Poésies de Jean Froissart/Mémoires concernant les ouvrages de Froissart

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MÉMOIRE
CONCERNANT
LES OUVRAGES DE FROISSART ;
PAR M. DE LA CURNE.

Sommaire des matières qui sont contenues dans ce mémoire.


La vie de Froissart a fait le sujet du dernier mémoire[1] : je vais dans celui-ci donner l’histoire de ses ouvrages, tant imprimés que manuscrits, soit en prose, soit en vers ; et je rendrai compte, le plus fidèlement que je pourrai, de tout ce qu’ils contiennent. Peut-être semblera-t-il que j’ai poussé les détails un peu trop loin : mais j’ai cru devoir une attention particulière à un historien qui seul en vaut un grand nombre d’autres, par l’importance des matières qu’il a traitées, et par la durée des temps dont il nous a laissé l’histoire. Je me suis aperçu d’ailleurs, que l’auteur avait répandu dans son ouvrage beaucoup de faits, qui servent à éclaircir d’autres faits précédents ; et que, faute d’en avoir été prévenu, il m’était souvent arrivé, ou d’être arrêté dans ma lecture, ou de n’en pas tirer tout le fruit que j’aurais pu : c’est ce qui m’a fait sentir le besoin qu’auraient ceux qui liraient Froissart d’avoir cet éclaircissement Pour leur applanir les difficultés, et leur donner des règles qui pussent les conduire, j’ai tâché de faire ce que j’aurais voulu avoir trouvé tout fait, quand j’ai commencé à lire cet auteur : car je ne me propose pas seulement de donner une idée de nos historiens, qui satisfasse ceux qui auront simplement la curiosité de les çonnaître ; mon objet est que ces mémoires[2] servent d’introduction à ceux qui voudront en entreprendre la lecture et qu’ils la leur rendent, autant qu’il se pourra, plus aisée, plus intéressante et plus instructive.


I.
Plan général de son histoire.

L’histoire que Froissart nous a laissée, s’étend depuis l’an 1326 jusqu’en 1400. Elle ne se borne pas aux événements qui se sont passés en France dans ce long espace de temps ; elle comprend dans un détail presque aussi grand, ce qui est arrivé de considérable en Angleterre, en Écosse, en Irlande, en Flandres. On y trouve encore une infinité de particularités touchant les affaires des papes de Rome et d’Avignon, touchant celles d’Espagne, de Portugal, d’Allemagne, d’Italie, quelquefois même de la Prusse, de la Hongrie, de la Turquie, de l’Afrique, des autres pays d’outre-mer, enfin, de presque tout le monde connu. Mais cette multitude immense de faits si différents les uns des autres, dont l’ordre chronologique n’est pas bien débrouillé, ne présente souvent au lecteur qu’un mélange confus d’événements passés en divers temps et dans divers pays, dont il ne peut se faire aucune idée distincte, et parmi lesquels sa mémoire ne saurait rapprocher tant d’objets épars qui ont entre eux une liaison nécessaire. On trouvera à la fin de ce mémoire, une indication abrégée des principaux faits qui sont rapportés dans tout le cours de cette histoire ; et afin de remédier, du moins en partie, au désordre qui règne dans la disposition de ces événements, je les distribuerai chacun dans la classe qui leur convient, en marquant les chapitres qu’il faut lire, pour voir de suite l’enchaînement des causes d’une même nature, ainsi que l’histoire d’un même pays et d’une même nation. Je ne puis entrer ici dans un détail bien étendu. Pour ne rien laisser à désirer, il faudrait sur chaque article, faire des renvois exacts de tous les passages qui précèdent à tous ceux qui les suivent, et de ceux-ci à tous les précédents ; mais ce travail ne peut s’exécuter que sur l’original même.


II.
Plan particulier de l’histoire de Froissart.

L’histoire de Froissart est divisée en quatre livres, dans tous les imprimés et dans tous les manuscrits.

Le premier commence par le couronnement d’Édouard III, roi d’Angleterre, en 1326, et par l’avénement de Philippe de Valois à la couronne de France en 1328. Il finit à l’an 1379 inclusivement.

Froissart reprend, dans le second livre, l’histoire des trois dernières années du livre précédent, d’une manière plus étendue qu’il n’avait fait d’abord, en ayant été mieux informé depuis. Il continue jusqu’à la paix des Gantois avec le duc de Bourgogne, dont le traité, qui se trouve au pénultième chapitre de ce livre, est daté du 18 décembre 1385.


Le troisième livre remonte jusqu’à l’an 1382 inclusivement, reprenant le récit de quelques faits dont il avait été fait mention dans le second. Les événements de ces quatre dernières années, dont on avait déjà vu l’histoire, sont tellement détaillés dans le troisième livre, qu’ils en remplissent les 32 premiers chapitres. Le reste est employé à l’histoire des années suivantes jusqu’à l’année 1389 finissant à la trève conclue pour trois ans entre la France et l’Angleterre, et aux préparatifs qui se faisaient pour l’entrée de la reine Isabelle de Bavière dans Paris, dont l’auteur promet de parler dans la suite.


Le quatrième livre commence par le récit des fêtes et des magnificences qui furent faites pour cette entrée, et finit au détrônement et à la mort de Richard II, roi d’Angleterre en 1400, et à l’élection qui fut faite la même année, de Robert empereur d’Allemagne. Ces événements terminent les deux derniers chapitres de tout l’ouvrage.

Cette manière de diviser l’histoire de Froissart, est la même dans tous les manuscrits et dans tous les imprimés ; mais ces divisions ne commencent et ne finissent pas toujours aux mêmes endroits dans tous les exemplaires. Je rendrai compte de ces variations, qui, à la vérité, ne sont pas bien considérables, dans l’article où je traiterai des différents imprimés ou manuscrits de Froissart, que j’ai eus entre les mains.


III.
Division des quatre livres de Froissart en chapitres et du premier livre en plusieurs parties.

Les quatre livres de l’histoire de Froissart se subdivisent chacun en un grand nombre de chapitres, qui sont diversement répartis, suivant les différents manuscrits et les différents imprimés : mais, outre ces divisions, dans un grand nombre de manuscrits, il s’en trouve encore une autre, qui est particulière au premier livre. Les uns le partagent en quatre livres ou parties, les autres en six, et quelques-uns en huit. J’en rendrai compte lorsque je parlerai des manuscrits de Froissart. C’est dans quelqu’une de ces quatre, six ou huit divisions du premier livre, qu’on doit chercher où se terminait la partie de l’histoire de Froissart, que cet auteur porta en Angleterre, et qu’il présenta à la reine Philippe de Haynault. Elle précède nécessairement les livres ou parties, dans lesquelles la mort de cette reine, arrivée en 1369, se trouve rapportée ; elle précède de même, si je ne me trompe, tout ce qui se lit avant l’an 1367, où il était Clerc de la chambre de la reine d’Angleterre : car je crois que ce fut l’histoire qu’il lui présenta, qui le fit connaître, et qui lui mérita ce titre dans la maison de cette princesse. On ne peut douter non plus qu’elle ne soit postérieure au récit de la bataille de Poitiers en 1356, puisque ce n’est que depuis cette époque que Froissart a commencé d’écrire. Il ne faut donc la chercher, ni avant, ni après les années 1357, 1358, 1359 ou 1360 : Je me déterminerais volontiers pour l’année 1360 ; c’est celle où se conclut le traité de Bretigny, qui pacifia les Français et les Anglais. Ce temps s’accommode assez bien avec celui auquel il me paraît que notre historien dut passer en Angleterre ; la circonstance de la paix mettait une interruption assez naturelle à une histoire qui semblait n’avoir d’autre objet que de traiter des faits qui concernaient la guerre. Le second et le troisième livre se terminent pareillement, l’un à la paix du duc de Bourgogne avec les Gantois, en 1385, l’autre à celle des Français avec les Anglais, en 1387. Froissart discontinua encore d’écrire en 1392, et pendant les années suivantes, qui se passèrent en différentes trèves faites successivement entre les Français et les Anglais, et dont il profita en 1394, pour aller en Angleterre, où il n’avait point été depuis vingt-sept ans.


IV.
Froissart avait-il fait ces divisions ?

On pourrait demander si Froissart avait divisé lui-même son histoire, de la manière que je viens de dire. Je ne doute point qu’il ne soit l’auteur du partage en quatre livres. Outre qu’il se trouve dans tous les manuscrits, à remonter jusqu’à ceux de son temps, lui-même citant quelquefois dans un de ces livres, des faits qu’il a rapportés dans les précédents, use de ces termes[3] : Comme il est contenu cy-dessus en nostre histoire. Ou de ces autres[4] : Vous savez, et il est ci-dessus contenu en nostre histoire. Mais pour la subdivision du premier livre en quatre, six, on huit livres, on ne la voit point dans les manuscrits les plus anciens : d’ailleurs elle n’est pas uniforme dans ceux où elle se trouve : ainsi je n’hésite point à croire qu’elle est l’ouvrage des copistes qui sont venus dans la suite.

À l’égard des chapitres de chaque livre, et des titres de ces chapitres, on ne les rencontre que dans les imprimés, ou dans les manuscrits du temps des imprimés et postérieurs ; elle y est différente suivant ces manuscrits ou imprimés, et je ne vois nulle apparence que Froissart en soit l’auteur. Un seul passage pourrait faire quelque difficulté à ce sujet : il se trouve au premier volume, page 116, de l’édition de Sauvage où l’historien renvoie au chapitre précédent ; mais ce passage est évidemment interpolé. Quoiqu’il se lise, à la vérité, dans les trois éditions gothiques et dans celles de Sauvage, il ne se trouve dans aucun des manuscrits que j’ai vus, à l’exception d’un seul de la bibliothèque du roi, no 8321, qui est de la fin du XV.e siècle, et l’un des moins authentiques que nous ayons.


V.
Des temps pendant lesquels Froissart travailla à la composition de son histoire.

La principale de ces divisions, celle qui partage l’histoire de Froissart en quatre livres, sert à marquer autant d’époques différentes, auxquelles il s’est arrêté dans le cours de son ouvrage ; soit parce que la matière lui manquait, ayant conduit sa narration jusqu’au temps où il écrivait ; soit qu’il voulût prendre quelque repos ou en donner à ses lecteurs. Mais ces endroits ne sont pas les seuls où Froissart a suspendu le cours de son histoire : on en remarque encore plusieurs, dont je tâcherai de fixer la date, ainsi que des autres, autant qu’il me sera possible. Avant que d’entrer dans cet examen, je m’explique sur la manière dont j’entends que Froissart discontinua de travailler a son histoire. Ce que j’ai dit de sa personne, nous le fait voir continuellement occupé de cet objet ; et plus de quarante années de sa vie, à commencer dès l’âge de vingt ans, se passent dans ce travail : mais dans un si long espace de temps, il en est un qui appartient plus directement à la composition de son ouvrage ; c’est celui auquel, après avoir fait de grands voyages et beaucoup de recherches, il rassembla ses matériaux, les mit en ordre, et en forma une suite d’histoire, telle que nous l’avons aujourd’hui. Comme il y a travaillé à plusieurs reprises, je tâcherai d’assigner à chacune de ces parties le temps qui lui convient, et de déterminer quand elle fut commencée et achevée, combien d’années l’auteur y employa, et les intervalles pendant lesquels il discontinua d’écrire. Je crois tous ces détails essentiels. Froissart parcourut beaucoup de pays, dans plusieurs desquels il séjourna un temps considérable ; il fut attaché en différents temps à des cours dont les intérêts étaient fort opposés ; il fréquenta un grand nombre de princes et de seigneurs de divers partis. Il serait bien difficile qu’il ne se fût pas laissé prévenir, ou d’affection pour les uns, ou de haine pour les autres, et qu’il se fût toujours défendu de l’illusion de la prévention, dont la bonne foi ne sert souvent qu’à nous rendre plus susceptibles. Si l’on veut se rappeler les circonstances de la vie de notre historien, rapportées dans mon premier mémoire, et qu’on les rapproche des temps auxquels il travailla à la composition des différentes parties de son histoire, non-seulement on verra les instructions qu’il avait été en état de prendre, tant par rapport aux lieux, que par rapport aux personnes qu’il avait vues ; mais on jugera encore des partis auxquels on peut le soupçonner d’avoir incliné. Ces connaissances une fois bien établies, seront d’un grand secours pour faire apprécier plus au juste les différents degrés d’autorité qu’il mérite, suivant les différentes matière qu’il a traitées, et les temps auxquels il les a traitées. Sans qu’il soit besoin de m’expliquer davantage à ce sujet, tout lecteur, pourra faire l’application de cette règle, à mesure qu’il avancera dans la lecture de Froissart : elle lui servira de guide à chaque pas ; elle le garantira de l’erreur ou de la séduction, soit que l’historien ait été mal informé, soit qu’il ait voulu en imposer à ses lecteurs, s’il est vrai qu’il en ait été capable.

Le premier livre de Froissart comprend, comme je l’ai dit, l’histoire depuis l’an 1326, jusqu’à l’an 1379. Cet espace renferme le temps de son voyage en Angleterre : temps auquel on doit nécessairement supposer qu’il avait discontinué son histoire ; car il la regardait alors comme étant achevée en cette partie, puisqu’il dit qu’il la porta en Angleterre, où il la présenta à la reine. Elle finissait, comme je l’ai déjà dit, vers l’an 1360 ; et comme on a vu aussi qu’elle était achevée en 1361, et qu’il ne l’avait commencée qu’environ l’an 1357, il est évident que Froissart n’a guère employé plus de 3 ou 4 ans à la composition de cette partie, qui est néanmoins une de celles qu’il me paraît avoir le plus travaillées.

Une sorte de liaison que je trouve[5] entre plusieurs chapitres du reste de ce premier livre, dont les premiers annoncent d’autres chapitres fort éloignés, me persuade que ce reste a été composé tout de suite sans aucune interruption, et que par conséquent l’auteur ne commença à écrire que vers l’an 1379, puisqu’il finit par le récit des événements de cette année. En effet, je crois que pendant le temps qu’il passa au service de la reine Philippe de Haynault, depuis 1361 jusqu’à 1396, il fut plus occupé à faire, par ses ordres, des poésies galantes et des vers amoureux, qu’à travailler à l’histoire ; et que quoique dans ses différents voyages, dont plusieurs ne furent faits qu’après la mort de cette princesse, il songeât toujours à s’informer de l’histoire de son temps, il n’avait, au milieu d’une vie toujours agitée, ni assez de loisir, ni l’esprit assez libre, pour l’écrire. Il employa trois ou quatre ans à composer cette dernière moitié de son premier livre : car on va voir que le livre suivant, auquel il ne travailla pas aussitôt après, fut composé depuis 1385. Quoique Froissart ait écrit le premier livre à deux reprises différentes, il paraît que la préface qui est à la tête ne fut faite qu’après qu’il eut été entièrement achevé, puisque l’auteur y parle de son voyage en Écosse, où il n’alla qu’après avoir présenté la première moitié de ce livre à la reine d’Angleterre.

On ne trouve aucune interruption sensible dans tout le cours du second livre : l’auteur en emploie les trente premiers chapitres à reprendre les événements des trois dernières années du livre précédent, qui avaient été rapportés trop succinctement. Il y ajoute de nouveaux faits ou de nouvelles circonstances, à ceux dont il avait parlé ; ou bien il en rectifie la narration, comme en ayant été mieux informé depuis : et c’est d’où je tire ma preuve qu’il y eut quelque intervalle entre la composition du premier livre et celle du livre suivant. Après ces trente premiers chapitres, il reprend le fil de son histoire, qu’il conduit jusqu’à la paix que les Gantois obtinrent du duc de Bourgogne, et dont il rapporte le traité original, daté du 18 décembre 1385. C’est donc vers l’année 1386 que le second livre de Froissart commença à être composé ; il était achevé en 1388. Cette même année il alla chez le comte de Foix. Dans le récit qu’il fait de son voyage, il dit que quelques personnes lui rappelaient des événements dont il avait parlé dans son histoire ; et ces événements se lisent dans le second livre, qui fut, suivant les apparence, écrit tout de suite.

On trouve une interruption de plus de douze ans entre la composition de ce livre et celle du suivant ; car l’auteur ne commença celui-ci, qui est le troisième, qu’en 1360[6]. Alors il écrivait par l’ordre et aux gages du comte de Blois ; il le dit expressément au commencement et au chapitre 89, page 151, tome XI. Rien n’empêche qu’on ne puisse croire que le livre précédent avait été composé par les ordres du même comte, puisque j’ai dit dans mon premier mémoire, que Froissart me paraissait avoir été attaché à son service dès l’an 1385. Le troisième livre, qui remonte jusqu’aux événements qui s’étaient passés depuis l’an 1382, et qui leur donne plus d’étendue, ayant été, comme je viens de le dire, commencé en 1390, était déjà achevé en 1393. L’auteur le fait assez entendre dans l’endroit où il parle des conventions que le duc de Bretagne avait faites avec le roi de France : il dit que dans le temps qu’il finissait ce livre, le duc les avait observées fidèlement, et n’avait rien fait jusque-là qui méritât d’être rapporté[7]. On verra dans la suite, en 1393, la désobéissance de ce duc, qui, après avoir reçu chez lui Pierre de Craon criminel d’état, résista aux ordres que Charles VI lui donna de le lui renvoyer. Tout ce volume me paraît avoir été composé de suite ; du moins on y voit une liaison sensible entre plusieurs chapitres éloignés les uns des autres.

L’interruption qui se trouve du troisième au quatrième livre, me semble avoir été faite pour donner du repos au lecteur plutôt qu’à l’historien : car Froissart, en finissant le troisième livre, annonce les faits qui font la matière du commencement du livre suivant. Je crois que l’historien passa tout de suite de la composition du troisième livre à celle des cinquante premiers chapitres du quatrième, qui se terminent aux événements de l’année 1392. Un grand nombre de manuscrits, et les éditions gothiques, qui ne font commencer le quatrième livre qu’après les cinquante premiers chapitres, forment un préjugé très-naturel en faveur de cette opinion. D’ailleurs, depuis l’année 1392 où ils finissaient, deux ans se passèrent en négociations continuelles entre les Français et les Anglais, pendant lesquels on fit plusieurs trèves de peu de durée, qui aboutirent enfin à une paix ou trève de quatre ans. On ne peut douter que Froissart n’ait alors interrompu son histoire, puisque c’est le temps auquel il fit son voyage en Angleterre, où il séjourna trois mois. Je crois que cette interruption fut considérable, parce que le reste du quatrième livre, qui me paraît avoir été écrit tout de suite, ne fut composé, si je ne me trompe, que plusieurs années après ce voyage, c’est-à-dire, à la fin du XIV.e siècle, ou au commencement du XV.e On y lit des événements qui appartiennent aux années 1399, et 1400. Je ne vois rien qui puisse nous faire juger de la durée du temps que l’auteur avait donné à la composition de cette dernière partie.

Il est à propos de faire une observation générale, au sujet des interruptions, dont je viens de parler, et dont j’ai tâché de déterminer le temps. Lorsque notre historien finissait une des parties de son histoire, il la conduisait toujours jusqu’au temps auquel il écrivait ; et sur la fin, il rapportait les événements à mesure qu’ils se passaient : d’où il arrive, ce me semble, qu’on y trouve plus de confusion, souvent même des omissions et des méprises, qu’il a été obligé de suppléer ou de relever dans la partie suivante. Ce sont apparemment ces divers suppléments qui lui font prendre dans plusieurs endroits le titre, non seulement d’acteur, c’est-à-dire auteur, mais encore celui d’augmentateur de cette histoire, et qu’il dit dans d’autres endroits, l’avoir emprise, poursuivie et augmentée.[8]


VI.
Des recherches que Froissart avait faites pour écrire l’histoire, et des soins qu’il s’était donnés à ce sujet.

On a vu dans mon précédent mémoire, avec combien de peines et de fatigues Froissart avait visité la plupart des cours de l’Europe. Admis chez les plus grands seigneurs[9], et s’insinuant dans leur confiance, au point de mériter, non-seulement qu’ils lui racontassent plusieurs détails, soit de leur vie, soit des événements dont ils avaient été témoins, ou auxquels ils avaient eu part, mais qu’ils lui découvrissent même quelquefois le secret des résolutions prises dans les conseils les plus intimes, et sur les affaires les plus importantes, il n’avait pas moins d’attention à profiter des entretiens de ceux à qui il pouvait parler, et qu’il pouvait interroger avec plus de liberté[10]. Il paraît qu’il avait été instruit de quelques particularités de la cour de France, par des domestiques même du roi, et par ceux qui l’approchaient de plus près. Si dans ses voyages dans les cours et dans les autres lieux qu’il visitait, il se rencontrait des personnes de qui il pût tirer des instructions, surtout des gens de guerre ou des hérauts[11], qui étaient en ces temps-là les agents les plus ordinaires dans les négociations et dans les grandes affaires, il se liait de conversation avec eux, les amenait insensiblement à parler sur les points d’histoire dont ils devaient être le mieux informés, eu égard au pays d’où ils étaient, et aux autres circonstances de leur vie : il ne les quittait qu’après leur avoir fait dire tout ce qu’ils en savaient ; et ce n’était que pour aller aussitôt jeter sur le papier ce qu’il avait appris d’eux. Non content de recueillir ces précieuses autorités, et de comparer avec soin, comme il en avertit lui-même[12], les témoignages des personnes qui avaient suivi des partis contraires, il voulait des preuves encore moins suspectes. Il consultait les traités que les princes avaient faits entr’eux, leurs défis ou déclarations de guerre, les lettres qu’ils s’écrivaient, et les autres titres de cette nature[13]. Il dit expressément qu’il en avait vu plusieurs qu’il ne rapporte point, nommément ceux de la chancellerie du roi d’Angleterre ; et on en trouve quelques-uns transcrits en entier dans le cours de son histoire. Il paraît même qu’il ne prenait point au hasard tous ceux qu’il rencontrait, qu’il les examinait avec des yeux critiques, et qu’il les rejetait lorsque leur authenticité ne lui semblait pas assez prouvée.


VII.
Quel but Froissart s’était proposé en écrivant l’Histoire, et quelles règles il s’était faites pour l’écrire.

On juge aisément par le détail des soins que Froissart nous dit lui-même avoir pris, qu’il connaissait les règles de la saine critique, et la véritable méthode que l’on doit suivre pour écrire l’histoire. Il nous apprend d’ailleurs qu’il ne s’était pas proposé de donner seulement une chronique où l’on vît des faits rapportés séchement à leur date, et dans l’ordre ou ils sont arrivés : mais qu’il avait voulu écrire ce qu’on peut appeler véritablement une histoire, dans laquelle les événements fassent revêtus des circonstances qui les avaient accompagnées. Les détails qui découvrent les ressorts secrets qui font agir les hommes, sont précisément ce qui dévoile le caractère et le fond du cœur des personnages que l’histoire met sur la scène ; et c’était-là une des parties essentielles du dessein que Froissart s’était proposé, en écrivant l’histoire. Plusieurs passages de son ouvrage nous montrent qu’il y avait été porté par une inclination naturelle, et qu’il trouvait un plaisir[14] infini dans cette occupation : mais une autre vue, qui lui fait bien plus d’honneur, avait extrêmement fortifié ce goût naturel. Il songeait à conserver aux siècles à venir, la mémoire[15] des hommes qui s’étaient rendus recommandables par leur courage et par leurs vertus ; de donner à leurs actions un prix que rien ne pût ni effacer ni altérer ; et en amusant utilement ses lecteurs, de faire naître ou d’augmenter dans leur cœur, l’amour de la gloire par les exemples les plus signalés. Ce désir qui l’a toujours animé dans ses recherches, l’a soutenu dans un travail de plus de quarante ans, où il n’épargna ni soins ni veilles, et pour lequel il ne craignit pas de dépenser des sommes considérables. En effets rien n’est plus propre que le spectacle que Froissart met continuellement sous les yeux de ses lecteurs, à leur inspirer l’amour de la guerre, cette vigilance industrieuse, qui, toujours en garde contre les surprises, est sans cesse attentive à surprendre les autres, cette activité qui fait compter pour rien les peines et les fatigues, ce mépris de la mort qui élève l’ame au-dessus de la crainte des périls, enfin cette noble ambition qui porte aux entreprises les plus hardies. Il fait passer en revue tous les héros que produisirent pendant près d’un siècle, deux nations guerrières, dont l’une était encouragée par des succès aussi flatteurs que continus, et l’autre, irritée par ses malheurs, faisait les derniers efforts pour venger, à quelque prix que ce fût, son honneur et son roi. Dans un si grand nombre de faits, dont plusieurs furent extrêmement glorieux à l’une et à l’autre, il n’était pas possible qu’il ne s’en rencontrât quelques-uns d’une nature toute différente. Froissart ne s’est pas moins attaché à peindre ces derniers, afin de donner autant d’horreur pour le vice[16], qu’il inspirait d’amour pour la vertu. Mais si tous ces tableaux n’eussent été que le fruit de son imagination, ils n’auraient pas touché autant qu’il le voulait. Afin qu’ils fissent une impression plus sûre et plus forte sur le cœur et sur l’esprit, il fallait qu’une vérité pure, dégagée de toute flatterie, ainsi que d’intérêt et de partialité, en fût la base. C’est cette vérité que notre historien se pique d’avoir recherchée avec le plus de soin[17]. Au reste, tout ce que je viens de rapporter, est tiré de ses propres paroles répandues dans une infinité de passages de son histoire ; et c’est de quoi seulement je suis garant. Il s’agira de voir s’il a observé aussi fidèlement qu’il le promet, cette loi qu’il s’était imposée[18], et qui est le premier devoir de tout historien. Mais avant que d’entrer dans l’examen de cette question, je ferai quelques observations générales sur la chronologie de Froissart ; ensuite je parlerai dès trente premières années de son histoire, qui ne sont, à proprement parler, qu’une introduction à l’histoire de quarante et quelques années qui les suivirent, jusqu’à la fin du quinzième siècle.


VIII.
De la Chronologie de Froissart.

Je remarque dans la chronologie de Froissart, deux défauts essentiels qui font la source de tout le désordre qui s’y trouve. Le premier est que, lorsqu’il passe de l’histoire d’un pays à celle d’un autre, il fait souvent remonter l’histoire qu’il commence, à un temps antérieur à celui dont il vient de parler, sans avoir presque jamais l’attention d’en avertir ses lecteurs. Le second, qui n’est pas moins considérable, c’est qu’il n’est pas d’accord avec lui-même dans la manière de compter les années : il les fait commencer, tantôt au premier de janvier, tantôt à Pâques, quelquefois même à Pâques-fleuries[19].

Froissart ne se borne pas à dater par les années les événements qu’il rapporte : les mois, les jours, les heures du jour, sont souvent exprimés dans ses différents récits. Je remarque, à l’égard des jours, qu’il ne les commence qu’au moment où la nuit est entièrement passée, quand le point du jour commence à se faire voir. À l’égard des heures de la journée, il leur donne une division dont on voit quelques exemples dans nos anciens auteurs ; mais en petit nombre, et à laquelle il s’attache plus particulièrement que les autres. Il les divise suivant les heures canoniales de prime, tierce, none et vêpres ; peut-être parce qu’il était engagé dans l’état ecclésiastique. Je n’ai remarqué nulle part qu’il se soit servi du mot de sexte. Ce qu’il entend par prime j’était le matin, la première heure du jour, ou l’heure qui suivait de plus près le matin. Tierce me semble marquer le temps intermédiaire entre le matin et l’heure de midi, qu’il exprime, ou par le mot midi ou par celui de none. Ensuite venait vêpre, ou la vêprée ; c’était, comme le mot le désigne, la fin du jour, après laquelle il comptait encore la mi-nuit. Quelquefois il ajoute à ces mots de prime, tierce, none, vêpres, l’épithète de basse, pour marquer le temps auquel ces heures étaient près de finir ; et quelquefois celle de haute, qui paraît en quelques endroits avoir la même signification, dans d’autres en avoir une toute contraire. Il use encore de ces façons de parler, à l’aube crevant, pour dire que l’aube du jour ne faisait que commencer de poindre ; au soleil esconsant, pour exprimer le coucher du soleil ; à la relevée, pour le temps qui suit l’heure de midi ; et à la remontée, qui me semble synonyme de la véprée, pour le soir, le temps auquel le jour approche de son déclin.


IX.
Des trente premières années dont Froissart a traité au commencement de son histoire, d’après Jean le Bel, savoir, depuis 1326 jusqu’à 1356.

Les trente premières années de l’histoire de Froissart ne sont proprement qu’un préliminaire, qui sert à mettre les lecteurs au fait des guerres qu’il doit raconter dans la suite. Il expose l’état de la France et de l’Angleterre, et fait voir le sujet de la querelle entre ces deux couronnes, qui fut la source des guerres sanglantes qu’elles se firent réciproquement. Froissart peut, en quelque façon, n’être point regardé comme auteur comtemporain dans ces trente premières années : il n’était pas encore né, ou bien était, sinon dans son enfance, au moins dans un âge où il n’avait pu faire un grand usage de sa raison. Aussi ne parle-t-il guères dans ces trente années comme un auteur qui aurait vu ce qu’il raconte ; et c’est sans doute à ce temps-là seulement qu’on doit rapporter ce qu’il dit au commencement de son histoire, qu’il l’écrivait d’après une autre qui avoit paru auparavant. C’était, comme il nous l’apprend encore, les vrayes Chroniques de Jean le Bel[20], chanoine de St. Lambert de Liége. Ces chroniques ne sont point venues jusqu’à nous ; et je n’ai pu découvrir, ni sur l’ouvrage ni sur l’auteur, rien de plus que ce qu’on en lit dans Froissart[21]. Il en parle comme d’un homme qui ne vivait plus : mais il vante son exactitude, les soins qu’il avait apportés à composer son histoire, et les dépenses considérables qu’il avait faites à ce sujet. Il le représente comme favori et confident de Jean, de qui il avait pu voir plusieurs grands événements, qui seront, dit-il, rapportés dans la suite ; car le comte qui était proche parent de plusieurs rois, avait joué un grand rôle dans la plupart de ces événements. Froissart, dans ces trente années qui sont antérieures à la bataille de Poitiers, en 1356, s’est bien plus étendu sur l’histoire des Anglais, que sur celle des Français : apparemment, il suivait en cela son auteur original, qui avait pris un intérêt plus particulier à l’histoire d’Angleterre, par les liaisons qu’elle avait avec celle du comté de Haynault. C’est sans doute ce qui fait que dans des manuscrits qui ne contiennent que les premiers temps de la chronique de Froissart, elle est intitulée Chronique d’Angleterre : c’est aussi, par une même suite, ce qui a fondé les reproches qu’on lui a faits d’avoir été partisan des Anglais, et mal intentionné contre les Français : accusation que j’examinerai dans la suite de ce mémoire.

Froissart n’avait pu, ce me semble, choisir un meilleur guide pour l’histoire de ces trente années, que l’historien qu’il dit avoir suivi. Pour juger des lumières que celui-ci avait pu tirer de la familiarité où il étoit auprès de Jean de Haynault, il faut se rappeler les circonstances où ce comte s’était trouvé. La reine d’Angleterre, Isabelle de France, avait fui d’Angleterre avec le jeune prince de Galles son fils, depuis Édouard III, roi d’Angleterre, pour se soustraire à la persécution des Spencers et des autres favoris du roi Édouard II, son mari. Charles le Bel, roi de France, frère de cette reine, fut obligé de la faire sortir de ses états, après lui avoir donné une retraite pendant un assez long-temps. La cour du comte de Haynault dont nous parlons, fut la seule ressource de la mère et du fils : non seulement elle leur fut ouverte ; ils y trouvèrent encore des secours puissants pour passer en Angleterre, et pour tirer vengeance de leurs ennemis. Le jeune prince y avait rencontré une princesse aimable et vertueuse (c’était une des filles du comte même), qui sentit pour lui ces premiers mouvements d’une inclination naturelle, qui semblent présager les attachements les plus durables : il conçut pour elle beaucoup d’amour, il en fit son épouse, et depuis elle fut placée avec lui sur le trône d’Angleterre : c’est la même à qui Froissart présenta son histoire. Froissart écrivait donc d’après un auteur qui savait tous ces événements par lui-même et par les personnes les mieux instruites, puisque c’était leur propre histoire. L’écrivain, qui paraît avoir été élevé à la cour du comte de Haynault, était tous les jours en commerce avec des gens à qui toutes les circonstances de cet événement, qui était récent alors, devaient être très-présentes et très-familières ; et il en écrivait l’histoire pour la reine Philippe de Haynault, qui y avait eu une si grande part. Jamais historien eut-il des garants plus certains des faits qu’il a rapportés ? Jamais en fut-il un, en qui l’on dût prendre plus de confiance qu’en Froissart, dans cette partie de son histoire ? Cependant M. Lancelot, dans plusieurs articles qui concernent l’histoire d’Angleterre de ces mêmes temps, a relevé plusieurs fautes de Froissart. Sa critique est fondée sur les actes originaux qu’il a eus entre les mains, et dont l’autorité est incontestable. J’appuie sur cet exemple, parce qu’il me paraît plus propre qu’aucun autre, à faire mieux sentir une vérité importante pour notre histoire, et qui a été tant recommandée par les auteurs les plus versés dans cette étude ; je veux dire l’extrême nécessité d’accompagner la lecture des historiens, de la comparaison des actes originaux des mêmes temps. Les uns donnent les éclaircissements qui manquent aux autres, tandis que ceux-ci ajoutent aux témoignages des historiens un degré d’authenticité dont ils n’ont souvent que trop de besoin : et c’est de ce concours que résulte toute la certitude dont les vérités de cette nature sont susceptibles par rapport à nous. Je me réserve à parler dans un autre mémoire, des quarante et quelques années suivantes dont Froissart a écrit l’histoire comme auteur contemporain, et comme témoin, pour ainsi dire, de tout ce qui se passait alors dans le monde. Mais j’examinerai auparavant les divers jugements qu’on a portés de cet historien, et particulièrement, le reproche presque général qu’on lui a fait, d’avoir été partisan outré des Anglais et l’ennemi déclaré des Français. Je parlerai de sa partialité à d’autres égards, de sa crédulité sur certains articles ; de son exactitude sur d’autres, et de sa manière d’écrire : je ferai ensuite le détail des éditions que nous avons de son histoire ; je discuterai le mérite ou les défauts des unes et des autres : j’examinerai surtout si celle de Sauvage a plutôt corrompu et falsifié le texte, qu’elle ne l’a éclairci. Enfin, je rendrai un compte sommaire de plus de quarante volumes in-folio de manuscrits de cette histoire, que j’ai conférés avec quelque soin.

  1. Ces mémoires ont été lus dans l’Académie des inscriptions ; le premier était contenu dans le tome x, le second mémoire est inséré dans le tome xiii de l’Académie des inscriptions et belles lettres.
  2. Insérés successivement dans les mémoires de l’Académie des Belles-lettres.
  3. Ils se lisent au ch. 5, du neuvième volume, p. 237, en parlant des traités de Bretigny et de Calais dont il a fait mention dans le premier livre.
  4. On les voit au commencement du ch. 31, p. 234 du treizième volume, dans les quinze premières lignes, qui se trouvent placées dans un grand nombre de manuscrits, à la tête de ce même volume.
  5. Froissart ayant rapporté sous l’an 1364, que la paix avait été faite en Bretagne, promet de traiter, dans la suite, de la rupture de cette paix, qui arriva depuis. L’histoire de cette rupture se lit sous l’année 1373, et le récit des guerres qui s’ensuivirent, continue jusqu’à la fin de ce premier livre.

    Comparez pareillement ce qu’on lit sous l’an 1373, avec ce qui est rapporté sous l’an 1377 au même livre.

  6. Froissart dit formellement au chapitre 27, page 234 du dixième volume, qu’il écrivait cette Chronique l’an 1390, et il le confirme encore dans la suite, puisqu’ayant achevé le récit du voyage qu’il fit à Midelbourg en Zélande vers l’an 1390, pour s’informer de l’histoire des guerres de Portugal, il dit qu’il s’en retourna depuis en son pays ; à quoi il ajoute au chapitre 28, p. 49 de ce même volume : Si ouvray et besongnay sur les parolles et relations faites du gentil chevalier messire Jehan Ferrand Perceck (Pacheco) et croniquay tout ce qu’ès royaumes de Portugal et de Castille est advenu jusques à l’an de grace mil trois cent quatre vingt et dix.
  7. Voici le passage entier. Froissart ayant dit au chap. 113, pag. 345 du onzième volume, que le duc de Bretagne qui était venu à Paris, où il avait fait plusieurs promesses au roi en 1388, s’en retourna enfin à Nantes, ajoute : Nous nous souffrirons (c’est-à-dire, nous discontinuerons) à parler du duc de Bretagne, car il me semble qu’il a bien tenu son convenant au roi, et à ses oncles, et n’a fait chose qui à ramentevoir fasse, ni n’avoit fait au jour que je cloï ce livre ; je ne say s’il en fera nulle ; s’il en fait j’en parlerai selon ce que j’en sauray.
  8. Froissart commence le cinquantième chapitre du troisième livre de son histoire, par ces mots : En si grande et si noble histoire comme ceste est, dont je, Sire Jehan Froissart, ay esté augmentateur et reciteur, etc.

    Sous l’an 1388, chap. 103, p. 264, t. XI, il dit : Je aucteur et augmentateur de ce livre, pour ces jours j’estoye sur les frontières de ce pays de Berry et de Poictou en la comté de Blois, de lez mon tres cher et honoré seigneur le comte Gui de Blois, pour lequel ceste histoire est emprise, poursuivie et augmentée.

    Parlant de la catastrophe de Richard II, roi d’Angleterre, année 1399, il dit : Pourtant que j’ay dictée, ordonnée et augmentée a mon loyal pouvoir ceste histoire, je l’escry pour donner cognoissance qu’il devint.

  9. On lit dans le Prol. de son premier livre : Vray est que je qui ay empris ce livre à ordonner, ay par plaisance, qui à ce m’a toujours encliné, fréquenté plusieurs nobles et grands seigneurs tant en France qu’en Angleterre, en Écosse (en Bretagne, ajoutent quelques MSS.) et en plusieurs autres pays, et ay eu la cognoissance d’eux, et ay toujours à mon pouvoir justement enquis et demandé du fait des guerres et des aventures, et par especial depuis la grosse bataille de Poictiers où le noble roy Jehan de France fut pris, etc.
  10. Il fait un détail très-exact et très-curieux d’un fameux pas d’armes tenu en 1390, pendant trente jours par trois chevaliers français, auprès de la ville de Calais, et il paraît qu’il en savait des particularités connues de très-peu de personnes.

    Il parle aussi des circonstances de l’assassinat du connétable Clisson, en homme qui était instruit des particularités les plus secrètes de l’histoire de son temps.

  11. Tout le détail curieux que Froissart fait de l’Irlande, et de la conquête que le roi d’Angleterre fit de ce royaume en 1394 est le fruit d’une longue conversation qu’il avait eue à la cour du roi d’Angleterre, avec Henry Castède, écuyer Anglais, qui avait été sept ans prisonnier en Irlande, et que le roi d’Angleterre y avait renvoyé depuis, pour tâcher de civiliser les peuples de ce pays, et de leur faire prendre les mœurs et les habillements des Anglais. Il tenait d’un chevalier d’Angleterre, nommé Guillaume de Lisse, qui avait suivi le roi d’Angleterre à la même conquête d’Irlande, le récit qu’il fait du merveilleux trou de Saint-Patrice dans lequel ce chevalier lui dit qu’il avait demeuré toute une nuit.

    Froissart, parlant de la paix ou trève conclue entre la France et l’Angleterre, aux conférences de Lelinghen près d’Abbeville, en 1393 dit que le roi d’Angleterre en reçut la nouvelle par un héraut que ses oncles lui envoyèrent : Et pour les bonnes nouvelles que le héraut dessus nommé au roy avoit apportées, il luy donna de grands dons, si comme ledit héraut me dit depuis à loisir, chevauchant avec luy au royaume d’Angleterre.

    Parlant d’une offre qui fut faite aux Vénitiens par les ambassadeurs du roi de Hongrie, afin d’avoir de l’argent pour la délivrance du duc de Nevers prisonnier en Turquie, et de la réponse que les Vénitiens firent à leurs propositions, il dit, année 1397, en rapportant cette réponse : Selon ce que je fu informé par celuy qui fut à la réponse faire.

  12. Voyez au chapitre 118 du troisième livre, tome 11, le détail qu’il fait de la guerre des Anglais et des Écossais. Il dit que ce qu’il rapporte de la bataille qu’ils se donnèrent à Neufchastel, il le tient des chevaliers et écuyers des deux partis, qu’il avait vus. On peut voir aussi, le récit du voyage qu’il fit en Zélande, pour savoir des nouvelles de la guerre en Portugal par les Portugais mêmes.
  13. Après avoir parlé de plusieurs articles réglés à Calais en 1360 entre le roi Jean, au sortir de sa prison, et le roi Édouard III d’Angleterre, il ajoute ces paroles : Encore avecques ces choses furent plusieurs autres lettres faites et alliances, desquelles je ne puis du tout faire mention, car durant quinze jours ou environ que les deux rois et leur enfans et leurs consaulx (conseillers) furent en la ville de Calais y avait tous les jours parlement et nouvelles ordonnances, en reconformant et allouant la paix (de Bretigny) ; et d’abondant renouvelloient lettres sans briser ne corrompre les premières ; et les faisoient toutes sur une date pour estre plus sûres et plus approuvées, desquelles j’ay vu depuis la copie sur les registres de la chancellerie de l’un roy et de l’autre.

    Voyez encore comment il s’exprime au commencement du chapitre 9 du troisième livre, tome II, en parlant de la déclaration de guerre que le duc de Gueldres fit en 1397, au roi Charles VI.

  14. Froissart, au commencement du chapitre 13 du quatrième livre de son histoire, tome 12, dit : Telles choses à dire et mettre avant me sont grandement plaisantes ; et se plaisance ne m’eust incliné à dicter et à l’enquerre je n’en fusse jà venu à bout.
  15. Il commence en ces termes le prologue du premier volume de son histoire : Afin que honorables emprises et nobles avantures et faits d’armes, lesquelles sont avenues par les guerres de France et d’Angleterre, soyent notablement registrés et mises en mémoire perpétuelle, exemple d’eux encourager en bien faisant, je veuil traiter et recorder histoire de grand louenge.

    Il commence encore le premier chapitre de ce premier volume par ces mots : Pour tous nobles cœurs encourager et leur donner exemple et matière et d’honneur, je, Sire Jehan Froissart, commence à parler, etc.

    Voyez aussi livre 3, chapitre I, tome 9.

  16. Froissart ayant employé le chapitre 14 de son quatrième livre à faire l’histoire d’Aimerigot Marcel, fameux chef de bandits qui enfin fut pris, décollé et écartelé à Paris, dit en commençant le chapitre 15 ce qui suit : Je me suis mis à parler tout au long de la vie d’Aimerigot Marcel, et de remonstrer tous ses faits. La cause a esté pour embellir son ame et sépulture, car des bons et des mauvais on doit parler et traiter en une histoire quand elle est si grande comme reste cy, est pour exemple à ceux qui viendront, et pour donner matière et achoison (occasion) de bien faire, car s’Aimerigot eut tourné ses voyes et argus en bonnes vertus, il estoit bon homme d’armes de fait et d’emprise pour moult valoir ; et pour ce qu’il en fit tout le contraire il en vint à male fin.
  17. En rapportant les noms des braves qui se signalèrent à la bataille de Cocherel en 1364, il dit : Là eut dur hutin et grand poignis et faite mainte appertise d’armes. On ne doit pas mentir à son pouvoir.

    Après avoir fait un grand éloge du comte de Foix, chez qui il avait fait un séjour considérable, et qui l’avait très-bien traité, il prévient ceux de ses lecteurs qui l’accuseraient d’en parler d’une manière aussi favorable par flatterie, vol. 3, chap. 61, page 184.

  18. En annonçant sous l’année 1385, le récit qu’il va faire des guerres de Bretagne, et disant, que les seigneurs Bretons avaient toujours été fort attachés à leur duc, excepté quand il s’était déclaré contre la couronne de France, dont ils avaient gardé principalement l’honneur, il prévient les lecteurs qui le soupçonneraient de partialité. De même, après avoir fait le récit de la défaite honteuse des Brabançons par le duc de Gueldres, il fait sentir que l’intérêt qu’il prend à la gloire des Brabançons (ils étaient en quelque façon ses compatriotes) ne lui fait point dissimuler des vérités qui leur font peu d’honneur (sous l’an 1388.)
  19. Voyez les années 1349, 1350, 1351, 1355, 1356, 1362, 1363, et autres.
  20. Voici les propres termes de Froissart dans le prologue de son premier volume.

    Donc pour atteindre à la matière que j’ay entreprise, je veuil commencer premièrement par la grace de Dieu et de la benoiste Vierge Marie (dont tout confort et avancement viennent), et me veuil fonder, et ordonner sur les vrayes croniques jadis faittes par révérend homme discret et sage, Monseigneur maistre Jehan le Bel, Chanoine de St. Lambert de Liége qui grand cure et toute bonne diligence meist en ceste manière, et la continua tout son vivant et plus justement qu’il put ; et moult lui couta à querre et à l’avoir, mais quelques fraiz qu’il y fit, riens ne les plaignit, car il estoit riche et puissant (si les pouvait bien porter) et estoit de soy mesme large, honorable et courtois, et volontiers voyoit le sien despendre ; aussy il fut en son vivant moult aimé et secret à Monseigneur messire Jehan de Haynaut, qui bien est ramenteu, et de raison, en ce livre ; car de moult belles et nobles advenues fut-il chef et cause, et des roys moult prochain ; pourquoy le dessus dit messire Jehan le Bel peut de lez luy voir plusieurs nobles besognes lesquelles sont contenues cy après.

  21. Voyez préface de la chronique de Richard II, t. 15 de cette série.