Poésies de Jean Froissart/Mémoires sur la vie de Jean Froissart

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MÉMOIRE

SUR

LA VIE DE JEAN FROISSART,

Par M. de LA CURNE DE S.TE PALAYE.[1]



Jean Froissart[2], prêtre, chanoine et trésorier de l’église collégiale de Chimay, historien et poëte, naquit à Valenciennes, ville du Haynaut, vers l’an 1337. Cette date qui paraît contredite par un seul passage de sa chronique, est constatée par un grand nombre d’autres[3] tant de sa chronique même que de ses poésies manuscrites. Quelque attention qu’il ait eue à nous apprendre les plus petites circonstances de sa vie, il ne dit rien de son extraction. On peut seulement conjecturer d’un passage de ses poésies[4], que son père qui s’appelait Thomas, était peintre d’armoiries. Nous trouvons, dans son histoire, un Froissart Meullier, jeune écuyer du Haynaut, qui signala sa valeur à l’assaut du château de Figuières en Espagne, que les Anglais et les Gascons attaquèrent en 1381. Son pays et son nom donnent lieu de penser que notre historien pouvait bien être son parent, et comme lui d’une famille noble. Froissart est qualifié chevalier à la tête d’un Mss. de l’Abbaye de St.-Germain-des-Prez ; mais comme il n’a ce titre dans aucun autre Mss., quoique nous en ayons de plus anciens et de plus authentiques, il est vraisemblable que le copiste le lui aura donné de sa propre autorité.

Son enfance annonça ce qu’il devait être un jour. Il montra de bonne heure cet esprit vif et inquiet, qui pendant le cours de sa vie ne lui permit pas de demeurer long-temps attaché aux mêmes occupations et aux mêmes lieux. Les différents jeux propres à cet âge, dont il nous fait un tableau également curieux et amusant, entretenaient en lui un fonds de dissipation naturelle qui exerça souvent, dans le temps de ses premières études, la patience et la sévérité de ses maîtres.[5] Il aimait la chasse, la musique, les assemblées, les fêtes, les danses, la parure, la bonne chère, le vin, les femmes ; et ces goûts, qui se développèrent presque tous dès l’âge de douze ans, s’étant fortifiés par l’habitude, se conservèrent même dans sa vieillesse, et peut-être ne le quittèrent jamais. L’esprit et le cœur de Froissart n’étaient point encore assez occupés, son amour pour l’histoire remplit un vide que l’amour des plaisirs y laissait, et devint pour lui une source intarissable d’amusements.

Il ne faisait que sortir de l’école et avait à peine vingt ans, lorsqu’à la prière de son cher seigneur et maistre messire Robert de Namur, chevalier, seigneur de Beaufort, il entreprit d’écrire l’histoire des guerres de son temps, particulièrement de celles qui suivirent la bataille de Poitiers. Quatre ans après, étant allé en Angleterre, il en présenta une partie à la reine Philippe de Haynaut, femme d’Édouard III. Quelque jeune qu’il fût alors, il avait déjà fait des voyages dans les provinces les plus reculées de la France ; l’objet de celui qu’il fit en Angleterre, était de s’arracher au trouble d’une passion qui le tourmentait depuis long-temps. Elle s’alluma dans son cœur presque dès son enfance, elle dura dix années, et les étincelles s’en réveillèrent encore dans un âgé plus avancé, malgré sa teste chenue et ses cheveux blancs. Quand les poëtes chantent leurs amours, on ne les en croit pas toujours sur leur parole : comme Froissart ne parle du sien que dans ses poésies, on pourrait traiter ce qu’il en dit de pure fiction ; mais le portrait qu’il en fait est si naturel, que l’on ne peut se dispenser d’y reconnaître le caractère d’un jeune homme amoureux, et l’expression naïve d’une véritable passion. Il feint qu’à l’âge de douze ans, Mercure lui apparut suivi des trois déesses dont Pâris jugea autrefois le différend ; que ce Dieu rappelant à sa mémoire la protection qu’il lui avait accordée depuis l’âge de quatre ans, lui ordonna de revoir le procès des trois divinités ; qu’il confirma la sentence de Pâris, et que Vénus lui promit pour récompense une maîtresse plus belle que la belle Hélène, et d’un si haut rang que jusqu’à Constantinople il n’y avait comte, duc, roi, ni empereur qui ne s’estimât heureux de l’obtenir[6]. Il devait servir cette beauté[7] pendant dix ans, et toute sa vie devait être consacrée au culte de la divinité qui lui faisait de si belles promesses.

Froissart avait aimé de bonne heure les romans ; celui de Cléomadès[8] fut le premier instrument dont l’amour se servit pour le captiver. Il le trouva entre les mains d’une jeune personne qui le lisait, et qui l’invita à le lire avec elle ; il y consentit ; de pareilles complaisances coûtent peu : il se forma bientôt entr’eux un commerce de livres. Froissart lui prêta le roman du Baillou d’Amours[9], et en le lui envoyant, il y glissa une ballade dans laquelle il commençait à parler de son amour. Ce feu naissant devint un embrasement que rien ne put éteindre, et Froissart ayant éprouvé toute l’agitation qu’une première passion fait sentir, fut presque réduit au désespoir, quand il apprit que sa maîtresse était sur le point de se marier : l’excessive douleur dont il fut frappé, le rendit malade plus de trois mois. Il prit enfin le parti de voyager pour se distraire et pour rétablir sa santé. Comme il s’était mis en chemin avec plusieurs personnes, il fut obligé de s’observer pour cacher son trouble. Après deux jours de marche, pendant lesquels il n’avait cessé de faire des vers à l’honneur de sa dame, il arriva dans une ville que je crois être Calais[10], où il s’embarqua. Une tempête qui survint, et qui menaçait le vaisseau d’un prochain naufrage, ne fut pas capable de suspendre l’application avec laquelle il travaillait encore à un rondeau pour sa maîtresse ; la tempête était calmée, et le rondeau achevé, lorsqu’il se trouva sur une côte où l’on aime mieux, dit-il, la guerre que la paix, et où les estrangers sont très-bien venus ; il parle de l’Angleterre. L’accueil qu’on lui fit, les amusements qu’on lui procura dans les sociétés des Seigneurs, des Dames et des Damoiselles, les caresses, dont on l’accabla, rien ne charmait l’ennui qui le dévorait ; en sorte que ne pouvant supporter plus long-temps les tourments de l’absence, il résolut de se rapprocher. Une dame (la reine Philippe de Haynaut) qui le retenait en Angleterre, connut par un virelai qu’il lui présenta, le principe de son mal : elle y compatit ; et lui ordonnant de retourner dans son pays, à condition néanmoins qu’il reviendrait, elle lui fournit de l’argent et des chevaux pour faire le voyage. L’amour le conduisit bientôt auprès de la dame qu’il aimait. Froissart ne laissa échapper aucune occasion de se trouver dans les lieux où il pouvait la voir, et s’entretenir avec elle. Nous avons vu plus haut qu’elle était d’un rang si distingué, que les rois et les empereurs l’auroient recherchée ; ces termes pris à la lettre, ne conviennent qu’à une personne issue du sang des rois, ou de quelque souverain ; mais comment accorder l’idée d’une si grande naissance avec le détail qu’il nous fait des conversations secrettes, des jeux et des assemblées où il avait la liberté de se trouver et le jour et la nuit ? Comme si ces traits n’eussent pas suffi de son temps pour la faire connoître, il semble avoir voulu la désigner plus clairement par le nom d’Anne[11], dans des vers énigmatiques qui font partie de ses Poésies. On pourrait présumer que cet amour si vif et si tendre eut le sort de presque toutes les passions. Froissart parle dans un de ses rondeaux, d’une autre dame qu’il avait aimée, et dont le nom composé de cinq lettres, se rencontrait dans celui de Polixena[12] : ce pourrait être une Alix qu’on écrivait anciennement Aélix. Il y a lieu de croira qu’il en eut une troisième appelée Marguerite, et que c’est elle qu’il célèbre indirectement dans une pièce[13] faite exprès, sous le titre, et à l’honneur de la fleur de ce nom. Peut-être chercha-t-il dans des goûts passagers quelque remède à une passion, qui, selon lui, fut toujours malheureuse. Du moins nous savons que désespéré du peu de succès de ses assiduités et de ses soins auprès de sa première maîtresse, il prit là résolution de s’éloigner encore une fois. Cette absence fut plus longue que la précédente ; il retourna en Angleterre, et s’attacha au service de la reine Philippe. Cette princesse, sœur de la comtesse de Namur, femme de Robert, dont Froissart paraît avoir été domestique, voyait toujours avec plaisir les gens du Haynaut son pays ; elle aimait les lettres ; le collége d’Oxford qu’elle fonda, et qui est encore aujourd’hui connu sous le nom de Collége de la Reine, est un illustre monument de la protection qu’elle leur accordait. Ainsi Froissart réunissait tous les titres qui pouvaient mériter l’affection de la reine Philippe. L’histoire qu’il lui présenta[14], comme je l’ai dit, soit au premier voyage, soit au second (car il n’est pas possible de décider), fut très-bien reçue, et probablement lui valut le titre de clerc (c’est-à-dire Secrétaire ou Écrivain) de la chambre de cette princesse, qu’il avait dès l’an 1361.

Au siècle de Froissart on était persuadé que l’amour était le motif des plus grandes actions de courage et de vertu. Les chevaliers en faisaient parade dans les tournois. Les guerriers s’exposaient aux combats les plus périlleux pour soutenir la beauté et l’honneur de leurs dames. On croyait alors que l’amour pouvait se borner à un commerce délicat de galanterie et de tendresse. C’est presque sous cette forme que nous le voyons représenté dans la plupart des ouvrages d’esprit qui nous restent de ce temps : les dames ne rougissaient pas de connaître une passion si épurée, et les plus sages en faisaient le sujet ordinaire de leurs conversations… La reine d’Angleterre prenait souvent plaisir à faire composer par Froissart des poésies amoureuses ; mais cette occupation ne devait être regardée que comme un délassement, qui ne ralentissait aucunement des travaux plus sérieux, puisqu’il fit, aux frais de cette princesse, pendant les cinq années qu’il passa à son service, plusieurs voyages, dont l’objet paraît avoir été de rechercher tout ce qui devait servir à enrichir son histoire. J’ai tiré ces dernières circonstances d’une préface[15] qui se lit dans plusieurs Mss. à la tête du 4.e volume de la Chronique de Froissart.

« À la requeste, comtemplation et plaisance de très-haut, et noble prince, mon très-cher seigneur et mon maistre Guy de Chastillon, comte de Chimay et de Blois, seigneur d’Avesne, de Beaumont, d’Escounehove[16] et de là Gode[17] : je Jehan Froissard, prestre, chapelain à mon très-cher seigneur dessus nommé, et pour le temps de lors trésorier et chanoine de Chimay et de l’Isle en Flandres, me suis de nouvel reveillé et entré dans ma forge, pour ouvrer et forgier en la haulte et noble matière de laquelle du temps passé je me suis ensonnié, laquelle traicte et propose les faits et les advenues des guerres de France et d’Angleterre, et de tous leurs conjoints et leurs adherans, et comme il appert clèrement par les traictiés qui sont clos jusqu’au jour de la présente datte de mon resveil. Or considerez entre vous qui le lisez, et avez leu, ou orrez lire, comment je puis avoir sceu ne rassemblé tant de faits desquels je traicte et propose, et tant de parties ; et pour vous informer de la verité je commençai jeune de l’âge de vingt ans ; et je suis venu au monde avec les faitz et advenues, et si y ay tous-jours prins grant plaisance plus qu’à autre chose ; et si Dieu m’a donné tant de grâce que j’ay esté bien de toutes parties, et des hostels des roys, et par especial du roy Édouard, et de la noble royne sa femme madame Philippe de Haynaut, royne d’Angleterre, dame d’Irlande et d’Acquitaine, à laquelle en ma jeunesse je fu clercs ; et la desservoie de beaux dictiez et traitez amoureux ; et pour l’amour du service de la noble et vaillant dame à qui j’estoie, tous autres grands seigneurs, ducs, comtes, barons et chevaliers, de quelconques nations qu’ils fussent, m’amoient et me véoient volentiers, et me faisaient grant prouffit. Ainsi au titre de la bonne dame, et à ses coustages, et aux coustages de haulx seigneurs, en mon temps je cherchai la plus grande partie de la chrestienté, voire qui à chercher fait ; et par-tout où je venoie je faisoie enqueste aux anciens chevaliers et escuyers, qui avoient esté ès fais d’armes, et qui proprement en savoient parler, et aussi à anciens heraux de crédence, pour vérifier et justifier toutes les matières ; ainsy-ai-je rassemblé la noble et haute histoire et matière ; et le gentil comte de Blois dessus nommé y a rendu grant peine. Et tant comme je vivray par la grâce de Dieu, je la continuerai ; car comme plus y suis, et plus y labeure, et plus me plaist. Car ainsi comme le gentil chevalier ou escuyer qui aime les armes, en persévérant et continuant il se nourrit et parfait, ainsi en labourant et ouvrant sur cette matière je m’abilite et delite. »

De toutes les particularités de la vie de Froissart pendant son séjour en Angleterre, nous savons seulement qu’il assista aux adieux que le roi et la reine firent en 1361 au prince de Galles leur fils, et à la princesse sa femme, qui allaient prendre possession du gouvernement d’Aquitaine, et qu’il était entre Eltham et Westminster en l’année 1363 au passage du roi Jean, qui retournait en Angleterre. On trouve dans ses poésies une pastourelle, qui semble ne pouvoir convenir qu’à cet événement. À l’égard des voyages qu’il fit étant au service de la reine, il employa six mois à celuy d’Écosse, et pénétra jusqu’à l’Écosse qu’il appelle Sauvage : il voyageait à cheval, ayant sa malle derrière lui[18] et suivi d’un lévrier[19]. Le roi d’Écosse, et plusieurs seigneurs dont il nous a conservé les noms, le traitèrent si bien, qu’il aurait souhaité d’y aller encore une fois. Guillaume, comte de Douglas, le logea pendant quinze jours dans son château d’Alkeith à cinq lieues d’Édimbourg ; nous ignorons la date de ce voyage, et d’un autre qu’il fit dans la Norgalle (North-Wales), que je crois du même temps. Il était en France à Melun-sur-Seine vers le 20 avril 1366 ; peut-être des raisons particulières l’avaient conduit par cette route à Bordeaux, où on le voit à la Toussaint de la même année, lorsque la princesse de Galles accoucha d’un fils, qui fut depuis le roi Richard II.

Le prince de Galles étant parti peu de jours après pour la guerre d’Espagne, et s’étant rendu à Auch[20], où il demeura quelque temps, Froissart l’y accompagna, et comptait le suivre dans tout le cours de cette grande expédition ; mais le prince ne lui permit pas d’aller plus loin ; à peine était-il arrivé qu’il le renvoya auprès de la reine sa mère. Froissart ne dut pas faire un long séjour en Angleterre, puisqu’il se trouva l’année suivante dans plusieurs cours d’Italie. Ce fut la même année, c’est-à-dire en 1368, que Lyonel duc de Clarence, fils du roi d’Angleterre, alla épouser Iolande, fille de Galéas II, duc de Milan ; le mariage fut célébré le 25 avril, et Lyonel mourut le 17 octobre suivant. Froissart, qui vraisemblablement était de sa suite, assista à la magnifique réception que lui fit à son retour Amédée, comte de Savoie, surnommé le Comte Verd ; il décrit les fêtes qui furent données à cette occasion durant trois jours ; il n’oublie pas de dire qu’on y dansa un virelai de sa composition. De la cour de Savoie il retourna à Milan, où le même comte Amédée lui donna une bonne cotte-hardie[21] de vingt florins d’or, puis à Boulogne et à Ferrare, où il reçut encore quarante ducats de la part du roi de Chypre,[22] et enfin à Rome[23]. Au lieu de l’équipage simple avec lequel nous l’avons vu voyager en Écosse, il marchait en homme d’importance, avec un roussin et une haquenée.

Ce fut à peu près dans ce temps que Froissart fit une perte dont rien ne put le dédommager : Philippe de Haynaut, reine d’Angleterre, qui l’avait comblé de biens, mourut en 1369. Il composa un lai sur ce triste événement, dont il ne fut cependant pas témoin, puisqu’il dit ailleurs, qu’en 1395, il y avait 27 ans qu’il n’avait vu l’Angleterre. Si on en croit plusieurs auteurs[24], il écrivit la vie de la reine Philippe ; mais cette opinion n’est fondée sur aucune preuve.[25]

Indépendamment de l’emploi de Clerc de la chambre de la reine d’Angleterre que Froissart avait eu, il avait été de l’hostel d’Édouard III, son mari, et même de celui de Jean, roi de France. Comme il se trouve encore plusieurs princes et seigneurs de l’hostel[26] desquels il dit avoir été, ou qu’il appelle ses seigneurs et ses maîtres, il est bon d’observer, que par ces façons de parler, il ne désigne pas seulement les princes et seigneurs à qui il avait été attaché comme domestique, mais encore tous ceux qui lui avaient fait des présents ou des gratifications, ou qui l’ayant reçu dans leurs cours, ou dans leurs châteaux, lui avaient donné ce qu’on appelle bouche-à-cour.

Froissart ayant perdu la reine Philippe sa bienfaitrice, au lieu de retourner en Angleterre, alla dans son pays[27], où il fut pourvu de la cure[28] de Lestines[29]. De tout ce qu’il fit dans l’exercice de son ministère, il ne nous apprend autre chose sinon que les taverniers de Lestines eurent cinq cents francs de son argent dans le peu de temps qu’il fut leur curé. On lit dans un journal[30] manuscrit de l’évêque de Chartres, chancelier du duc d’Anjou, que suivant des lettres scellées du 12 décembre 1381, ce prince fit arrester cinquante-six quayiers de la Chronique de Jehan Froissart, recteur de l’église parrochiale de Lescines, que l’historien envoyait pour être enluminés, et ensuite portés au roi d’Angleterre ennemi de la France.

Froissart s’attacha depuis à Venceslas de Luxembourg, duc de Brabant, peut-être en qualité de secrétaire, suivant l’usage dans lequel étaient les princes et les seigneurs, d’avoir des clercs qui faisaient leurs affaires, qui écrivaient pour eux, ou qui les amusaient par leur savoir et par leur esprit. Venceslas avait du goût pour la poésie : il fit faire un recueil de ses chansons, de ses rondeaux et de ses virelais par Froissart, qui joignant quelques-unes de ses pièces à celles du prince, en forma une espèce de roman, sous le titre de Meliador[31], ou du Chevalier au soleil d’or ; mais le duc ne vécut pas assez long-temps pour voir la fin de l’ouvrage, étant mort en 1384. Presqu’aussitôt Froissart trouva un nouveau protecteur : il fut fait Clerc de la chapelle de Guy, comte de Blois, et il ne tarda pas à signaler sa reconnaissance pour son nouveau protecteur, par une pastourelle[32] sur les fiançailles de Louis comte de Dunois, fils de Guy, avec Marie, fille du duc de Berry : deux ans après, le mariage s’étant fait à Bourges, il le célébra par une espèce d’épithalame assez ingénieuse pour le temps, intitulée Le Temple d’honneur.

Il passa les années 1385, 1386, et 1387, tantôt dans le Blaisois, tantôt dans la Touraine ; mais le comte de Blois l’ayant engagé à reprendre la suite de l’histoire qu’il avait interrompue, il résolut en 1388, de profiter de la paix qui venait de se conclure, pour aller à la cour de Gaston Phœbus, comte de Foix et de Béarn, s’instruire à fond de ce qui regardait les pays étrangers et les provinces du royaume les plus éloignées, où il savait qu’un grand nombre de guerriers se signalaient tous les jours par de merveilleux faits d’armes. Son âge et sa santé lui permettaient encore de soutenir de longues fatigues ; sa mémoire était assez bonne pour retenir tout ce qu’il entendrait dire, et son jugement assez sain pour le conduire dans l’usage qu’il en devait faire. Il partit avec des lettres de recommandation du comte de Blois pour Gaston Phœbus, et prit sa route par Avignon. Une de ses pastourelles nous apprend qu’il séjourna dans les environs d’une abbaye[33] située entre Lunel et Montpellier, et qu’il s’y fit aimer d’une jeune personne qui pleura son départ : il dit dans la même pièce qu’il menait au comte de Foix quatre lévriers[34] pour lui en faire présent. Gaston aimait passionnément le déduit des chiens, il en avait toujours plus de seize cents, et il nous reste de ce prince un traité de la chasse, que l’on conserve manuscrit dans plusieurs bibliothèques, et qui a été imprimé[35] en 1520. Froissart alla de Carcassonne à Pamiers dont il fait une agréable description, et s’y arrêta trois jours, en attendant que le hasard lui fit rencontrer quelqu’un avec qui il pût passer en Béarn. Il fut assez heureux pour trouver un chevalier du comté de Foix, qui revenait d’Avignon, et ils marchèrent de compagnie. Messire Espaing du Lyon (c’est le nom du chevalier) était un homme de grande distinction[36] ; il avait eu des commandements considérables, et fut employé toute sa vie dans des négociations aussi délicates qu’importantes. Les deux voyageurs se convenaient parfaitement : le chevalier, qui avait servi dans toutes les guerres de Gascogne, désirait avec passion apprendre ce qui concernait celles dont Froissart avait connaissance ; et Froissart plus en état que personne de le satisfaire, n’était pas moins curieux des événements auxquels le chevalier avait eu part. Ils se communiquèrent ce qu’ils savaient avec une égale complaisance : ils allaient à côté l’un de l’autre et souvent aux pas de leurs chevaux : toute leur marche se passait en des conversations où ils s’instruisaient réciproquement. Villes, châteaux, masures, plaines, hauteurs, vallées, passages difficiles, tout réveillait la curiosité de Froissart, et rappelait à la mémoire du seigneur Espaing du Lyon, les diverses actions qui s’y étaient passées sous ses yeux, ou dont il avait ouï parler à ceux qui s’y étaient trouvés. L’historien, trop exact dans le récit qu’il nous fait de ces conversations, rapporte jusqu’aux exclamations par lesquelles il témoignait au chevalier sa reconnaissance, pour toutes les choses intéressantes qu’il voulait bien lui apprendre. S’ils arrivaient dans une ville avant le coucher du soleil, ils mettaient à profit le peu de jour qui restait, pour en examiner les dehors, ou pour observer les lieux des attaques qui s’y étaient faites : de retour à l’hôtellerie, ils continuaient les mêmes propos, ou entre eux seuls, ou avec d’autres chevaliers ou écuyers qui s’y trouvaient logés ; et Froissart ne se couchait point qu’il n’eût écrit tout ce qu’il avait entendu. Après une marche de six jours, ils arrivèrent à Orthez. Cette ville, une des plus considérables du Béarn, était le séjour ordinaire de Gaston, comte de Foix et vicomte de Béarn, surnommé Phœbus à cause de sa beauté. Froissart ne pouvait choisir une cour plus convenable à ses vues. Le comte de Foix, âgé de cinquante-neuf ans, était encore l’homme de son siècle le plus vigoureux, le plus beau et le mieux fait : adroit à tous les exercices, valeureux, consommé dans l’art de la guerre, noble et magnifique, il ne venait chez lui aucun guerrier qui n’emportât des marques de sa libéralité : son château était le rendez-vous de tout ce qu’il y avait de braves capitaines qui s’étaient distingués dans les combats et dans les tournois : les entretiens n’étaient que d’attaques de places, de surprises, de siéges, d’assauts, d’escarmouches, de batailles : les amusements n’étaient que des jeux d’exercice, d’adresse, et de force, des joûtes, des tournois et des chasses, plus pénibles et presque aussi périlleuses que la guerre même. Ces détails méritent d’être lus dans Froissart ; je ne puis que tracer imparfaitement ce qu’il a si bien peint.

Le comte de Foix ayant été informé par messire Espaing du Lyon, de l’arrivée de Froissart, qui était déjà connu à la cour d’Orthez par les deux premiers volumes de sa Chronique, l’envoya chercher chez un de ses écuyers[37] qui le logeait, et le voyant venir de loin, lui dit d’un air riant, et en bon françois : qu’il le connoissoit bien quoy qu’il ne l’eust jamais veu, mais qu’il avoit bien ouï parler de luy ; et le retint de son hostel. Cette expression, comme on l’a déjà dit, ne signifie pas que Froissart eut un logement dans le château, car on voit le contraire, mais seulement qu’il fut défrayé aux dépens du comte durant l’hiver qu’il passa auprès de lui. Son occupation la plus ordinaire pendant ce temps, était d’amuser Gaston après son souper, par la lecture du roman de Meliador qu’il avait apporté : tous les soirs il se rendait au château à l’heure de minuit, qui était celle où le comte se mettait à table : personne n’eût osé interrompre le lecteur. Gaston lui-même qui l’écoutait avec une attention infinie, ne l’interrompait que pour lui faire des questions sur cet ouvrage ; et jamais il ne le renvoyait qu’il ne luy eût fait vuider auparavant tout ce qui estoit resté du vin de sa bouche. Quelquefois ce prince prenait plaisir à l’instruire des particularités des guerres dans lesquelles il s’estoit distingué. Froissart ne tira pas moins de lumières de ses fréquents entretiens avec les écuyers et les chevaliers qu’il trouva rassemblés à Orthez, surtout avec les chevaliers d’Arragon et d’Angleterre, de l’hostel du duc de Lancastre, qui faisait alors sa résidence à Bordeaux : ils lui racontèrent ce qu’ils savaient des batailles des rois de Castille et de Portugal, et de leurs alliés : entre les autres, le fameux Bastard de Mauléon, en lui faisant l’histoire de sa vie, lui faisait celle de presque toutes les guerres arrivées dans les différentes provinces de France, et même en Espagne, depuis la bataille de Poitiers où il avait commencé à porter les armes. Quoiqu’appliqué sans relâche à ramasser des mémoires historiques, Froissart donnait encore quelques moments à la poésie ; nous avons de lui une Pastourelle qu’il paraît avoir composée au pays de Foix, en l’honneur de Gaston Phœbus : il dit qu’étant

En beau pré vert et plaisant
Pardessus Gave la rivière.
Entre Pau et Ortais séant,

il vit des bergers et des bergères qui s’entretenaient de divers seigneurs et de leurs armoiries. Il se sert adroitement de cette fiction pour nommer avec éloge ceux de qui il avait reçu quelques bienfaits, et termine sa liste par le comte de Foix.

Apres un assez long séjour à la cour d’Orthez, Froissart songeait à s’en retourner : il fut retenu par Gaston, qui lui fit espérer une occasion prochaine de voyager en bonne compagnie. Le mariage de la comtesse de Boulogne, parente du comte, ayant été conclu avec le duc de Berry, la jeune épouse fut conduite d’Orthez à Morlas, où les équipages du duc son mari l’attendaient : il partit à sa suite, après avoir reçu des marques de la libéralité de Gaston[38] qui le pressa instamment de revenir le voir : il accompagna la princesse à Avignon, et dans le reste de la route qu’elle fit à travers le Lyonnais, la Bresse, le Forez et le Bourbonnais, jusqu’à Riom en Auvergne. Le passage d’Avignon fut fatal à Froissart ; on le vola : cette triste aventure fait le sujet d’une longue poésie[39], dans laquelle il place plusieurs circonstances de sa vie, dont j’ai fait usage dans ce mémoire. On voit par cette pièce, que le désir de visiter le tombeau du cardinal de Luxembourg mort en odeur de sainteté, n’était pas le seul motif qui l’eût porté à repasser par Avignon en suivant la jeune princesse, mais qu’il avait une commission particulière du seigneur de Couci. Il aurait pu, dit-il, chercher à se dédommager de la perte de son argent, en sollicitant quelque bénéfice ; mais cette ressource n’était pas de son goût : il faisait plus de fonds sur la générosité du seigneur de la Rivière et du comte de Sancerre qui accompagnaient la duchesse de Berry, et sur celle du vicomte d’Asci. Il se donne, dans la même pièce, pour un homme d’une grande dépense. Outre le revenu de la cure de Lestines, qui était considérable, il avait depuis vingt-cinq ans touché deux mille francs dont il ne lui restait plus rien : la composition de ses ouvrages lui en avait coûté sept cents, mais il ne regrettait pas cette dépense ; car aussi ay-je fait, dit-il, mainte histoire dont il sera parlé dans la postérité : le reste avait été consommé tant chez les Taverniers de Lestines que dans ses voyages, qu’il faisait toujours en bon équipage, bien monté, bien vêtu, et faisant partout bonne chère.

Froissart avait été présent à toutes les fêtes qui furent données au mariage du duc de Berry, célébré la nuit de la Pentecôte à Riom en Auvergne. Il composa une pastourelle pour le lendemain des noces ; puis retournant en France avec le seigneur de la Rivière[40], il se rendit à Paris. Son activité naturelle, et sur-tout la passion de s’instruire dont il était sans cesse occupé, ne lui permirent pas d’y demeurer long-temps. Nous l’avons vu en six mois passer du Blaisois à Avignon, ensuite dans le comté de Foix, d’où il revint encore à Avignon, et traversa l’Auvergne pour aller à Paris. On le voit, en moins de deux ans, successivement dans le Cambrésis, dans le Haynaut, dans la Hollande, dans la Picardie, une seconde fois[41] à Paris, dans le fond du Languedoc, puis encore à Paris et à Valenciennes ; de là à Bruges, à l’Écluse, dans la Zélande, enfin dans son pays. Il accompagne dans le Cambrésis le seigneur de Couci au château de Crèvecœur que le roi venait de lui donner : il lui raconte ce qu’il avait vu, et apprend de lui différentes circonstances des négociations entre la France et l’Angleterre. Après avoir donné quinze jours à sa patrie, il passe un mois en Hollande auprès du comte de Blois, en l’entretenant de ses voyages. Il va s’instruire par lui-même du détail des négociations de la paix qui se traitait à Lolinghen. Il assiste à la magnifique entrée que la reine Isabelle de Bavière fait dans Paris. L’exactitude avec laquelle il parle du cérémonial observé entre le pape et le roi Charles VI à Avignon, semble prouver qu’il avait assisté à leur entrevue, d’autant plus qu’il est certain que Charles VI étant allé d’Avignon à Toulouse recevoir l’hommage du comte de Foix, Froissart s’y trouva, et entendit leur conversation. Il ne se passait rien de nouveau, comme on le voit, dont Froissart ne voulût être témoin : fêtes, tournois, conférences pour la paix, entrevues de princes, et leurs entrées, rien n’échappait à sa curiosité. Il paraît qu’au commencement de 1390, il retourna dans son pays, et qu’il ne songeait qu’à reprendre la suite de son histoire, pour la continuer sur les instructions qu’il avait amassées de tous côtés avec tant de peines et de fatigues : mais celles qu’il avait eues au sujet de la guerre d’Espagne, ne le satisfaisaient pas encore : il lui survint quelque scrupule de n’avoir entendu qu’une des deux parties, c’est-à-dire les Gascons et les Espagnols qui avaient tenu pour le roi de Castille. Il était du devoir d’un écrivain exact et judicieux de savoir aussi ce qu’en disaient les Portugais. Sur l’avis qu’on lui donna qu’il pourrait en trouver à Bruges un grand nombre, il s’y rendit. La fortune le servit au-delà de ses espérances, et l’enthousiasme avec lequel il en parle, peint l’ardeur avec laquelle il désirait tout approfondir. À son arrivée, il apprit qu’un chevalier Portugais, vaillant homme et sage, et du conseil du roy de Portugal, nommé Jean Ferrand Portelet, était depuis peu à Middelbourg en Zelande. Portelet qui allait alors en Prusse à la guerre contre les infidèles, s’était trouvé à toutes les affaires de Portugal : aussitôt Froissart se met en marche avec un Portugais ami du chevalier, va à l’Écluse, s’embarque et arrive à Middelbourg, ou son compagnon de voyage le présente à Portelet. Ce chevalier gracieux, amiable et acointable, lui raconta, pendant les six jours qu’ils passèrent ensemble, tout ce qui s’était fait en Portugal et en Espagne depuis la mort du roi Ferrand jusqu’à son départ de Portugal. Froissart aussi content des récits de Portelet que de sa politesse, prit congé de lui, et revint dans sa patrie, où réunissant toutes les connaissances qu’il avait acquises dans ses différents voyages, il en composa un nouveau livre, qui fait le troisième de son histoire.

Le passage d’où sont tirées ces circonstances, ajoute que Froissart, en quittant la Zélande, et avant que de retourner dans son pays, alla encore une fois à Rome. Quoi qu’en cela les exemplaires imprimés soient conformes aux manuscrits, ce voyage, dont il n’est point parlé ailleurs, me paraît hors de toute vraisemblance. Denis Sauvage assure, à la marge, qu’au lieu de Romme il faut lire l’Écluse, Bruges ou Valenciennes ; il est plus naturel de lire Damme[42], port voisin de l’Écluse, où on a vu que l’historien s’était embarqué. On ne saurait déterminer la durée du séjour que Froissart fit dans le Haynaut ; on sait seulement qu’il était encore à Paris en 1392, lorsque le connestable de Clisson fut assassiné par Pierre de Craon ; et à Abbeville, sur la fin de la même année, ou au commencement de la suivante, pendant les conférences qui se tenaient entre les plénipotentiaires de France et d’Angleterre, lesquelles opérèrent enfin une trêve de quatre ans.

Dès l’année 1378, Froissart avait obtenu du pape Clément VII l’expectative d’un canonicat à Lille[43]. On voit dans le recueil de ses poésies, qui fut achevé en 1393, et dans une préface qui se trouve dans plusieurs manuscrits à la tête du quatrième volume de son histoire, composé vers le même temps, qu’il se qualifiait Chanoine de Lille[44] ; mais Clément VII étant mort en 1394, il abandonna la poursuite de son expectative, et commença à ne prendre que la qualité de Chanoine et Trésorier de l’église collégiale de Chimay[45], qu’il devait probablement à l’amitié dont le comte de Blois[46] l’honorait : la seigneurie de Chimay faisait partie de la succession que ce comte avait recueillie en 1381, par la mort de Jean de Chastillon, comte de Blois, le dernier de ses frères.

Il y avait vingt-sept ans[47] que Froissart était parti d’Angleterre, lorsqu’à l’occasion de la trêve qui se fit entre les Français et les Anglais, il y retourna[48] en 1394, muni de lettres de recommandation pour le roi et pour ses oncles. De Douvres où il débarqua, il alla à Saint Thomas de Cantorbéry, fit son offrande sur le tombeau du saint ; et par respect pour la mémoire du prince de Galles de qui il avait été fort connu, il visita son magnifique mausolée. Là il vit le jeune roi Richard, qui était venu rendre grâces à Dieu des succès de sa dernière campagne en Irlande : mais malgré la bonne volonté du seigneur de Percy, sénéchal d’Angleterre, qui avait promis de lui procurer une audience du roi, il ne put parvenir à lui être présenté, et fut obligé de suivre ce prince dans les différents lieux qu’il parcourut jusqu’à son arrivée à Ledos (Leeds). Ce ne fut pas un temps perdu pour l’historien : les Anglais étaient encore pleins de leur expédition en Irlande ; il se fit raconter et leurs exploits, et les choses merveilleuses qu’ils y avaient vues. Étant enfin arrivé à Ledos (Leeds), il rendit au duc d’Yorck les lettres du comte de Haynaut et du comte d’Ostrevant. Maistre Jean, lui dit le duc, tenez vous toujours de lès nous et nos gens, nous vous ferons toute amour et courtoisie ; nous y sommes tenus pour l’amour du temps passé et de nostre dame de mère à qui vous fûtes ; nous en avons bien la souvenance. Ensuite il l’introduisit dans la chambre du roi, qui le reçut avec des marques de bonté très distinguées. Richard prit les lettres dont il était chargé, et lui dit, après les avoir lues, que s’il avoit esté de l’hostel de son ayeul et de madame son ayeule, encore estoit-il de l’hostel d’Angleterre. Cependant Froissart ne put encore présenter au roi le roman de Meliador qu’il lui avait apporté, et Percy lui conseilla d’attendre une circonstance plus favorable. Deux objets importants occupaient alors Richard tout entier : d’une part, le projet de son mariage avec Isabelle de France, de l’autre, l’opposition des peuples de l’Aquitaine à la donation qu’il avait faite de cette province au duc d’Yorck son oncle. Les prélats et les barons d’Angleterre ayant été convoqués à Elten (Eltham) pour délibérer sur ces deux affaires, Froissart suivit la cour. Il écrivait chaque jour ce qu’il apprenait des nouvelles du temps, dans ses conversations avec les seigneurs anglais ; et Richard de Servy[49] (Stury) qui était du conseil estroit du roy, lui confiait exactement les résolutions que l’on y prenait, le priant seulement de les tenir secrètes jusqu’à ce qu’elles fussent divulguées.

Enfin le dimanche qui suivit la tenue de ce conseil, le duc d’Yorck, Richard de Servy (Stury), et Thomas de Percy trouvant le roi moins occupé, lui parlèrent du roman que Froissart lui avait apporté. Ce prince demanda à le voir : si le vit en sa chambre, dit l’historien, car tout pourveu je l’avoie, et lui mis sur son lict ; et lors l’ouvrit et regarda dedans, et luy plut très grandement ; et plaire bien luy devoit, car il estois enluminé, escrit et historié, et couvert de vermeil veloux à dix doux d’argent dorez d’or, et rose d’or au milieu à deux gros fermaux dorez et richement ouvrez, au milieu rosiers d’or. Adonc, continue Froissart, demanda le roy de quoy il traitoit, et je luy dy : d’amour. De ceste response fut tout resjoui ; et regarda dedans le livre en plusieurs lieux, et y lisit, car moult bien parloit et lisoit françois ; et puis le fit prendre par un sien chevalier qui se nommoit Messire Richard Credon et porter en sa chambre de retrait, dont il me fit bonne chère.

Henry Cristede, écuyer anglais, qui avait été présent à cet entretien, et qui savait d’ailleurs que Froissart écrivait l’histoire, l’aborda en lui demandant s’il était informé des détails de la conquête que le roi d’Angleterre venait de faire en Irlande. Comme Froissart, pour l’engager à parler, feignit de les ignorer, l’écuyer se fit un plaisir de les lui raconter. Tout ce que l’historien entendait, entre autres le récit du repas que le roi d’Angleterre donna aux quatre rois qu’il venait de subjuguer, excitait en lui de nouveaux regrets de n’être pas venu en Angleterre un an plus tôt, ainsi qu’il s’y préparait, lorsque la nouvelle de la mort[50] de la reine Anne rompit son dessein : il n’aurait pas manqué de passer en Irlande pour voir tout par lui-même, car il avait un intérêt particulier à recueillir les moindres circonstances de cette expédition dont il voulait faire part à ses seigneurs, le duc de Bavière[51] et son fils, qui avaient sur la Frise les mêmes prétentions que le roi d’Angleterre sur l’Irlande.

Après trois mois de séjour en Angleterre, Froissart prit congé du roi : ce prince qu’il avait suivi dans tous ses voyages aux environs de Londres[52], lui fit donner pour dernier témoignage de son affection cent nobles[53] dans un gobelet[54] d’argent doré, pesant deux marcs.

La triste catastrophe de Richard arrivée en 1399, est rapportée à la fin du quatrième livre de l’histoire de Froissart, qui s’acquitte de ce qu’il devait à la mémoire de ce prince, par la manière touchante dont il déplore ses malheurs. Au même endroit il observe que dans cet événement il voyait l’accomplissement d’une prédiction faite au sujet de Richard lorsqu’il naquit à Bordeaux, et d’une ancienne prophétie du livre du Brut,[55] laquelle désignait le prince par qui il devait être détrôné. La mort de Guy, comte de Blois, suivit de près le retour de Froissart dans son pays ; il la place dans sa Chronique sous l’année 1397. Il avait alors soixante ans[56], et vécut encore quatre ans au moins, puisqu’il raconte quelques événements de l’année 1400. Si l’on en croyait Bodin et la Popelinière, il aurait vécu jusqu’en 1420 ; mais ces deux écrivains ont peut-être été trompés par ces mots qui commencent le dernier chapitre du dernier livre de son histoire, En l’an de grâce mil quatre cent vng moins ; au lieu de lire ung, ainsi qu’il est écrit dans plusieurs Mss. et dans les éditions gothiques, ils auront lu vingt.

Un autre passage de Froissart pourrait donner lieu de penser qu’il a vécu jusques vers le milieu du XV.e siècle : en parlant du bannissement du comte d’Harcourt, qui engagea les Anglais à faire une descente dans la Normandie, il dit[57] que plus de cent ans après, on vit les suites funestes de leur irruption. Ces termes ne doivent pas être pris à la lettre ; l’auteur écrivait plutôt comme prévoyant les malheurs à venir qu’il craignait, que comme le témoin de leurs derniers progrès.

Au reste, il n’est pas possible de décider en quelle année il mourut, il paraît seulement que ce fut au mois d’octobre, puisque son Obit est indiqué pour ce mois dans l’Obituaire de l’église collégiale de Ste. Monegunde de Chimay, dont on trouvera un extrait à la fin de ce mémoire. Selon une ancienne tradition du pays, il fut enterré dans la chapelle de S.te Anne de cette collégiale ; et il est en effet assez probable qu’il vint finir ses jours dans son chapitre.

Le nom de Froissart a été commun à plusieurs personnes qui ont vécu dans le même temps que notre historien : outre le Froissart Meullier, jeune écuyer du Haynaut, dont j’ai parlé au commencement de ce mémoire, on trouve dans la chronique de notre historien un dom Froissart, qui s’était signalé au siége que le comte de Haynaut avait mis en 1340 devant la ville de Saint Amand. Ce moine défendit long-temps une brèche qui avait été faite au mur de l’abbaye, et ne l’abandonna qu’après avoir tué ou blessé dix-huit hommes. On lit à la fin de quelques chartes du comte de Foix une signature de J. Froissart, ou Jaquinot Froissart ; c’était un secrétaire du comte, et peut-être un parent de l’historien ; et il est encore fait mention dans les registres du trésor des chartes, d’une rémission accordée en 1375, à Philebert Froissart, écuyer, qui avait été en la compagnie des Gascons au pays de Guyenne sous Charles d’Artois, comte de Pezénas.

Pour ne point interrompre le fil de la narration j’ai renvoyé ici, à la fin de ce mémoire, l’examen d’un passage des Poésies de Froissart[58], qui indique en termes obscurs une des principales circonstances de sa vie. Il rappelle les fautes de sa jeunesse, et se reproche sur-tout d’avoir quitté un métier savant, pour lequel il avait des talents naturels, et qui lui avait acquis une grande considération (il paraît désigner l’histoire ou la poésie), pour en prendre un autre beaucoup plus lucratif, mais qui ne lui convenait pas plus que celui des armes[59], et qui lui ayant mal réussi, l’avait fait décheoir du degré d’honneur où le premier l’avait élevé : il veut, dit-il, réparer sa faute, et revenant à ses anciens travaux, transmettre à la postérité les glorieux noms des rois, princes et seigneurs, dont il avait éprouvé la générosité. Dans tout le cours de la vie de Froissart, je ne vois aucun temps où on puisse placer ce prétendu changement d’état, ni rien qui puisse nous faire connaître ce métier lucratif dont il parle, et que lui-même appelle marchandise. L’expression ne nous permet pas d’imaginer que ce fût l’état de curé ; quoiqu’il ait dit quelque part que la cure de Leptines était d’un revenu considérable : serait-ce la profession de praticien, ou celle de son père qui, était comme nous l’avons dit, peintre d’armoiries ? Une acception singulière du mot marchandise dans Commines pourrait nous fournir une explication plausible. Commines né dans le même pays, et qui n’était pas bien éloigné du temps de Froissart, emploie ce terme pour signifier une négociation d’affaires entre des princes. Le métier de négociateur, ou plutôt d’homme d’intrigue, qui cherche, sans caractère, à pénétrer le secret des cours, serait peut-être celui auquel Froissart se repent de s’être livré : les détails dans lesquels nous sommes entrés sur ses différents voyages, sur les longs séjours qu’il a souvent faits dans des circonstances critiques auprès de plusieurs princes, et sur les talents qu’il avait pour s’insinuer dans leurs bonnes grâces, me paraissent s’accorder avec cette conjecture.


Extrait d’un manuscrit tiré des archives du chapitre de Sainte Monegunde à Chimay, dans lequel se retrouvent les obits et fondations pieuses faites audit chapitre, et autres antiquitez. Folios 39 et 40 :

« L’obit de messire Jean Froissard, né de Valenciennes, chanoine et trésorier de ladite église qui florissoit l’an 1364, pourra icy prendre place pour la qualité du personnage, comme ayant esté chapelain-domesticq du prenomé Guy de Chatillion, comte de Soissons et de Blois, seigneur d’Avesne, Simai, Beaumont, etc., qui à aussi esté très-célèbre historiographe de son temps, et a escrit les guerres et chroniques, et choses les plus remarquables depuis l’an 1355 jusqu’à l’an 1400, selon que luy-même le rapporte en divers lieux de son histoire, et particulièrement au livre 4.e chap. 5, et comme aussi se voit par son éloge, dressé à sa louange par tel que s’ensuit :


Cognita Romane vix esset gloria gentis,
Pluirimis[60] hunc scriptis ni decorasset honos.
Tanti nempe refert totum scripsisse per orbem,
Quelibet et doctos secla tulisse viros !
Commemorent alios alii, super œthera tollam
Froissardum historie per sua secla ducem,
Scripsit enim historiam mage sexaginta per annos,

Totius mundique memoranda notat,
Scripsit et Anglorum Regine gesta Philippe
Que Guilielme[61], tua tertio[62], juncta toro
Honorarium.
Gallorum sublimis hanos et fama tuorum,
Hic, Froissarde, jaces, si modo iorte jaces.
Historie vivus studuisti reddere vitam,
Defuncto vitam reddet at illa tibi.

Joannes Froissardus Canonicus et Tesaurarius Ecclesie Collegiate Ste. Monugundis Simacis vetustissimo ferme totius Belgii oppido.

Proxima dum propriis florebit Francia scriptis,
Fania[63] dum ramos, Blancaque[64] fundet aquas,
Urbis ut hujus honos, templi sic fauva[65] vigebis,
Teque ducem historie Gallia tota colet,
Belgica tota colet Cymeaque vallis amabit,
Dum rapidus proprios Scaldis obibit agros.

Ledit Obit se dit en Octobre.

  1. Extrait du t. X. des Mémoires de l’Acad. des inscriptions et belles lettres.
  2. Son nom se trouve écrit de plusieurs façons différentes dans sa chronique même, et dans ses Poésies mss, Froissart, Froissard et Froissars.
  3. Chron., liv. I, Prologue XIV, p. 134, Prologue du 4.e liv.
  4. Dans une pastourelle à la page 284 de ses poésies Mss. n.o 7214 de la bibliothèque du roi, qui est celui que je citerai toujours, quoiqu’il y en ait un autre, n.o 7215.
  5. Tres que n’avoïe que douze ans
    Estoïe forment goulousans
    De véoir danses et carolles,
    D’oïr menestrels et parolles
    Qui s’apertiennent à deduit,
    Et, de ma nature introduit,
    D’amer par amours tous céauls
    Qui aiment et chiens et oiseauls :
    Et quant on me mist à l’escole,
    Où les ignorans on escole,
    Il y avoit des pucelettes,
    Qui de mon temps erent jonettes.
    Et je qui estoïe puceaus,
    Je les servoïe d’espinceaus,
    Ou d’une pomme ou d’une poire,
    Ou d’un seul anelet de ivoire ;
    Et me sambloit, au voir enquerre,
    Grant proesce à leur grasce acquerre,
    Et aussi es-ce vraiement ;
    Je ne le di pas aultrement.
    Et lors devisoie à par mi :
    Quant revendra le temps por mi
    Que par amours porai amer.

    Espinette amoureuse, p. 83 de ses poësies mss.

    Et si destoupe mes oreilles,
    Quant j’oc vin verser de bouteilles,

    Car au boire prens grant plaisir ;
    Aussi fai-je en beaus draps vestir,
    En vïande fresche et nouvelle,
    Quant à table m’en voi servir
    Mon esperit se renouvelle.
    Violettes en leurs saisons,
    Et roses blanches et vermeilles
    Voi volentiers, car c’est raisons ;
    Et chambres plainnes de candeilles.
    Jus et danses, et longes veilles,
    Et beaus lis pour li rafreschir,
    Et au couchier pour mieulx dormir
    Espices, clairet et rocelle ;
    En toutes ces choses véir
    Mon esperit se renouvelle.

    Ballade, à la p. 313 de ses poésies mss.

  6. … Je te donne don si noble,
    Il n’a jusque Constantinoble
    Emperéour, roy, duc, ne comte,
    Tant en doite-on faire de conte,
    Qui ne s’en tenist à payés.

    Espinette amoureuse, p. 92.

  7. Et Venus adonc me regarde,

    Et me dit : Dix ans tous entiers,
    Seras mon droit servant rentiers ;
    Et en après, sans penser visce
    Tout ton vivant en mon servisce.

    Ibid.
  8. Le roman de Cléomadès ne pouvait manquer d’être fort à la mode dans le pays de Froissart ; une princesse de Brabant (Marie, reine de France, seconde femme de Philippe le Hardi) en avait dicté l’histoire ou plutôt la fable au roy Adenez, menestrier de son père Henry III, dit le Débonnaire, duc de Brabant, et il était dédié à un comte d’Artois. Voyez dans Fauchet (Recueil des poëtes français), un grand détail de ce roman et de son auteur. Parmi plusieurs Mss. curieux du cabinet de M. de Sardière, il y en a un de la fin du xiii.e siècle, in-fol.sur vélin, très-beau et très-bien conservé, qui contient huit ou dix ouvrages de nos plus anciens poëtes, dont le premier est le roman de Cléomadès.
  9. Je ne connais point ce roman. Le Baillou d’Amours signifie le Baillif d’Amour.
  10. Elle n’est désignée que par ces vers :

    Que nous venins à une ville
    Ou d’Avolés a plus de mille,
    Et illec nous meismes en mer.

    Calais est le port où Froissart s’embarqua lorsqu’il repassa depuis en Angleterre en 1395. Le non d’Avolés, suivant Froissart, liv. I., fut donné à ceux que Jacques d’Artevelle avait bannis des villes de Flandres, parce qu’ils étaient contraires à son parti.

  11. … Plaisance m’a accusé
    À dire tout ce que je di :
    Autrement ne m’en escondi,
    Mais tellement nous pense mettre,
    Sans nommer nom, sournom ne lettre,
    Que qui assener y saura,
    Assez bon sentement aura ;
    Non pour quant les lettres sont dittes
    En quatre lettres moult petittes.
    Entre nous fusmes, et le temps
    Si venir y volés à temps,
    La trouverez n’en doutés mie,
    Pour congnoistre amant et amie.

    Dans les quatre lettres qui forment le nom de Jean que portait Froissart, on trouve celui d’Ane.

  12. Ballade à la page 316 de ses Poësies manuscrites.
  13. Dittie de la flour de la Margherite.
  14. Parlant des guerres de son temps. Si empris-je assez hardiment, moi issu de l’escole, à dicter et à ordonner les guerres dessus dites, et porter en Angleterre le livre tout compilé, comme je feis, et le présentay adonc à Madame Philippe de Haynaut, royne d’Angleterre, qui liement et doucement le receupt de moy, et m’en fit grand proffit.
  15. Cette préface était indiquée dans la table des chapitres du 4.e volume de l’un des abrégés mss., sur lesquels Sauvage a corrigé son édition, mais elle n’y était pas rapportée. Voyez la première annot. de Sauvage sur le 4.e vol. On la trouve en partie au commencement du chap. 54, p. 168 du 4.e liv. de la même édition, mais elle y est déplacée et tronquée. Ce que le Mss. contient de plus que l’imprimé se lit ici en caractères italiques. J’ai donné la préface entière dans mon édition.
  16. C’est Schone hove, petite ville des Provinces-unies, sur la rivière de Leck, à trois lieues de Rotterdam. Voyez Maty, Dictionn. Géogr. et les Délices des Pays-Bas.
  17. Goude, Gouda, ou Ter-gow, ville des Provinces-unies, à l’embouchure de la petite rivière de Gou d’où elle tire son nom, à trois lieues de Rotterdam, et à cinq de Leyde. Voy. la Martinière, Dict. Géogr. et les Délices des Pays-Bas, tom. 2, p, 291 et suiv.
  18. Poës. manus. Buisson de Jonece, pag. 343, et sa Chronique, liv. 4, chap. I.
  19. Poësies manuscrites, Debat dou cheval et dou levrier.
  20. On lit Ast en Gascogne. Ce même lieu est nommé Ach, liv. 4 et Sauvage dit que c’est Auch. Trois manuscrits de la bibliothèque du roy mettent Dax.
  21. Cotardie, ou comme il se trouve plus souvent écrit, cotte hardie, espèce de cotte, habillement commun aux hommes et aux femmes, ici un pourpoint. C’était une des libéralités que les grands étaient dans l’usage de faire ; ils mettaient de l’argent, comme on le voit par cet exemple, dans la bourse qui, suivant l’usage du même temps, y était attachée.
  22. Et c’est raison que je renomme
    De Cippre le noble roy Père,
    Et que de ses bienfaits me père.
    Premiers à Boulongne la grasce,
    D’Esconflans monseignour Eustasce
    Trouvai, et cilz me dist dou roy
    Dessus dit l’affaire et l’arroi ;
    Lequel me receut à ce tamps
    Com dis qui moult estoit sentans
    D’onnour et d’amour grant partie
    Liement en celle partie.
    Et me delivra à Ferrare
    Sire Tierceles de la Bare,

    À son commant lance sus faultre,
    Quarante ducas l’un sur l’autre.

    Buisson de Jeunesse, pag. 314 de ses Poésies manuscrites.

    Ce roi de Chypre était Pierre premier, qui mourut le 18 janvier 1368. Voy. Hist. généal. tom. 2, pag. 598 et 599.

  23. Froissart rapporte dans son Temple d’honneur, qu’étant à Rome il y avait vu un empereur. Ce pourrait être l’empereur Charles IV, qui passa en Italie en 1368, s’il ne disait dans une de ses pastourelles, qu’il n’a jamais vu cet empereur ; ainsi ce doit être l’empereur Paléologue, qui alla à Rome en 1369.
  24. Vossius, de Historicis latinis, lib. 3, cap. 4.

    Bullart, Académie des Sciences, tom. 4, pag. 124.

  25. Il n’en est fait aucune mention dans le livre de Pitseus des historiens d’Angleterre, ni dans le catalogue des illustres écrivains de la grande Bretagne, par Baleus.
  26. Parlant du seigneur de Coucy, il dit, un de mes seigneurs et maistres, et du comte Beraud Dauphin d’Auvergne, un mien seigneur et maistre ; Chron. liv. 4, Chap. I. On verra plus bas qu’il fut de l’hostel du comte de Foix.
  27. Froissart, à son retour d’Italie, ne suivit pas la même route qu’il avait prise en y allant. Pour voir de nouveaux pays, il était revenu par l’Allemagne, comme il le fait entendre dans son Dict dou Florin. Le sujet de cette pièce est un entretien que le poëte feint d’avoir eu avec le seul florin qui lui restait de beaucoup d’autres qu’il avait dépensés, ou qui lui avaient été volés, et ce florin lui reproche de l’avoir bien promené, car il avait appris avec lui le français et le thiois, c’est-à-dire l’allemand.
  28. Robert de Genève transféré depuis peu de l’évêché de Terouenne à celui de Cambray dont Lestines dépendait, avait pu donner cette cure à Froissart, en considération du comte de Savoie, son père.
  29. Lestines, autrefois un palais des rois de France, connu sous le nom de Liptinæ ou Lestinæ. Froissart l’appelle Lestines, et d’autres auteurs Letines, Liptines et Lessines. Ce dernier nom est celui qu’elle a retenu. C’est une petite ville située sur la rivière de Denre, à deux lieues d’Ath au sud, et de Grammont vers le nord, et à quatre lieues d’Enghien. L’église paroissiale est dédiée à saint Pierre, et son curé est un archiprestre de la chrestienté, sous le diocese de Cambray. Voy. Valois Not. au mot Liptinæ, les Délices des Pays-Bas, tom. 2, pag. 60 et suivantes, et Maty, Dict. géog.
  30. N.o 587 de la bibliothèque de Colbert, réunie à celle du roi. Ce manuscrit est le même dont la Laboureur a rapporté un extrait à la tête de l’histoire de Charles VI, pag. 57, jusqu’à 70.
  31. Le roman de Méliador est nommé de plusieurs façons différentes dans les manuscrits de la Chronique de Froissart, et dans ses poésies. L’historien parlant de son voyage chez le comte de Foix, qu’il fit depuis, en 1388, dit : j’avoye avec moy apporté un livre, lequel j’avoye fait à la requeste et contemplation de Vincelaus de Boheme, duc de Luxembourg et de Brabant ; et sont contenus audit livre qui s’appelle le Meliader (Meliades, ou Malliades dans quelques manuscrits), toutes chansons, balades, rondeaux et virelets que le gentil duc fit en son temps ; desquelles choses, parmi l’imagination que j’avoye à dicter, en ordonnay le livre que le comte de Foix veit moult voulontiers.

    Il fait encore mention de cet ouvrage dans ses Poésies manuscrites. On lit à la page 425 de son Dict dou Florin,

    Un livre de Meliador,
    Le chevalier au soleil d’or.

    Et quelques vers après,

    Dedens ce romant sont enloses
    Toutes les chançons que jadis,
    Dont l’ame soit en paradys,
    Que feit le bon duc de Braibant,
    Wincelaus, dont on parla tant ;
    Car uns princes fu amourous,
    Gracious et chevalerous,
    Et le livre me fist jà faire,

    Par très amoureuse affaire,
    Coment qu’il ne le véist oncques.

    Ayant demandé dans son Paradis d’Amour, pag, 16, col. 1 et 2, quels étaient plusieurs damoiseaux qu’il y voyait, il apprend que ce sont des sujets de l’Amour, et on lui nomme entre autres héros célèbres dans les romans, Meliador, cils à ce beau soleil d’or, par où était désigné certainement le héros de celui qu’il avait composé.

    Il ne faut point confondre ce livre avec les poésies manuscrites de Froissart, qui renferment à la vérité un grand nombre de chansons, rondeaux, balades, virelais, lais et pastourelles, distribués chacun dans leur classe, nais où le titre de Meliador ne se trouve nulle part.

  32. Pag. 290 et 291 de ses Poéses manuscrites.
  33. Probablement S.t Geniez, abbaye de filles, à une lieue et demie du chemin qui mène de Montpellier à Lunel.
  34. Ils y sont nommés Tristan, Hector, Brun et Rollant.
  35. Voy. du Verdier, à l’art. Gaston, comte de Foix, et la note 2 page 362, t. 12 de J. Froissart.
  36. Froissart en parle souvent dans le 3.e et le 4.e livre de sa Chronique.
  37. Je descendy à l’hostel de la Lune chez un escuyer du comte qui s’appelloit Ernauton du Pin, lequel me receut moult joyeusement pour la cause de ce que j’estoye François. Ce sont les propres paroles de l’historien.
  38. Page 429 de ses Poés. manus.

    Et quant j’oc tout parlit l’histoire
    Dou chevalier au soleil d’or
    Que je nomme Melyador,
    Je pris congé ; et li bons contes
    Me fit par sa chambre des comptes
    Delivrer quatrevins florins
    D’Arragon, tous pesans et fins.
    Des quels quatre vins les soissante
    Dont l’avoïe fait francs quarante
    Et mon livre qu’il m’ot laissé,

  39. Dit dou Florin, pag. 423 et suiv. de ses Poésies manuscrites.
  40. Chron. liv. 3 dans le manuscrit N.o 8325 de la bibliothèque du roi.
  41. Chron., liv. 4, ch. 2 et une pastourelle à la page 293 de ses poés. mss.
  42. Dam ou Damne, ville de Flandres, à une lieue de Bruges tirant vers l’Écluse, dont elle est éloignée de deux lieues. Voyez le Diction. de la Martinière et les Délices des Pays-Bas, tom. I, pag. 306.
  43. Voy. son Dict dou Florin. Le florin adresse la parole à l’auteur.

    Car dou bon seigneur de Couci
    Qu est nobles, gentilx et cointes
    Estes vous privés et acointes,
    Si s’avez pour lui celle painne
    Et l’expectation lointainne
    Sur les chanesies de Lille,
    Cent florins vous a, par St. Gille,
    Moult bien coustée celle grasce
    Qui n’est ores bonne ne grasse,
    Mais mal revenans à proufit
    Quoique dou premier an est dit
    Dou pape que la grasce avés ;
    Mès voirement vous ne scavés
    Quant vous en serés pourvéüs,
    Ne à chanonnes recéüs.

  44. Froissart, au commencement et à la fin de ses poésies, prend le titre de trésorier et chanoine de Chimay, et de Lille en herbes, expression qui désigne son expectative.
  45. Dans le comté de Haynaut au diocèse de Liége.
  46. Guy de Chastillon, comte de Blois, sire d’Avesnes, de Chimay, de Beaumont, de Stonehove et de la Goude, Je Jehan Froissart, prestre et chapelain à mon très-cher seigneur, et pour le temps de lors trésorier et chanoine de Chimay et de l’Isle en Flandres, livre 4, Préface du 4.e livre dans plusieurs manuscrits.
  47. Chron., liv. 4 ; il dit vingt-huit à la page suivante.
  48. Voy. sa Chron., liv. 4.
  49. Il avait vu Froissart à la cour d’Édouard III, et du comte Venceslas de Brabant. Voy. Chroniques de Froissart, t. 3, p. 223.
  50. Anne de Luxembourg, fille de l’empereur Charles IV, mariée en 1382, à Richard II, roi d’Angleterre, et morte en 1394.
  51. Aubert, duc de Bavière, comte de Haynaut, de Hollande et de Zélande, père de Guillaume de Bavière.
  52. À Eltham, à Leeds, à Sheen, à Chartesée et à Windsor. Chron., liv. 4.
  53. Cette somme peut revenir à celle de 600 livres de notre monnaie d’aujourd’hui.
  54. C’est ce que nos anciens auteurs appellent une henepée, c’est-à-dire hanap plein d’argent ; d’où le trésor royal d’Angleterre s’appelle hanepier.
  55. Fauchet met à la tête de nos plus anciens poètes français, maistre Wistace ou Huistace, auteur du roman appelé Brut, en vers, qui fut composé en 1155. Nous avons aussi un roman en prose du Brut, Brust ou Bret, qui fait partie du S.t Graal, ou des chevaliers de la Table ronde, dans plusieurs Mss. de la bibliothèque du roi. Il contient l’origine des peuples de la Grande Bretagne descendus de Brutus. Voyez les excellentes dissertations de l’abbé de La Rue, sur les poëtes armoricains, et sur les poètes anglo-normands.
  56. J’ai dit au commencement de ce Mémoire qu’il me paraissait que Froissart était né plutôt en 1337 qu’en 1333 ; c’est dans cette supposition que je ne lui donne ici que 60 ans ; il en aurait en 64 on 63, s’il était né en 1333.
  57. Livre I. Ceste haine (du roy Jean contre messire Godefroy de Harcourt) cousta grandement au royaume de France, especialement au pays de Normandie, car les traces en paurent cent ans après, comme vous l’orrez en l’histoire.
  58. Dans son Buisson de Jeunesse, page 338 et suiv. de ses poésies mss. Cette pièce est incontestablement postérieure à l’an 1370, puisqu’il est fait mention de la croisade en Prusse qui s’était faite cette année : mais elle ne fut composée vraisemblablement qu’encore bien long-temps après, puisqu’elle est une des dernières du recueil qui fut fini en 1393, et qu’elle précède immédiatement le Dict du Florin, composé à Avignon lorsqu’il y repassa en 1389 ; il s’y donne comme un homme vieux et chenu.
  59. Or me cuiday trop bien parfaire
    Pour prendre ailleurs ma Calendise,
    Si me mis en la marchandise,
    Où je suis ossi bien de taille,
    Que d’entrer en une bataille
    Où je me trouverois envis, etc.

    P. 338, V.o et 339, R.o.

  60. Il faut lire sans doute pluribus.
  61. Hic erat Hollandiæ et Hannoniæ Comes. Faute du poète, Philippe, reine d’Angleterre, était fille de Guillaume III, comte de Haynaut, et femme d’Édouard III.
  62. Je crois qu’il faut lire tertia au lieu de tertio.
  63. La Faigne de Chimay, petite forêt qui en dépend.
  64. La Blanche-eau, rivière qui passe à Chimay.
  65. Fama.