Politesse canadienne/34

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Imprimerie l’Union (p. 114-117).


BALS


Nous dirons, tout d’abord, que les Canadiens-Français ne vont, que très rarement, au bal ; et nous ne croyons pas, non plus, que ce soit grand honneur, pour eux, d’être conviés à la danse. La danse est l’amusement coutumier des peuples barbares et païens ; à mesure que les bienfaits de la civilisation chrétienne leur sont prodigués, ils s’y livrent beaucoup moins.

Il y a, sans doute, des danses permises ; mais on ne danse plus guère maintenant, les gigues de nos bons vieux grands-pères, et les joyeux quadrilles d’autrefois. On organise encore parfois de petites sauteries, dans les familles, sous le regard bienveillant des pères et mères, et qui ne sont certes pas les plus condamnables.

Le Bon Saint François de Sales, parlant des danses de son temps, dit, qu’« elles sont comme les champignons ; les meilleures ne valent rien. » Que dirait-il donc de celles d’aujourd’hui ?… si ce n’est, qu’elles sont presque toutes comme les champignons vénéneux, que l’on ne peut en user sans ressentir, au moins, les atteintes du mal.

Allez au bal, le moins que vous pourrez ! et ne croyez pas encore une fois, honorer vos amies, en donnant une danse pour elles. Oubliez-vous que le patron des Canadiens-Français, Saint Jean-Baptiste, fut mis à mort, pour satisfaire le coupable et infâme caprice d’un danseuse ! Tout comme au temps d’Hérodiade, la danse endurcit, dessèche le cœur en le pervertissant ; elle donne le vertige, fait tourner la tête ! Aussi, les plus habiles danseuses ont-elles, le plus souvent, toute leur intelligence dans les pieds…

Comment pourrait-on faire, direz-vous, pour s’abstenir de la danse, toutes nos compagnes y vont ?… C’est tout simple. Voici une jeune fille distinguée, de famille très honorable, qui commence à aller dans le monde ; on la recherche, on l’invite de tous côtés. Dès qu’il s’agit d’une invitation à la danse, elle remercie gentiment d’avoir pensé à elle, ce jour-là, puis elle déclare franchement, qu’elle ne fréquente pas la danse. On comprendra ; on l’appréciera davantage, et, elle ne sera plus importunée par ce genre d’invitation.

Supposez maintenant que toutes les amies de cette jeune fille en fassent autant, la danse serait vite bannie de leur entourage. Les danses, en habits noirs seuls, feraient l’effet d’un défilé de croque-morts, et ne seraient guère fréquentées.

Il y a pourtant des bals, bals d’état etc, auxquels certaines personnes sont dans l’obligation d’assister.

C’est à leur hôtesse que les Messieurs font la première invitation à la danse : elle remercie, mais elle peut désigner discrètement certaines invitées, peu connues, et qu’elle serait peinée de voir délaissées.

Il est plus convenable de faire ses engagements pour la danse avant l’ouverture du bal, dès que les invités sont arrivés. Danseurs et danseuses, sont munis de petits carnets, portant le nom des danses par ordre de numéro. Un Monsieur inscrit son nom sur le carnet de sa danseuse, à côté du numéro de la danse accordée. Il prend note aussi de cet engagement, sur son carnet, et se garde bien de l’oublier.

Dès les premières mesures de l’orchestre, le Monsieur vient s’incliner devant sa danseuse, sollicitant l’honneur etc, — la dame répond : « Avec plaisir Monsieur » ; et elle se lève immédiatement.

Un Monsieur qui accompagne une dame au bal, l’invite la première à la danse, et la laisse libre ensuite, de se choisir un autre cavalier : mais il danse encore avec elle dans le cours de la soirée et voit à ce qu’elle ne soit pas privée du plaisir de s’amuser. C’est lui surtout qui doit la conduire au buffet, et puis, la reconduire chez elle.

Les jeunes filles de la maison doivent tour à tour être invitées à la danse. Si elles sont engagées déjà, elles remercient gentiment : mais les Messieurs leur doivent la politesse d’une invitation.

Quand une dame a refusé une danse, il vaut mieux, pour elle, ne plus danser du tout.