Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Le Nuage et l’enfant

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Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 168-171).


LE NUAGE ET L’ENFANT.


L’enfant disait au nuage :
« Attends-moi jusqu’à demain,
Et par le même chemin
Nous nous mettrons en voyage.

« Toi, sous tes belles lueurs ;
Moi, dans les champs pleins de fleurs,
Sur le cheval de mon père :
Nous irons vite, j’espère !

« Je m’y tiens bien, tu verras !
J’y monte seul à la porte ;
Et quand mon père m’emporte,
Je n’ai pas peur dans ses bras.

« Quand il fait beau, comme un guide,
En tête il me fait asseoir ;
Toi, d’en haut tu pourrais voir
Comme je tiens bien la bride !


« Ah ! je voudrais d’ici là
Ne faire qu’une enjambée
Sur la nuit toute tombée,
Pour te dire : Me voilà !

« Mais je vais faire un beau rêve
Où je rêverai de toi ;
Jusqu’à ce que Dieu l’achève,
Ami nuage, attends-moi !



Comme il jetait les paroles
De ses espérances folles,
Le nuage décevant
Glissait, poussé par le vent.

Pourtant le bambin sautille,
L’oiseau chante, l’eau scintille,
Et l’écho lui sonne au cœur :
« Demain ! demain ! quel bonheur ! »

Enfin le soleil se couche
Et son baiser qui le touche
D’un voile ardent clôt ses yeux
Qu’il tenait ouverts aux cieux.


Près de rentrer chez sa mère,
Au voyageur éphémère
L’enfant veut parler encor,
Mais le beau fantôme d’or

N’est plus qu’une vapeur grise
Qu’avec un cri de surprise,
L’enfant qu’il vient d’éblouir
Voit fondre et s’évanouir.

Au cri de la petite âme,
S’est élancée une femme
Qui, le voyant sauf et sain,
Boudeur l’emporte à son sein.

Plaintif, le mignon s’y cache,
Déclarant ce qui le fâche,
Que, sans son bel étranger,
Il ne veut plus voyager !

« Si tu chéris les nuages,
Mon amour, pour tes voyages
Le temps en aura toujours ;
Il en passe tous les jours.


— Ce ne sera plus le même,
Celui-là, mère, je l’aime ! »
Dit l’enfant, puis il pleura…
Et la femme soupira.


Juin 1848.


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