Poire Beurré Dubuisson

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Nouvelle Pomologie Belge.
La poire Beurré Dubuisson.

Quoique les qualités hors ligne du Beurré Dubuisson aient déjà été mises complétement en lumière par la Pomone Tournaisienne de M.  B. Du Mortier ainsi que par les Bulletins du Cercle d’Arboriculture[1], ce fruit remarquable doit nécessairement trouver sa place dans l’iconographie de la nouvelle pomologie belge.

En donnant aujourd’hui la figure coloriée si admirablement réussie du Beurré Dubuisson, nous croyons devoir reproduire l’article dont notre excellent confrère M.  Delrue-Schrevens avait enrichi nos Bulletins l’an dernier et qui n’a pas peu contribué à donner à la nouvelle poire Tournaisienne une grande vogue.

Éd. Pynaert.

« Parmi les nombreuses variétés de fruits dont la Pomologie belge s’est enrichie depuis le commencement de ce siècle, la poire Beurré Dubuisson est incontestablement une des plus précieuses et des plus méritantes.

« L’heureuse découverte de ce fruit est due à une circonstance fortuite que nous croyons devoir rapporter. En 1829, M.  Toussaint-Carpentier, jardinier, à Tournai, parcourait les pépinières de feu M.  Isidore Dubuisson, dit Buchon, à Jollain, lorsque ses regards furent arrêtés sur un jeune pied, qui se distinguait par son port, son bois et sa feuille. Ayant conçu l’espérance que ce semis produirait des fruits distingués, il engagea M.  Dubuisson à conserver précieusement ce sujet et le pria de lui en remettre quelques scions qu’il greffa chez lui.

« L’œil exercé du jardinier ne s’était pas trompé ; trois ans après, les greffes devançant le pied mère, fructifiaient dans l’enclos Saint Martin, à Tournai, et M.  Toussaint recueillait de magnifiques fruits !… Le Beurré Dubuisson était trouvé ! !

« La première fructification du pied mère, à Jollain, n’eut lieu que deux ans plus tard, c’est à dire en 1834.

« On se demandera peut-être comment ce fruit, destiné à faire le tour du monde et si justement apprécié aujourd’hui par les amateurs de pomologie, n’a pas été plus tôt répandu, et n’est pas sorti des limites du Tournaisis. C’est que les modestes obtenteurs ont voulu s’assurer si les excellentes qualités qu’ils avaient reconnues, n’étaient pas sujettes à des vicissitudes et si cette poire se conservait aussi parfaite qu’elle leur avait paru d’abord. D’autre part, les obtenteurs qui n’étaient pas hommes à faire éclat de leur succès, se sont bornés à le cultiver à un petit nombre de pieds, qu’ils offraient simplement à leur clientèle privée.

« Les premiers pieds furent plantés dans le magnifique jardin de M.  René De Rasse. Présenté à la Société royale d’Horticulture de Tournai, le Beurré Dubuisson fut immédiatement propagé par M.  Barthélemy Du Mortier, M.  Louis Du Mortier et M.  Honoré Dubar, à Templeuve. Mais cette propagation par des amateurs ne

sortit pas des limites restreintes du Tournaisis.

Beurré Dubuisson.

« Il était réservé à l’exposition internationale de Tournai et à la publication de la Pomone Tournaisienne de faire connaître cet incomparable fruit. Grande fut la surprise de tous les membres du jury international, de trouver dans la plupart des collections de Tournai, un fruit de première grosseur, murissant en mars, vanté par tous les possesseurs, qui leur était inconnu et qui n’existait dans aucune collection de Lille, de Courtrai, de Gand, etc. La Pomone Tournaisienne indiquait cette variété comme un des douze types de perfection avec le Beurré d’Hardenpont, le Délice d’Hardenpont, le Passe-Colrnar, le Beurré rance, le Beurré Liart ou Napoléon, la Joséphine de Malines, le Beurré Dumont, le Beurré Durondeau, le Beurré de Ghelin, le Beurré Six et le Beurré Dilly. En voyant le Beurré Dubuisson en aussi bonne compagnie, tous les amateurs comprirent qu’ils devaient posséder cette variété inconnue et si hautement vantée.

« Les éloges que lui donne la Pomone sont-ils exagérés ? En aucune manière, et, dans notre opinion, ils ne sont pas même à la hauteur du mérite réel de cette délicieuse poire. Nous regardons le Beurré Dubuisson comme la plus précieuse conquête de ce siècle, en ce sens qu’elle égale en bonté les meilleures poires d’octobre et qu’elle mûrit, en carême, février-mars, à une époque où l’on manque de fruits parfaitement fondants. Il y a plus, elle a un avantage incomparable, celui de se conserver au fruitier, mûre pendant quatre mois entiers, depuis le commencement de décembre jusqu’à Pâques, sans subir aucune altération.

« N’est-ce pas un avantage immense pour un amateur que de pouvoir, pendant les quatre mois d’hiver, descendre dans son fruitier et y trouver en état parfait de maturité la meilleure des poires de la saison ?

« L’arbre du Beurré Dubuisson est d’une moyenne vigueur ; nous avions toujours cru que les pieds plantés il y a vingt-cinq ans dans nos jardins, étaient greffés sur coignassier ; une observation récente nous a fait voir qu’ils sont tous greffés sur franc. Nous tenons de M.  Hellin, pépiniériste, à Jollain, le premier de nos pépiniéristes qui ait propagé cette espèce, que, greffée sur coignassier, elle se met trop promptement à fruits, ce qui nuit à la croissance et au développement du sujet.

« Comme l’arbre forme immédiatement crochets et que le pédoncule est très court, ce Beurré ne se prête guère au plein vent, à moins que ce ne soit dans un jardin abrité des vents d’automne. Sa culture réelle est celle en espalier au midi.

« En pyramide, le fruit devient énorme et atteint la dimension du Beurré Clairgeau, sans rien perdre de ses qualités.

« À Tournai, le Beurré Dubuisson est principalement cultivé sous cette forme locale, si remarquable et si propre aux petits jardins, qu’on y désigne par le nom heureux de chandelle. Cette désignation caractérise le poirier cylindrique de la base au sommet et nullement renflé comme le fuseau, ayant de 25 à 30 centimètres d’écartement. Le fuseau, au contraire, est plus ou moins ovoïde, comme son nom l’indique, et la pyramide est une forme angulaire à base élargie.

« À la pyramide les grands espaces, à la chandelle les jardins de ville.

« Traité dans cette forme, à taille courte, le Beurré Dubuisson développe immédiatement ses crochets et se met de suite à fruits. Il est peu d’espèces de poiriers qui se prêtent mieux à la taille en chandelle, de sorte qu’elle doit nécessairement entrer dans tous les petits jardins, dont elle sera l’ornement et la ressource pour les fruits de longue garde.

«Nous avons dit que le Beurré Dubuisson commençait à mûrir en décembre et qu’il se conservait jusqu’en avril[2]. Cela tient principalement à la fermeté de sa peau, aussi résistante au choc que le Beurré rance. Cette peau verte d’abord devient jaune en mûrissant. La chair est fine, entièrement beurrée, sans aucune apparence de pierres autour de la columelle, extrêmement sucrée, délicieusement aromatisée et tellement juteuse, qu’aucun des meilleurs fruits d’octobre ne le surpasse sous ce rapport.

« C’est véritablement un Beurré Dumont mûrissant en carême.

« Aussi n’est-on pas surpris de l’immense faveur que cette variété a obtenue depuis la publication de la Pomone[3]. De toutes parts on en a demandé des pieds à nos pépiniéristes, des greffes à nos amateurs, et aujourd’hui on ne saurait plus en trouver une seule brindille disponible.

« Ainsi que nous l’avons dit, les qualités incomparables du Beurré Dubuisson lui assignent une place dans tous les jardins, car, nous le répétons, si l’on tient compte de ses qualités et de sa durée, c’est la poire la plus remarquable gagnée depuis le commencement de ce siècle.

« Voici l’appréciation du savant auteur de la Pomone Tournaisienne sur le Beurré Dubuisson :

« Arbre. — Vigoureux, pyramidal, fertile, à rameaux étalés, dressés, scions assez forts, atténués au sommet. Bourgeons sans console, pointus, un peu écartés. Boutons à fruit moyens, ovales, obtus.

« Feuilles. — Ovales, lancéolées, finement dentées, canaliculées, recourbées. Pétiole moyen. Stipules linéaires étalées.

« Fleurs. — En bouquet serré, courtement pédonculées, moyennes. Pétales, ovales.

« Fruit. — Très gros, oblong, un peu bosselé, tronqué, ombiliqué et un peu côtelé à la base, légèrement atténué au

sommet. Pédoncule court, gros, oblique, à peine rentrant. Calice ombiliqué rentrant, à sépales dressés et connivents. Peau jaune, picotée et maculée de fauve, parfois légèrement colorée du côté du soleil. Chair fine, beurrée, sucrée, légèrement aromatisée, très juteuse. Fruit hors ligne. »

« Delrue-Schrevens. »

  1. Voir Bulletin 1871, page 97.
  2. Nous avons eu le plaisir d’en envoyer deux fois, d’abord en décembre, puis en avril, des fruits à notre excellent confrère et ami M.  Éd-Pynaert, afin que le Comité du Cercle pût s’assurer de la durée et des hautes qualités de cette poire.
  3. Pomone Tournaisienne, par B. C. Du Mortier, président des Sociétés royales d’Horticulture de Tournai et de Botanique de Belgique. En vente chez Me  Ve Casterman, à Tournai, et à l’Office de Publicité, à Bruxelles. Prix : fr. 3-50.