Poésies complètes (Le Goffic)/Triptyque
TRIPTYQUE
Octobre est venu :
Une route droite,
Qui file et miroite
Sur un plateau nu ;
De grises nuées,
Vers Crec’h-Daniel,
Traînant dans le ciel,
Comme exténuées ;
À l’angle d’un champ
Un mouton qui broute ;
Au bord de la route
Un chaume penchant.
Jusqu’à l’Île-Grande,
Pas d’autre maison :
Pour tout horizon
La lande, la lande…
Ces croupes que fouaille
Un vent forcené,
Ce sont les Méné
De la Cornouaille.
Clameurs, bonds d’effroi.
Tout en eux m’agrée :
Car je suis l’Arrhée,
Leur pâtre et leur roi.
Sur leur maigre échine,
D’Evran au Relecq,
Le vent ronfle avec
Un bruit de machine.
J’emplis mes poumons
De sa rauque haleine
Et pais dans la plaine
Mon troupeau de monts.
Las d’errer sans guide,
Depuis le Roudou,
Dans ce matin d’août
Brumeux et languide,
Nous nous allongeons
Au pied d’un Christ hâve,
Pointant, morne épave.
D’une mer d’ajoncs.
Mais cette marée
De genêt roussi
Soudain nous transit
D’une horreur sacrée.
Et, brusque ferveur,
La croix de détresse
À nos yeux se dresse
Comme un mât sauveur !