Poésies de Benserade/Rupture

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Poésies de Benserade, Texte établi par Octave UzanneLibrairie des bibliophiles (p. 27-33).

Rupture.

STANCES.


Puisque vôtre superbe cœur
Ne veut plus de tous mes services,
Et que ma patiente humeur
Se rebute de vos caprices ;
Que vous êtes lasse de moy,
Que je veux reprendre ma foy
Et vous reprendre aussi la vôtre ;
Débarrassez de tant de nœuds,
Disons-nous adieu l’un à l’autre,
Et là-dessus rompons tous deux.

Réglons-nous mieux à l’avenir
Sur toutes nos fautes passées,
Ou mettons-en le souvenir
Au rang des choses effacées ;

Renvoyez-moy tous mes poulets,
Reprenez tous vos bracelets,
Vos bijoux et toute autre chose :
Ce sont gages qu’amour a faits ;
Et si nous supprimons la cause,
Il faut supprimer les effets.

Au reste j’appréhende peu
Qu’on m’accuse d’ingratitude :
Si vous obligeâtes mon feu,
Vous payâtes ma servitude.
J’eus part à vôtre affection,
Par ma sotte soûmission ;
Et par un tourment incroyable
N’a-t-on pas trop cher acheté
Le plaisir le plus délectable
Quand il coûte une lâcheté ?

Ne craignez pas que mon courroux
Affecte une fausse victoire,
Ni que, pour me venger de vous,
Il fasse brèche à vôtre gloire :
Vous devez en toute façon,
Comme vous l’êtes de soupçon,

De la crainte être délivrée ;
Il faudroit, pour le mauvais tour,
Que vôtre amour vous eût livrée
À la mercy de mon amour.

Mais en cela nul ne sçauroit
S’armer que d’un faux avantage,
Soit qu’il ait été mal-adroit,
Soit que vous ayez été sage ;
Même eussiez-vous, ce qui n’est point,
Favorisé du dernier point
La passion que j’ay sentie,
Je ne sçaurois sans lâcheté
Prendre vôtre honneur à partie
Contre vôtre infidélité.

Non, non, quoy que je veuille agir
Contre vous et pour vous déplaire,
Je ne vous puis faire rougir
Que de vôtre humeur trop légère ;
Aussi n’entreprendray-je pas
De ternir icy vos appas
Par une plainte mal formée ;
Seulement vous veux-je blâmer

De souffrir d’être bien-aimée,
Et ne sçavoir pas bien aimer.

Quand le Ciel, par un coup fatal,
Nous fit entrevoir l’un et l’autre,
Pour nôtre bien, pour nôtre mal,
Vous fûtes mienne et je fus vôtre.
Il est vray que je trouvay doux
Mille appas qui brilloient en vous
À l’éclat de vôtre présence ;
Ils m’ébranlèrent un petit ;
Mais vôtre seule complaisance
Fut le charme qui m’abbatit.

D’un accueil vraiment gracieux
Vôtre accueil eut les apparences,
Et dans la douceur de vos yeux
Je vis rire mes espérances.
Mon cœur fut tout à vôtre gré ;
Et quand je vous l’eus consacré
Avec la passion extrême
Dont il étoit si travaillé,
Vous l’alliez demander vous-même,
Si je ne vous l’eusse baillé.

Vous l’eûtes, et je fus ravy
De vous en voir la seule reine ;
Jamais pauvre cœur asservy
N’aima tant ses fers et sa peine :
Ce vous devoit être un trésor,
Que vous posséderiez encor,
Et tout entier et sans réserve,
Si l’amour vous eust enseigné
Cette prudence qui conserve
Ce que le mérite a gagné.

Mais rien n’est étrange en ce point ;
Les fruits d’une grande largesse
Sont des fruits qui ne croissent point
Au champ d’une grande jeunesse :
Entretenir des feux constans
Est une leçon dont le temps
Vous doit faire l’apprentissage.
Ainsi, qui vous en contera
Ne fera rien qu’à l’avantage
Du dernier qui vous aimera.

Le mal est que vôtre beauté,
Pour qui maintenant on soûpire,

Ne sçaura cette vérité
Que sur la fin de son empire ;
Enfin vous voudrez essayer
Pour vôtre profit employer
Cette nécessaire science ;
Il sera trop tard quelque jour,
Et vous aurez de la constance
Lorsque l’on n’aura plus d’amour.

N’allez pas vous imaginer
Que ce que vous venez d’entendre
Soit afin de vous détourner
Du dessein que je vous voy prendre.
Il me plaît, puisqu’il vous a plû ;
Comme vous j’y suis résolu ;
Si c’est vôtre honneur, c’est ma gloire ;
Et de bon cœur je vous promets,
Si vous en perdez la mémoire,
De ne m’en souvenir jamais.

On auroit tort de vous blâmer.
Chacun suivant ce qu’il veut suivre ;
Sans nous voir et sans nous aimer,
Nous n’avons pas laissé de vivre ;

Et comme il m’importe bien peu,
Aprés avoir éteint mon feu,
Qu’avec vous tout le monde en rie,
Souffrez, dans le temps que je perds,
Que j’en fasse une raillerie,
Aprés en avoir fait des vers.



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