Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Le Petit Brutal

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Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 165-167).


LE PETIT BRUTAL.


J’ai vu bien des enfants mal éclos dans ma vie ;
J’en ai tant vu, tant vu que les yeux m’en font mal !
Mais ils valaient de l’or près du petit brutal
Qui, de ne pas l’aimer, me donnerait l’envie.

Il faut aimer pourtant : que faire de son cœur ?
Quand il serait encor plus hardi, plus moqueur,
Il faut en le grondant lui faire une caresse
El le changer peut-être à force de tendresse.
Gronder n’est pas si beau.
Gronder n’est pas si beau.— « Viens donc, mon pauvre enfant,
Ma raison te pardonne et mon cœur te défend.
La malice est un dard que l’indulgence émousse.
Bonjour ! Prends cette orange… Elle est mûre, elle est douce ;
Fais-en ce que tu veux ; je la gardais pour toi :
Un jour, pour quelque enfant tu feras comme moi.
Tu ne dis pas merci ?
Tu ne dis pas merci ? — Non.
Tu ne dis pas merci ? — Non. — Pourquoi donc ?
Tu ne dis pas merci ? — Non. — Pourquoi donc ? — Je mange.

— Et tu ne m’aimes pas un peu ?
— Et tu ne m’aimes pas un peu ? — J’aime l’orange.
— Tu n’es pas dans ton tort. Mais poursuis ton chemin
Sois libre comme l’air.
Sois libre comme l’air. — Je t’aimerai demain.
— Je le sais mieux que toi, ton regard me l’assure ;
Comme un petit serpent tu guéris ta morsure.
....................
— Je n’aime pas le grand qui me fait de grands yeux,
El qui lève toujours sa canne sur ma tête.
C’est un laid, c’est un noir, c’est une grosse bête !
Quand il sera petit et que je serai grand,
Nous verrons !
Nous verrons ! — Ne peux-tu l’éviter en courant ;
Et le laisser partir sans que tu te déranges ?
On se distrait d’ailleurs en mangeant des oranges.
C’est si bon, d’être bon, d’être gai, franc, loyal,
Et d’être pardonné quand on a fait le mal !
Dieu m’a traitée ainsi lorsque j’étais méchante :
Cette bonté toujours me rend bonne et m’enchante !
— Vous avez donc crié ?
— Vous avez donc crié ? — Tais-toi, c’était affreux !
Et les petits enfants se regardaient entre eux.
J’arrachais les fruits verds, je marchais sur les roses ;
Je faisais, comme toi, de très-vilaines choses.

Et l’on me détestait.
Et l’on me détestait. — C’est drôle !
Et l’on me détestait. — C’est drôle ! — C’est bien plus,
C’est bête, et l’on s’en moque aux livres que j’ai lus.
Lis-tu beaucoup ?
Lis-tu beaucoup ? — Jamais ! Je déchire la page.
Quand vous étiez méchante, aimiez-vous le tapage ?
— À t’en donner l’horreur. Tu verras !
— À t’en donner l’horreur. Tu verras ! — Je verrai.
— Viens, nous en causerons comme amis.
— Viens, nous en causerons comme amis. — Je viendrai,
Mais quand ?
Mais quand ? — À la belle heure avec toi reparue.
— Ah ! c’est que j’ai beaucoup d’affaires dans la rue !
— Ne te gêne donc pas et viens quand tu voudras.
Je me confesserai : toi, tu me jugeras. »

Il vint, et de lui-même ouvrant d’un coup la porte
Il y passait sa tête aimable ou non, n’importe,
Et tenté par un charme, une histoire, un doux fruit,
Il oubliait de battre et de faire du bruit.


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