Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Les Prisons et les prières

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LES PRISONS ET LES PRIÈRES.


Pleurez : comptez les noms des bannis de la France ;
L’air manque à ces grands cœurs où brûle tant d’espoir.
Jetez la palme en deuil, au pied de leur souffrance ;
Et passons : les geôliers seuls ont droit de les voir !
Passons : nos bras pieux sont sans force et sans armes ;
Nous n’allons point traînant de fratricides vœux ;
Mais, femmes, nous portons la prière et les larmes,
Et Dieu, le Dieu du peuple en demande pour eux.
Voyez vers la prison glisser de saintes âmes ;
Salut ! vous qui cachez vos ailes ici-bas ;
Sous vos manteaux mouillés et vos pâleurs de femmes,
Que de cendre et de boue ont entravé vos pas !
Salut ! vos yeux divins rougis de larmes vives
Reviennent se noyer dans ce monde étouffant ;
Vous errez, comme alors, au Jardin des Olives ;
Car le Christ est en peine et Judas triomphant.
Oui, le Christ est en peine ; il prévoit tant de crimes !
Lui dont les bras cloués ont brisé tant de fers !
Il revoit dans son sang nager tant de victimes,
Qu’il veut mourir encor pour fermer les enfers !

Courez, doux orphelins, montez dans la balance ;
Priez pour les méchants qui vivent sans remords ;
Rachetez les forfaits des pleurs de l’innocence,
Et dans un flot amer lavez nos pauvres morts !
Et nous, n’envoyons plus à des guerres impies
Nos fils adolescents et nos drapeaux vainqueurs ;
Avons-nous amassé nos pieuses charpies
Pour les baigner du sang le plus pur de nos cœurs ?
Pitié ! nous n’avons plus le temps des longues haines :
La haine est basse et sombre ; il fait jour ! il fait jour !
Ô France ! il faut aimer, il faut rompre des chaînes,
Ton Dieu, le Dieu du peuple a tant besoin d’amour !


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