Poésies d’Humilis et vers inédits/Pourrières

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Poésies d’Humilis et vers inédits, Texte établi par Ernest Delahaye, Albert Messein (p. 144-150).

POURRIÈRES



Un vieux Clocher coiffé de fer sur la colline.
Des fenêtres sans cris, sous des toits sans oiseaux.
D’un barbaresque Azur la paix du Ciel s’incline.
Soleil dur ! Mort de l’ombre ! Et Silence des Eaux.

Marius ! son fantôme à travers les roseaux,
Par la plaine ! Un son lent de l’Horloge féline.
Quatre enfants sur la place où l’ormeau perd ses os,
Autour d’un Pauvre, étrange, avec sa mandoline.

Un banc de pierre chaud comme un pain dans le four,
Ou trois Vieux, dans ce coin de la Gloire du Jour,
Sentent au rayon vif cuire leur vieillesse.

Babet revient du Bois, tenant sa mule en laisse.
Noir, le Vicaire, au loin, voit, d’une ombre au ton bleu,
Le Village au soleil fumer vers le Bon Dieu.

***


Que triste tombe un soir de novembre !
La Bougie rayonne dans la chambre.

Je rêve, et mon cœur n’y est pour rien :
Vraiment, ah vraiment, ce n’est pas bien.

Ni joie autour de nous, ni souffrance ;
Sur le front pas l’aile d’une Espérance !

Suis-je mort ? je n’entends ni ne vois.
Nul écho de la plus charmante voix.

La flamme s’allonge, et tremblotte.
Dans la chambre un novembre triste flotte.

Qui donc crois-je entendre par instants ?
Dans la mer imaginaire que j’entends,

C’est, voyez-vous, mon âme esseulée
Qui, ce soir, - novembre gronde - est ensablée !

***


Gilles, fils de Watteau, grand frère des Lys blancs,
Debout dans le soleil et tombé de la Lune,
Es-tu sombre, es-tu gai, dans tes habits ballants ?
L’âne brait-il ? ou si le Docteur t’importune ?

Ou si le Mezzetin cherche a t’en conter une ?
Ou si Silvie a pris ses grands airs insolents ?
Un oiseau t’a prédit, dans les massifs galants,
Ou ta bonne aventure ou ta triste fortune ?

Si ta joue est émue, on ne voit pas pourquoi. -
Tu vas rire ou tu vas pleurer. Tu te tiens coi,
Malicieux Conscrit, tout bête sous les armes. -

Est-ce en larmes d’argent ou bien en rires d’or
Qu’il te faut éclater, toi qui ris jusqu’aux larmes,
Et qui ne dois pleurer qu’en riant plus encor ?

***


Brummel ganté, rasé, l’œil sur et point bravache.
Corseté, riant peu. Du nerf et du liant.
Le parfum d’un baiser sans cesse à la moustache.
Eclairs d’épée aux yeux. Salut humiliant.

Profond, souple. Un savoir ! surtout celui qu’il cache.
Et son amour caresse avec une cravache.

Très craint. Adoré presque. Un peuple suppliant
Sur ses pas. Sous sa voix, deux ou trois rois pliant.

Enterrant plus de cœurs qu’il ne lance de modes.
Des billets parfumés à gonfler ses commodes.
Son expansion même est encore à cheval.

Il tient sur terre, à quoi ? peut-être à cette bague.
Pour savoir mépriser l’amour, pas un rival
Dans le monde. Excepté saint Louis de Gonzague.

***


Une Soirée en noir et blanc sous les plafonds
D’or usé des salons de faux marquis de Presles
Dans les fleurs, sur des poufs, et des sophas, de frê[les]
Divinités du jour. Quelques vieillards profonds.
Le Lustre du milieu, bourdonnant. Dans des fonds
Rieurs, l’orchestre sourd tendant les chanterelles,
D’après mamans roulant des yeux de tourterelles.
Près d’Alcindors rêveurs, qui supputent les fonds.
Un poète. Un banquier. Une femme sensible.
Des cancans. Un duo chanté du mieux possible.
Valère autour d’Elise et l’air très amoureux.
Et la belle Madame une telle qui danse !
Tout à coup, sous l’archet, tout ce monde en cade[nce]
S’amuse, et ne sait pas que les Saints sont heureux

***


Et maintenant ! auprès de Charles Bovary,
De Léon et d’Emma, mais loin de Saint Antoine,
Dans cet enfer brûlant sur les lèvres du Moine,
Dont Il riait, ainsi que Homais en a ri,

(Homais qui ne voit pas plus loin que l’antimoine)
Le voilà, c’est probable ! Odieux au mari,
A Rodolphe qui fut vain de son patrimoine,
Appelant Salammbô d’un inutile cri.

Il voit, n’ayant écrit qu’une calembredaine,
A présent, qu’avant tout la Bêtise est mondaine,
Et que bête il le fut, puisqu’il fut vicieux.

Et quel mal il fait ! car, sous de paisibles cieux,
D’autres Emmas, lisant ses sales aventures,
Rêvent toujours à Toi, Paris plein de voitures !

***


L’Eglise où l’orgue dort. La nef silencieuse.
Le chœur fermé, muet. Tous les cierges éteints.
Pas même un faible écho mourant des chants latins.
Dans un coin, sur un banc, seule une âme pieuse.

Une petite vieille, absorbée, oublieuse
De la terre, ravie à des tracas lointains.
Et ridicule, soit ! aux yeux des libertins,
Mais aux yeux de Jésus, humble et délicieuse.

Elle prie ; et priera pour vous, pour moi demain,
Si je meurs. Elle égrène à sa paisible main
Les grains du Chapelet. Toute sa vie adore.

Ce que son cœur contient, votre cœur le sait-il ?
Et quand Elle s’en va sous sa coiffe en coutil,
A pas lents, Elle sait ce que Voltaire ignore.