Poésies de Madame Deshoulières/22

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Théophile Berquet, Libraire (p. 61-65).

ODE

Sur le soin que le Roi prend de l’éducation de sa noblesse dans ses places et dans Saint-Cyr, laquelle remporta le prix à l’Académie française. 1687.

Toi par qui les mortels rendent leurs noms célèbres,
Toi que j’invoque ici pour la première fois,
De mon esprit confus dissipe les ténèbres,
Et soutiens ma timide voix.
Le projet que je fais est hardi, je l’avoue ;
Il aurait effrayé le pasteur de Mantoue,
Et j’en connais tout le danger.
Mais, Apollon, par toi si je suis inspirée,
Mes vers pourront des siens égaler la durée :
Hâte-toi, viens m’encourager.

Dieu du jour, tu me dois le secours que j’implore :
C’est ce héros si grand, si craint dans l’univers,
Le protecteur des arts, Louis, que l’on adore,
Que je veux chanter dans mes vers.
Depuis que chaque jour tu sors du sein de l’onde,

Tu n’as rien vu d’égal dans l’un et l’autre monde,
Ni si digne du soin des dieux,
C’est peu pour en parler qu’un langage ordinaire ;
Et pour le bien louer ce n’est point assez faire,
Dès que l’on pourra faire mieux.

Il sait que triompher des erreurs et des vices,
Répandre la terreur du Gange aux flots glacés,
Élever en tous lieux de pompeux édifices,
Pour un grand Roi n’est pas assez :
Qu’il faut, pour bien remplir ce sacré caractère,
Qu’au dessein d’arracher son peuple à la misère
Cèdent tous ses autres projets ;
Et que, quelque fierté que le trône demande,
Il faut à tous momens que sa bonté le rende
Le père de tous ses sujets.

À peine a-t-il calmé les troubles de la terre,
Que ce sage héros consulte avec la paix
Les moyens d’effacer les troubles de la guerre
Par de mémorables bienfaits.
Il dérobe les cœurs de sa jeune noblesse
Aux funestes appas d’une indigne mollesse,
Compagne d’un trop long repos.
France, quels soins pour toi prend ton auguste maître

Ils s’en vont pour jamais dans ton sein faire croître
Un nombre infini de héros.

Il établit pour eux des écoles savantes
Où l’on règle à la fois le courage et les mœurs,
D’où l’on les fait entrer dans ces routes brillantes
Qui mènent aux plus grands honneurs.
On leur enseigne l’art de forcer les murailles,
De bien asseoir un camp, de gagner des batailles,
Et de défendre des remparts.
Dignes de commander au sortir de l’enfance,
Ils verront la Victoire, attachée à la France,
Ne suivre que ses étendards.

Tel cet Être infini dont Louis est l’image,
Par les secrets ressorts d’un pouvoir absolu,
Des différens périls où la misère engage
Sut délivrer son peuple élu.
Long-temps dans un désert, sous de fidèles guides,
Il conduisit ses pas vers les vertus solides,
Source des grandes actions,
Et, quand il eut acquis de parfaites lumières,
Il lui fit subjuguer des nations entières,
Terreur des autres nations.

Mais c’est peu pour Louis d’élever dans ses places
Les fils de tant de vieux et fidèles guerriers
Qui, dans les champs de Mars, en marchant sur ses traces
Ont fait des moissons de lauriers.
Pour leurs filles il montre autant de prévoyance
Dans l’asile sacré qu’il donne à l’innocence
Contre tout ce qui la détruit :
Et par les soins pieux d’une illustre personne
Que le sort outragea, que la vertu couronne,
Un si beau dessein fut conduit.

Dans un superbe enclos où la sagesse habite,
Où l’on suit des vertus le sentier épineux,
D’un âge plein d’erreurs mon faible sexe évite
Les égaremens dangereux.
D’enfans infortunés cent familles chargées
Du soin de les pourvoir se trouvent soulagées :
Quels secours contre un sort ingrat !
Par lui ce héros paie, en couronnant leurs peines,
Le sang dont leurs aïeux ont épuisé leurs veines
Pour la défense de l’état.

Ainsi dans les jardins l’on voit de jeunes plantes,
Qu’on ne peut conserver que par des soins divers,
Vivre et croître à l’abri des ardeurs violentes,

Et de la rigueur des hivers :
Par une habile main sans cesse cultivées,
Et d’une eau vive et pure au besoin abreuvées,
Elles fleurissent dans leur temps ;
Tandis qu’à la merci des saisons orageuses,
Les autres, au milieu des campagnes pierreuses,
Se flétrissent dès leur printemps.

Mais quel brillant éclair vient de frapper ma vue ?
Qui m’appelle ? qu’entends-je ? et qu’est-ce que je vois ?
Mon cœur est transporté d’une joie inconnue :
Quels sont ces présages pour moi ?
Ne m’annoncent-ils point que je verrai la chute
Des célèbres rivaux avec qui je dispute
L’honneur de la lice où je cours ?
Que de gloire ! et quel prix ! si le ciel me l’envoie
Le portrait de Louis à mes regards en proie
Les occupera tous les jours.