Poésies de Frédéric Monneron/Élégie

La bibliothèque libre.
Poésies de Frédéric MonneronGeorges Bridel (p. 119-122).

XV

ÉLÉGIE.



 
Sur le flot tiède et noir à l’écume de neige,
Qui roule et se confond avec l’ombre des cieux,
Près du lierre des murs que le roulis assiége,
Un poète rêvait ; des pleurs mouillaient ses yeux.

Dernier regard plaintif de la lune voilée,
Un reflet velouté, doux comme un souvenir,
Se joue avec caprice au creux de la vallée,
Sur les rides d’un lac qui commence à brunir.


« Lève-toi du cercueil, ô pâle jeune fille !
Avec moi sur la rive, ah ! laisse errer tes pas.
Près des grands peupliers, vois-tu briller la quille
De ma nef ? disait-il. Quoi ! tu ne reviens pas ?


» Oh ! n’entendrai-je pas de voix mélancolique
Se bercer dans les airs, murmurer sous l’ormeau,
Au pied des vieilles tours, dans l’ombre fantastique
De l’églantier, qu’un vent fait vaciller sur l’eau ?

» La nuit n’a-t-elle point tes secrets à m’apprendre ?
Sur les ailes des vents, sur ce nuage noir,
Ne te verrai-je pas une fois redescendre,
Pour me dire, je t’aime, et m’embrasser un soir ?

» Mon regard abusé voit ta taille légère
Glisser sous les sapins et puis s’évanouir ;
J’entends au loin tes pas qui froissent la bruyère.
Songe vain ! dont mon cœur n’ose se réjouir.

» Lorsque tes pas foulaient l’herbe de nos prairies
J’allais auprès de toi rêver à nos amours ;
Et nous passions le temps en douces causeries,
Près de ce grand rocher qui scintille toujours.

» L’hiver auprès de l’âtre, assise vers ton père,
Tu lui faisais conter les récits d’autrefois ;
Ou bien vous écoutiez une voix solitaire
Qui murmurait là-bas, sous les neiges des bois.

» Alors le bon vieillard, prenant ta main tremblante,
Sur toi laissait tomber ses pleurs silencieux :

« Écoute, disait-il, c’est ta mère qui chante.
» C’est ta mère au tombeau qui nous bénit tous deux.

» Hélas ! depuis longtemps son ombre, errant sans cesse,
» M’a laissé seul et vieux ici près du foyer.
» Toi seule, ô mes amours ! console ma vieillesse ;
» Ta mère te l’a dit, ne vas pas m’oublier. »

» À ces mots quelques pleurs tremblaient sous ta paupière
Et t’approchant de lui, tu lui baisais le front :
« Bientôt, lui disais-tu, nous reverrons ma mère ;
» En attendant nos cœurs ici-bas s’aimeront. »

» Et pourtant te voilà les mains jointes, muette,
Dormant sous le linceul qui te voile aujourd’hui ;
Tandis que le vieillard, la paupière inquiète,
En vain sous l’humble toit te cherche auprès de lui.

» J’ai vu ses cheveux blancs agités par la brise ;
Il pleurait, appuyé sur son bâton noueux,
Là-bas, sur les degrés de cette vieille église,
Où tu priais pour lui dans des jours plus heureux.

» Et moi, je pleure aussi sur mon triste hyménée.
De ses mains, arrachant des roses à l’amour,
Élise, en ton cercueil, la mort t’a couronnée,
Disant d’un ton railleur : « Attends encore un jour. »


» Non, je n’attendrai pas ; je puis aller près d’elle.
Dans son séjour les cœurs sont-ils moins amoureux ?
Non : l’amour d’ici-bas, c’est la pâle étincelle
De cet immense amour que l’on retrouve aux cieux ! »


Il chantait, et sa voix était grave et tremblante ;
Mais soudain, sur les eaux j’entendis un grand bruit :
Le chantre en expirant rejoignait son amante…
L’horloge du clocher avait sonné minuit.