’écria-t-elle,
« Guérissez ma crainte mortelle,
« Parlez, de quoi soupirez-vous ? — »
Là, sa voix craintive s’arrête,
Et toute tremblante, elle apprête
Sa main pour lui tâter le pouls.
Mais que l’amour a de malice !
Qu’il sait bien conduire un dessein !
Le convalescent prend la main
De la secourable novice,

Et, la conduisant doucement
Où la santé se manifeste,
Par un subit attouchement,
Fait voir qu’il en avait de reste.
La belle se déconcerta,
Rougit de honte et de surprise,
Et voulut même quitter prise ;
Mais en vain elle le tenta,
Son heureux amant l’emporta.
Et, pour marquer que son audace
À ses yeux devait trouver grâce,
Voici ce qu’amour lui dicta :
« — Chassez la frayeur ridicule
« — Que vous inspire un vain scrupule,
« Belle Luce, et ne pensez pas
« Faire désormais un usage
« Qui déshonore vos appas.
« Ces marques de convalescence,
« Je les dois à votre présence ;
« Mais vous devez à mon amour :
« J’acquitte ma reconnaissance,
« Acquittez-vous à votre tour.
« Nature prépare une crise
« Qui couronne votre entreprise ;
« Vous seule pouvez me guérir,
« Voulez-vous me faire mourir ? »
Sœur Luce, d’un si doux langage
Sentait la pressante douceur.
Et l’amour dans son jeune cœur
En disait encor davantage :
Son amant, tout près d’être heureux,
À l’aide de mille étincelles,

Filles d’un désir amoureux,
Vit dans ses humides prunelles
Qu’elle brûlait des mêmes feux ;
D’un bras qu’amour guide, il l’enlève ;
L’amour lui-même la soulève,
Et… tire le rideau sur eux…