Poésies de Catulle/19

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Traduction par Charles Héguin de Guerle.
Poésies de CatullePanckoucke (p. 31-33).

XIX.

LE DIEU DES JARDINS.


Jeunes gens, c’est moi, dont vous voyez l’image de chêne grossièrement façonnée par la serpe d’un villageois, c’est moi qui ai fertilisé cet enclos, qui ai fait fructifier de plus en plus chaque année cette rustique chaumière, couverte de glaïeuls et de joncs entrelacés. Les maîtres de cette pauvre demeure, le père comme le fils, me rendent un culte assidu, me révèrent comme leur dieu tutélaire : l’un a soin d’arracher constamment les herbes épineuses qui voudraient envahir mon petit sanctuaire ; l’autre, m’apporte sans cesse d’abondantes offrandes ; ses jeunes mains ornent mon image, tantôt d’une couronne émaillée de fleurs, prémices du printemps ; tantôt d’épis naissans aux pointes verdoyantes ; tantôt de brunes violettes, ou de pavots dorés, de courges d’un vert pâle, ou de pommes au suave parfum ; tantôt de raisins que la pourpre colore sous le pampre qui leur sert d’abri. Parfois même (mais gardez-vous d’en parler) le sang d’un jeune bouc à la barbe naissante ou celui d’une chèvre ont rougi cet autel. Pour prix des honneurs qu’ils me rendent, je dois protéger les maîtres de cette enceinte, et leur vigne et leur petit jardin. Gardez-vous donc, jeunes garçons, d’y porter une furtive main. Près d’ici demeure un voisin riche, dont le Priape est négligent. C’est là qu’il faut vous adresser : suivez ce sentier ; il vous y conduira.