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Poésies badines et facétieuses/Le mal d’aventure

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LE MAL D’AVENTURE.

CONTE.

Alison se mourait d’un mal
Au bout du doigt ; mal d’aventure.
— Va trouver le père Pascal, —
Lui dit sa sœur, — et plus n’endure ;
Ses remèdes sont excellents ;
Il te guérira, je t’assure :
Il en a pour les maux de dents,
Pour l’écorchure et pour l’enflure ;
Il fait l’onguent pour la brûlure.
Va donc, sans attendre plus tard,
Le mal s’accroît quand on recule ;
Et lui dis bonjour de ma part. —
Elle va, frappe à la cellule
Du révérend frère Frappart.
— Bonjour, mon frère, Dieu vous gard, —
Dit-elle, — ma sœur vous salue,
Et moi qui suis ici venue.
Lasse à la fin de trop souffrir ;
Mais ma sœur vient de me promettre
Que vous voudrez bien me guérir
Un doigt qui me fera mourir :
Non, je ne sais plus où le mettre.
— Mettez, — dit Pascal, — votre doigt,
Les matins, en certain endroit
Que vous savez. — Hélas ! que sais-je ?
Dites-le moi, frère Pascal,
Tôt, car mon doigt me fait grand mal.
— Ô l’innocente créature !

Avez-vous la tête si dure ?
Certain endroit que connaissez,
Puisqu’il faut que je vous le dise,
C’est l’endroit par où vous pissez.
Eh bien ! m’entendez-vous, Alise ?
— Mon frère, excusez ma bêtise,
Répond Alise, baissant les yeux.
Suffit, j’y ferai de mon mieux ;
Grand merci de votre recette ;
J’y cours car le mal est pressé.
— Quand votre mal sera passé,
Venez me voir, Alisonnette,
Dit le frère, — et n’y manquez pas.

Soir et matin à la renverse,
Elle prend remède à soulas ;
Enfin, l’abcès mûrit et perce.
Alison, saine, va soudain
Rendre grâce à son médecin,
Et du remède spécifique
Lui vante l’étonnant succès.
Pascal, d’un ton mélancolique,
Lui repart : Un pareil abcès
Depuis quatre jours me tourmente ;
Vous seriez ingrate et méchante,
Si vous me refusiez le bien.
Que vous avez par mon moyen.
Alix j’ai besoin de votre aide,
Puisque vous portez le remède
Qui sans faute peut me guérir.
Eh quoi ! me verrez-vous mourir
Après vous avoir bien guérie ?

— Non, — dit Alix, — non, sur ma vie ;
Je ferais un trop grand péché.
Tel crime… Allons donc, je vous prie,
Guérissez-vous, frère Pascal,
Approchez vite votre mal.

À ces mots, dom Pascal la jette
Sans marchander sur sa couchette,
L’étend bravement sur le dos,
Et l’embrasse. « Dieu ! qu’il est gros !
Dit Alix. — Quel doigt ! Eh ! de grâce ;
Arrêtez… je le sens qui passe,
Ma chère Alix, attends un peu,
Je me meurs… Souffre que j’achève…
— Ah ! — reprit Alix toute en feu,
Vous voilà guéri, l’aimes crève.