Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Une Nuit de mon âme

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Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 138-141).


UNE NUIT DE MON ÂME.


Par un rêve dont la flamme
Éclairait mes yeux fermés,
La nuit emporta mon âme
Où dorment nos morts aimés.
Sous ma fervente lumière
Le sol tressaille et se fend,
Et je ressaisis ma mère
Qui renaît pour son enfant !

« Tu viens donc ! » dit la chère ombre
Dont la voix m’ouvre le cœur ;
« Tu sais donc qu’en ce lieu sombre
Tout spectre attend le bonheur ?
Viens, ne crains pas leur silence
Ni leurs yeux ouverts sans voir,
Le sommeil qui les balance
N’a de vivant que l’espoir.

L’espoir, ô ma bien-aimée,
Sève qui remonte à Dieu,

Vigne errante et parfumée
Qui fleurit, même en ce lieu ;
L’espoir, cette étreinte immense
Qui joint tous les univers,
Ne sens-tu pas qu’il commence
D’unir au moins nos revers ?

Comme aux chaleurs d’une serre
L’homme fait germer ses fleurs,
Le trépas qui nous enserre
Ici fait germer nos cœurs.
À travers le dernier voile
Tendu sur l’autre avenir
Nous voyons la double étoile
De l’aube et du souvenir.

Que de sources éternelles
Dans ces lointains toujours beaux !
Que d’arbres aux fleurs nouvelles
Sur ces routes sans tombeaux !
Vois que d’immortelles vies
Te recevront avec moi :
Vois que de mères suivies
D’enfants aimés comme toi !


Sous une forme reprise
Et qui nous ressemblera,
Avec un cri de surprise
Chacun se reconnaîtra.
« Quoi, c’est lui ! c’est toi ! c’est elle ! »
Retentira de partout,
Et l’on proclamera belle
La mort vivante et debout !

Jette donc loin tes colères
Contre d’innocents ingrats ;
Le flambeau dont tu t’éclaires
Te voit si tendre en mes bras.
Cesse d’essayer la haine,
Faite pour la mépriser :
C’est perdre à river ta chaîne
La force de la briser.

Adieu, fille de mes larmes,
Revue à force d’amour,
Quand le temps rompra ses armes,
Tu me suivras au grand jour.
À ton épreuve asservie,
Va plaindre les plus souffrants,

Et pour gagner l’autre vie,
Retourne avec les mourants. »

L’ombre alors pressa ma lèvre
D’un baiser lent et profond
Qui d’une indicible fièvre
Fait encore battre mon front.
Montez, mon humble courage.
Sous les insultes du sort :
J’irai plus haut que l’orage
Dans les ailes de la mort !


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