Poésies de Frédéric Monneron/À vous

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Poésies de Frédéric MonneronGeorges Bridel (p. 135-136).

XVIII

À VOUS.



 
Quand sur les champs du soir la brume étend ses voiles,
Lorsque, pour mieux rêver, la Nuit au vol errant,
Sur le pâle horizon détache en soupirant
Une ceinture d’or de sa robe d’étoiles.

Lorsque le crépuscule entr’ouvre aux bords lointains
Du musical éther les portes nuageuses ;
Alors, avec les vents, les âmes voyageuses
Vont chercher d’autres cieux dans leurs vols incertains.

La mienne s’en retourne auprès de vous, fidèle ;
Mais bientôt un remords la surprend en chemin,
Et, jeune mendiante, implorant votre main,
Elle vous tend la sienne, en se voilant d’une aile.


Car c’est le repentir d’avoir aimé trop peu,
Qui, de l’exil, vers vous la rappelle angoissée,
Comme une ombre sortant de sa tombe glacée,
Surprise par la mort sans avoir fait d’adieu.

Non ! je n’ai pu comprendre et votre ame et la terre
Que de loin, quand les ans sont venus tout finir,
Et mon cœur n’a fleuri qu’autour du souvenir,
Comme autour du tombeau l’églantier solitaire.

Ces jours où ma jeunesse a fait souffrir les cœurs,
Je n’en pourrai gémir que seul avec moi-même,
Alors qu’il n’est plus temps de dire à ceux qu’on aime :
« À genoux, me voici ! pardonnez-moi vos pleurs. »

Ainsi, c’est le passé, c’est la fuite des choses,
Le souvenir des maux qu’on ne peut réparer,
Qui m’évoquent vers vous, quand la nuit vient errer
Sur le large horizon, parmi l’or ou les roses.