Poésies badines et facétieuses/Le placet

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LE PLACET.

CONTE.

Du temps qu’il se trouvait en France
Des magistrats un peu galants,
Un intendant, à l’audience,
Promenait ses regards parmi les suppliants,
Et recevait leurs vœux d’un grand air d’importance.

. . . . . . . . . . . . . . . .

Il avise en un coin, dans une humble posture,

Une petite créature
Tenant un placet à la main :
Elle a seize ans, teint de lis et de rose :
Elle a sans doute une bien bonne cause,
Approchez, belle enfant, monseigneur est humain ;
Aux opprimés il fut toujours propice ;
Ah ! sûrement il vous rendra justice.
Monseigneur, en effet la voit d’un œil bénin,
Et lui dit d’un voix discrète :
— Petite, à mon lever, vous reviendrez demain.
Elle s’en va très-satisfaite.
Toute la nuit aux yeux de sa Grandeur,
Viennent s’offrir les appas de la belle.
Quelle taille ! quels yeux ! quelle aimable pudeur !
Je m’y connais elle est pucelle.
Nous cueillerons demain cette rose nouvelle,
Ou nous aurons bien du malheur.
La nuit se passe ; enfin l’heure du lever sonne.
Monsieur Dumont, garçon intelligent,
À Monseigneur apporte un restaurant,
Puis fait entrer la petite personne.

Eh ! bonjour, mon cher ange ! allons, mettez-vous là.
— Monseigneur, pardonnez… le placet que voilà…
Nous avons tout le temps ; approchez donc, vous dis-je.
En vérité, vous êtes un prodige ;
De cette peau que j’aime la douceur !
Que cette bouche a de fraîcheur !
Je n’ai rien vu de si beau, je l’avoue. —
Et de baiser chaque chose qu’il loue ;
Et de son sein louer fort la blancheur ;
— Mais, monseigneur, mais, monseigneur…
— Eh ? ne soyez pas si honteuse,
Ma petite, écoutez : je veux vous rendre heureuse.
Mais il faut aussi me rendre heureux.
M’entendez-vous ? Non, monseigneur. — Tant mieux.
C’est-à-dire qu’il faut… qu’il faut me laisser faire.
— « Que faites-vous ? Attendez… écoutez…
« Je suis malade ; j’ai… — Que n’importe, ma chère,
Ah ! c’est en vain que vous me résistez. »
Ce fut en vain, la rose désirée
Fut arrachée en un moment,
On était surpris cependant
Que d’aucune épine entourée,
Elle eût cédé trop aisément,
Le placet va bientôt dévoiler ce mystère.
Ouvrez donc ce placet, monseigneur l’intendant.
Il l’ouvre et il voit : Madeleine Bellaire
« Ose prier votre Grandeur
« De vouloir la soustraire aux injustes poursuites
« Du chirurgien Levasseur,
« Qui demande cent francs pour cinq ou six visites,
« Tisane et cœtera, qui n’ont pu la guérir. »
— Serait-ce vous ! — Eh oui, pour vous servir.

— Comment, coquine ? — Eh quoi ! vous êtes en colère.
Ma faute est-elle volontaire ?
J’ai refusé d’y consentir.
Je disais pour vous avertir :
« Je suis malade, j’ai… » La chose était bien claire ;
Et puis, de voir mon placet tout d’abord
Vous auriez dû prendre la peine. —
Elle avait raison Madeleine :
Et monseigneur, sentant son tort,
Promit qu’à l’avenir, crainte d’erreurs nouvelles,
Il lirait les placets, surtout ceux des pucelles.