Port-Royal/Livre I/04

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Librairie de L. Hachette et Cie (Tome premierp. 77-97).
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IV


Henri IV à Maubuisson ; matière de fabliau. — Bulles obtenues et mensonge. — La jeune abbesse installée à Port-Royal. — Jeux et passe-temps ; mélancolie et angoisses. — Contraste de caractère d’Angélique et d’Agnès. — Projets périlleux de la jeune Angélique ; maladie ; elle va chez son père. — Elle est touchée par l’affection humaine ; retour au monastère. — Sermon du Père Basile ; première lueur divine. — Le Père Bernard et le Père Pacifique ; transes mortelles ; excès ascétiques. — Elle va à Andilly ; M. Arnauld la chapitre. — Elle revient à Port-Royal. — Considérations sur l’œuvre de Grâce.


C’est toujours du plus près possible qu’il faut regarder les hommes et les choses : rien n’existe définitivement qu’en soi. Ce qu’on voit de loin et en gros, en grand même si l’on veut, peut être bien saisi, mais peut l’être mal ; on n’est très sûr que de ce qu’on sait de très près. Qu’on se rappelle l’expérience : dans les choses de cette vie actuelle et contemporaine, combien de fois ne se trompe-t-on pas, sinon du tout au tout, du moins beaucoup plus qu’il ne faudrait, en jugeant de loin des hommes, des nations, des villes, des paysages, qu’on s’étonne ensuite, quand on les approche et qu’on les parcourt en détail, de trouver tout autres qu’on ne se les figurait !

À combien plus forte raison doit-il en être ainsi dans l’histoire du passé ! Seulement là, le plus souvent, la vérification dernière est impossible, et l’approximatif seul fait la limite extrême de notre observation. Au moins quand des tableaux, des récits naïfs se présentent, profitons-en pour éclairer certains coins de mœurs et certains caractères de personnages, pour tâcher de nous les peindre sans rien d’abstrait ni de factice, et comme ils étaient, avec leur bon et leur mauvais, dans ce mélange qui est proprement la vie. J’admire Henri IV, et tous l’aiment ; et c’est là son rôle officiel, en quelque sorte, dans l’histoire, d’être le bon Roi et d’être aimé. Pourtant, si nous revenions au temps de Henri IV, si, avec les idées qu’on s’est aujourd’hui formées de lui, nous avions l’honneur de le voir revivant comme alors et de le pouvoir connaître, nous ne sortirions pas, j’en suis sûr, sans mécompte. Ce ne serait pas sa faute ; car ce qu’il a été, il n’a rien fait pour le cacher, il l’a été tête haute et bien à l’aise : ce serait la faute de notre prévention. Les Mémoires de d’Aubigné, quand nous les lisons, défont un peu le personnage officiel, non pas l’héroïque (celui-là subsiste toujours), mais le personnage plus débonnaire – qu’il ne faut, et qu’on est habitué à se façonner sous ce nom. L’anecdote à laquelle, à travers ces détours, j’en veux venir sur l’abbaye de Maubuisson, sans prouver beaucoup, n’est point favorable à l’idéal du bon Henri : elle est beaucoup moins contraire à un certain autre côté malin et narquois de Henri IV, qui fait également partie de la tradition populaire.

Madame d’Estrées, à qui notre jeune Angélique est confiée, avant de gouverner l’abbaye de Maubuisson, n’avait que celle de Bertaucourt, près d’Amiens. Un jour donc que Henri IV était allé à Bertaucourt faire visite à madame Gabrielle, qui, pour plus de commodité, logeait chez sa sœur l’abbesse, la belle pria le roi de mettre sa sœur à quelque abbaye plus proche de Paris. Le roi lui promit d’y aviser, et sans doute, dans ce rapprochement de sa sœur, madame Gabrielle pensait surtout à elle-même, et à être plus à portée de son roi cher et volage. Celui-ci pourtant, qui, ce jour-là, ne désirait peut-être qu’à demi, lui fit quelques objections tout en promettant, et lui dit qu’il ne voyait guère pour le moment d’abbaye vacante à la convenance. Elle insista, et en vint à lui indiquer alors l’abbaye de Maubuisson, laquelle en effet, ajoutait-elle, s’était conservé le droit (on ne savait pourquoi, en vérité) d’élire ses abbesses directement, et de les élire perpétuelles : ce qui donnait prise au droit du roi et à casser cette prétendue élection. Le roi promit derechef d’y songer, et à quelques jours de là, étant allé à la chasse dans les environs de cette abbaye, il arriva comme par hasard sous les murs ; il fit demander à entrer. Ce fut grand honneur et grande joie. Il se rendit tout droit au logis abbatial, vers, dame abbesse qui s’avançait en hâte pour le recevoir. C’était pour lors une fille de la maison de Pisieux, d’abord religieuse de Variville (près Clermont-en-Beauvoisis), et que celles de Maubuisson avaient élue pour abbesse à cause de sa vertu. Le roi, s’entretenant avec elle, lui dit, sans avoir l’air d’y mettre importance : « Madame l’abbesse, qui est-ce qui vous a donné vos provisions pour l’abbaye ? » Cette bonne fille n’y entendant pas malice, et saisissant l’occasion de voir confirmer d’un brevet royal son élection libre, repartit bien vite avec révérence : « Sire, vous me les pouvez donner quand il vous plaira. » — Le roi répliqua en souriant : « J’y penserai, madame l’abbesse, » et ensuite se retira de l’abbaye, raconte-t-on,[1] en faisant dire à cette bonne abbesse qu’il voulait donner la charge à une autre. Elle apprit en effet, peu après, que le roi faisait venir des Bulles de Rome ; d’où elle prit épouvante, et se retira à son ancien couvent de Variville, laissant la place nette à la sœur de madame Gabrielle. Les Bulles arrivèrent ; le roi amena lui-même madame d’Estrées à Maubuisson, tint le chapitre, la mit en possession, et fit promettre l’obéissance aux religieuses. Il eut dès lors deux abbayes pour voir madame Gabrielle, Bertaucourt, que madame d’Estrées gardait encore, et Maubuisson plus rapproché.

Ne semble-t-il pas que voilà matière toute trouvée à un malin fabliau, comme en contient tant le recueil de Barbazan ou de Le Grand d’Aussy ? La suggestion intéressée de la belle Gabrielle, la promesse de Henri IV faite d’un air d’objection et de négligence, cette adresse qu’il met à la remplir (intéressé lui-même) ; la partie de chasse, toujours si commode aux doubles desseins, l'air de joie et de révérence de la bonne abbesse qui le reçoit au perron, et qui donne en plein dans le piège de la demande ; le singulier clignement alors du roi grivois, qui rit sous sa moustache de tenir si bien son affaire ; tout cela composerait aisément une petite scène, où il y aurait un peu plus de perfidie que dans le dîner chez Michaut, mais où il entrerait bien du vieil esprit français, de la malice anti-monacale et galante, beaucoup enfin de la vraie physionomie de Henri IV, — plus que dans la Henriade, on le croira. M. Andrieux a fait un joli conte de l’histoire du meunier de Sans-Souci : ce serait un peu ici le contraire. Le despote Frédéric épargne le moulin qui lui gâte la vue ; le bon Henri IV prend sans façon l’abbaye qui lui convient.

On respecte un moulin, on vole une province.

On épargne un pays, on vole une abbaye ; l’adage ainsi se doit retourner. C’est qu’idole pour idole, Frédéric tenait encore moins à sa vue de Potsdam que Henri IV à un désir de madame Gabrielle. Mais, nonobstant la petite perfidie, les rieurs, en France, seront toujours du parti du Diable-à-quatre et de ses amours. Je ne saurais m’empêcher moi-même de regretter que La Fontaine, qui fait bien le pendant de Henri IV en poésie, et qui n’était bonhomme à son tour que dans cette mesure, n’ait pas écrit, sous le titre de l’Abbesse de Maubuisson, un petit conte de plus en vers, eût-il dû s’en repentir après, comme de Joconde.

L’année du noviciat étant expirée, la jeune Angélique fit profession, le 29 octobre 1600, entre les mains de l’abbé de La Charité, moine de Cîteaux, délégué par l’abbé supérieur ; elle avait neuf ans. Elle continua de rester à Maubuisson jusqu’en juillet 1602, époque où la dame Boulehart, abbesse de Port-Royal, étant morte, elle alla prendre possession de l’abbaye. Dans l’intervalle (de 1601 à 1602), et depuis que la jeune Angélique avait fait profession, on postulait de nouveau à Rome pour ses Bulles : il n’était plus question de la première Jacqueline pour qui on les avait refusées ; on ne parlait que de la jeune Angélique, religieuse professe, âgée, disait-on, de dix-sept ans ce qui paraissait encore trop de jeunesse et de bas âge à Rome. On y employait activement le cardinal d’Ossat, le grand négociateur, dont il existe une lettre sur ce sujet.[2]Rome d’ailleurs, comme si elle eût eu pressentiment de ce qu’allait devenir, grâce à l’abbesse nouvelle, ce Port-Royal qu’il faudrait réprimer, Rome y mettait peu de bonne volonté. À défaut de pressentiment, on s’y souvenait du plaidoyer de M. Arnauld, des réquisitoires assez récents de M. Marion contre les Jésuites et contre les prétentions ultramontaines : les véritables scrupules pouvaient bien venir de là. Mais le cardinal d’Ossat, en négociateur habile, s’arma précisément de ces circonstances, représenta l’éclat d’un refus qui aurait couleur politique, l’intérêt de passion qu’y mettrait le Parlement, l’adoucissement qui, au contraire, résulterait d’une faveur du Saint-Siège ; et il emporta enfin comme d’assaut les Bulles tant désirées. Il y était question, dans les considérants, des services rendus au monastère de Port-Royal, pendant les troubles de religion, par M. Marion, aïeul de l’abbesse, sans les secours et soins duquel le monastère, était-il dit, n’aurait pu subsister. J’avoue que tous ces stratagèmes avérés, joints à l’âge de dix-sept ans qui était un pur mensonge, me rendent moins invraisemblable une parole dénigrante de Tallemant sur les Arnauld, à laquelle je n’avais d’abord pu croire. Il parle d’un jeune avocat d’esprit caustique, nommé de Pleix, qui ayant été leste un jour au Palais en plaidant contre M. Arnauld, se vit obligé de faire de publiques excuses. Mais de Pleix se vengea de l’humiliation, et joua depuis un méchant tour à cette famille ; «car il se mit, dit Tallemant, à rechercher dans les registres de la Chambre des comptes, et fit voir qu’on avait enregistré des brevets de pension pour services rendus par des enfants de cette famille qui (à la date des brevets) étaient à la bavette, et fut cause qu’on leur raya pour plus de douze ou quinze mille livres de pension. Cela s’était fait par la faute de M. de Sully.»

La conclusion morale à tirer de tout ceci (car il en faut une, et je n’accumule point ces détails sans dessein). c’est que, dans les affaires du monde, les plus réputés honnêtes gens, fût-ce M. de Sully (comme on l’entrevoit au passage), fût-ce M. Marion et M. Arnauld peuvent se laisser aller à des actes, à des altérations qui ne sont pas, tant s'en faut ! la justice même. Montaigne, La Rochefoucauld, Molière et La Bruyère, ne s’en étonneraient pas, et volontiers sans doute ils diraient en haussant les épaules et en souriant d’ironie amère : L’espèce est ainsi. Allons plus avant. La seule garantie entière, à ne prendre même les choses que par le côté humain, la seule absolue sauvegarde d’équité constante réside dans une pensée perpétuellement et rigoureusement chrétienne : Port-Royal et les siens nous le rediront assez haut à chaque instant, eux qui ne voyaient dans la nature humaine actuelle, même dite vertueuse, qu’iniquité plus ou moins fardée et sans cesse renaissante qu’éternelle corruption de coeur à surveiller et à guérir.

Les Bulles obtenues, et la mère Boulehart morte, la jeune abbesse Angélique fut installée à Port-Royal et mise en possession de son abbaye, le 5 juillet 1602 par le vicaire-général de l’abbé de Cîteaux, après une assemblée capitulaire solennelle et un simulacre d’élection de la part des religieuses présentes. On trouve, dans une Relation, l’état précis du monastère au moment où elle y vint : «Il y avait pour confesseur un religieux bernardin si ignorant, est-il dit, qu’il n’entendait pas le Pater ; il ne savait pas un mot de Catéchisme, et n’ouvrait jamais d’autre livre que son bréviaire : son exercice était d’aller à la chasse. Il y avait plus de trente ans qu’on n’avait prêché à Port-Royal, sinon à sept ou huit professions… Les moines bernardins qui y venaient n’entretenaient les religieuses que des divertissements de Cîteaux et de Clairvaux, de ce qu’ils appelaient les bonnes coutumes de l’Ordre… On ne communiait alors que de mois en mois, et aux grandes fêtes. La Purification était exceptée, à cause que c’était le temps du carnaval, où l’on s’occupait à faire des mascarades dans la maison, et le confesseur en faisait avec les valets.» — Les religieuses portaient d’habitude, selon la mode mondaine, des gants et des masques. Elles vivaient d’ailleurs, bon gré mal gré, assez pauvrement, étant volées par leurs domestiques : l’abbaye n’avait alors que six mille livres de rentes. Elles étaient treize professes, quand la jeune abbesse y entra ; la plus âgée avait trente-trois ans, et ce fut la seule que madame Arnauld jugea à propos de faire bientôt éloigner pour sa conduite.

Tout continua d’abord comme par le passé, très futilement et assez innocemment. La jeune abbesse avait dix ans et demi, pourtant aussi peu enfant qu’il était possible de l’être à cet âge, d’un esprit fort vif et avancé, et ne sentant déjà pas mal, au moins humainement, ce qu’elle devait au rôle qu’on l’appelait à remplir. Lorsqu’elle eut onze ans, ce M. de La Croix, abbé de Cîteaux, homme fort déférant à M. Arnauld, et de très peu de mérite comme elle nous l’apprend, offrit de lui-même de la bénir, ce que M. Arnauld n’osait sitôt lui demander. Il la bénit donc abbesse[3] et lui fit faire le même jour sa première communion. Il y eut dans l’intérieur de l’abbaye, à cette occasion, compagnie nombreuse et grand festin.

On a, sur ces premiers temps de la mère Angélique, des Relations, on ne saurait plus circonstanciées[4] des espèces de dépositions régulières dressées par les principales religieuses qui lui survécurent, et des récits d’elle-même, l’un inachevé, de sa plume, les autres recueillis de sa bouche par M. Le Maître, qui la ramenait souvent sur ce sujet et, dès qu’il était seul, écrivait tout fraîchement ce qu’elle avait dit. Durant la dernière moitié de sa vie, on la traitait déjà comme une sainte, de qui il faudrait faire le procès un jour, pour la canoniser ; on se mettait d’avance en mesure, en assemblant les témoignages ; on lui faisait, en un mot, sondossier de sainte, de son vivant. On allait même jusqu’à décacheter, à son insu, les lettres qu’elle écrivait, et l’on en tirait copie pour qu’elles ne fussent pas perdues ; c’est ainsi que nous est parvenue la plus grande partie de sa Correspondance avec la reine de Pologne. M. Le Maître, très ardent à ces sortes de biographies, et dont c’était la dévotion, nous dit Du Fossé, de se faire raconter les circonstances personnelles et les aventures spirituelles de chaque solitaire survenant, redoublait naturellement de cette sorte de dévotion à l’égard de sa sainte tante. Ainsi rien ne nous manque sur elle ; on a la série non interrompue de ses moindres actes et de ses pensées ; nous pouvons suivre les mouvements de la Grâce dans son cœur, comme si nous y étions.[5]

La jeune Angélique, à cette époque, avant le réveil de la Grâce, achevait de mener si vie d’enfance. Elle disait ponctuellement l’office, à commencer par les Matines, qu’on avait pourtant remises, pour moins de fatigue, à quatre heures du matin ; et le reste du temps elle jouait ou se promenait dans les enclos. Une des dernières Cartes de visite permettait ou même ordonnait que l’abbesse menât la Communauté promener sur les terres après les vêpres. Les jours de pluie, elle lisait l’Histoire romaine ou des romans. L’abbaye, pour l’ordre matériel, était assez bien menée par la prieure, une dame Du Pont, fille sage et simple. La famille Arnauld venait souvent, madame Arnauld surtout, qui n’était jamais sans quelque inquiétude, à cause du peu de garantie qu’elle voyait dans des habitudes si faciles. Elle arrivait quelquefois à l’improviste, mais elle n’avait rien à surprendre. Tout heureusement se passait sans dérèglement, quoique sans piété vive et sans lumière. Le général de l’Ordre, un M. Boucherat, successeur de M. de La Croix, dans sa Carte de visite de décembre 1604, se montrait satisfait, et ne voyait pas autre chose à ordonner, que de porter le nombre des religieuses de douze à seize.

De rares et légers incidents variaient cette vie ; on s’en souvenait, on s’en entretenait longtemps. Un jour, Henri IV chassant aux environs, et ayant su que M. Arnauld père était pour le moment dans l’abbaye, pendant ses vacances du Parlement, y entra. La jeune Madame de Port-Royal le reçut avec toutes ses religieuses, la croix en tête, et elle-même montée sur de hauts patins, ce qui fit que le roi la trouva bien grande pour son âge. « La modestie du roi fut telle, dit la naïve Relation, qu’il témoigna à M. Arnauld qu’il n’était entré dans l’abbaye qu’à cause qu’il l’avait su là, et qu’autrement il aurait eu peur de troubler ces bonnes filles. » Il promit de venir dîner le lendemain, mais la chasse l’ayant porté ailleurs, il fit dire ses excuses, et ne put que crier lui-même de dessus son cheval en passant dans les hauts champs, tout contre les murs : « Le roi baise les mains à madame l’abbesse ! » Voilà le pendant plus modeste et presque dévotieux de la visite à Maubuisson.

Le temps se passa ainsi depuis 1602 jusqu’en 1607. La jeune abbesse, en avançant en âge, commençait à prendre sa profession et son avenir en dégoût. L’amour-propre pourtant chez elle dissimulait ; elle portait ce joug insupportable en se divertissant de son mieux, nous dit-elle, sans confier sa peine à qui que ce fût et en affectant bonne contenance. Lorsque des personnes étrangères lui insinuaient qu’ayant fait sa profession avant l’âge, elle s’en pouvait dédire, loin de donner dans cette idée, elle s’en choquait presque ; et en effet quelque chose l’avertissait au fond, ajoute-t-elle, qu’elle ne pouvait quitter sa condition sans se perdre, qu’il n’y avait point de loi qui la dispensât d’être à Dieu, et qu’il lui avait fait trop d’honneur de la prendre pour lui. Ces idées sur la sainteté de sa profession se mêlaient, sans qu’elle comprît comment, à une vie aussi païenne et profane qu’elle la pouvait mener avec convenance. Elle allait visiter des voisins en compagnie d’une ou de plusieurs religieuses, et l’on commençait à lui rendre ses visites. Madame Arnauld apprit ces licences que sa fille se donnait, et lui en fit un jour des reproches avec larmes : ce qui augmenta l’angoisse secrète de la jeune abbesse de se voir réduite à continuer à jamais cette vie religieuse si mélancolique à son gré, ou, en la rompant, à fâcher ses parents si bons, et de plus à vivre sans honneur ; car elle savait bien, dit-elle, qu’il ne pouvait y en avoir qu’à vivre selon sa condition. Dans ce conflit, au lieu d’avoir recours à Dieu par la prière, elle se mit, pour divertissement, à lire les Vies de Plutarque et autres livres profanes. — En les lisant alors, et depuis en s’accusant de les avoir lus, elle ne se doutait pas qu'elle paraîtrait, dans les fastes chrétiens du dix-septième siècle, comme quelque chose d’héroïque à son tour, et de comparable en caractère à ce que les Cornélie, les Clélie, ou les mères de Sparte, pouvaient paraître dans l’Antiquité, et que toute une classe de disciples et de fervents, pour la distinguer d’une autre célèbre Angélique, sa nièce, la surnommeraient grande et première comme on a fait pour les Scipions.

Sa jeune sœur, qui souvent partageait ses jeux (car elle l’envoyait chercher à Saint-Cyr dans le carrosse qui était resté de feu la dernière abbesse de Port-Royal), cette autre intéressante enfant, qui devint la mère Agnès, offrait dès lors un naturel tout différent : fort dévote aux offices, comme une personne qui sera adonnée au choeur ; sage, exacte, mais vaine et glorieuse, romanesque d’imagination, au point de demander à Dieu pourquoi il ne l’avait pas fait naître Madame de France (qui a été depuis reine d’Espagne) ; quelque chose d’espagnol comme chez M. d’Andilly, et qui deviendra aisément mystique dans le sens de sainte Thérèse. La mère Angélique, comme ensuite le grand Arnauld, son dernier frère, avait une nature d’esprit plus ferme, plus latine, et qui aurait plutôt tourné à la Plutarque et à la romaine. Voilà de grands noms, mais que la suite du récit justifiera, je l’espère.

Malgré les distractions de promenade ou de lecture, l’ennui revenait vite ; l’aversion allait s’augmentant chez notre jeune abbesse, et, vers quinze ans, elle roulait des résolutions dangereuses. «Je délibérai en moi-même, dit-elle, de quitter Port-Royal et de m’en retourner au monde sans en avertir mon père et ma mère, pour me retirer du joug qui m’était insupportable, et me marier quelque part.» Elle crut même qu’au pis-aller elle serait en sûreté à La Rochelle, bien que bonne catholique, et elle comptait sur le crédit de ses tantes huguenotes pour l’y protéger. À la veille de cette grande résolution de fuir, elle fut, comme divinement, empêchée par une grande maladie et fièvre qui la saisit en juillet 1607. Son père et sa mère l’envoyèrent aussitôt querir, la firent transporter en litière à Paris, l’entourèrent de médecins, et la comblèrent d’affection humaine ; ce qui la toucha fort, et la détourna d’un dessein qui les aurait mortellement affligés. La vue pourtant qu’elle eut durant ce séjour de convalescence au logis paternel, les visites de son oncle l’intendant des finances, de son autre oncle M. Arnauld du Fort, et de ses tantes magnifiques, à l’entour de son lit, tous couverts de velours et de satin, lui rendaient plus que jamais l’inclination mondaine ; et elle se fit faire alors en cachette un corps de baleine, avoue-t-elle, pour paraître de plus belle taille.

Sur ces entrefaites, M. Arnauld se méfiant peut-être de quelque retour de sa fille contre sa profession, usa auprès d’elle d’un tour d’adresse qui irrita cette jeune âme et faillit lui rendre son premier dessein. Un jour, comme elle avait ses quinze ans bien passés, il lui présenta brusquement un papier assez mal écrit, en lui disant, avant qu’elle eût le temps de le lire : «Ma fille, signez ce papier ! » Ce qu’elle fit par crainte et respect, n’osant adresser une question, mais crevant tout bas de dépit, dit-elle. À quelques mots qu’elle saisit du regard, il lui parut bien que c’était un renouvellement et une ratification de ses voeux qu’on lui extorquait ainsi. M. Arnauld, tout intègre qu’il était, n’y regardait pas de si près ce jour-là. Les mondains sont de tout temps les mêmes sur certains chapitres : moins la vérité en soi, que la considération ; moins la vertu, que l’honneur.

La jeune abbesse revint toutefois à son monastère plus résignée de pensée, et y fut reçue par ses religieuses avec une amitié qui la toucha. Elle demeura tout l’hiver très-faible de santé encore. Au Carême de 1608, ayant envie de lire et n’osant faire choix de lecture profane, elle en demanda une de dévotion, mais qui ne fût pas trop pénible. Une religieuse, la dame de Jumeauville, que madame Arnauld avait dès longtemps fait placer près d’elle pour la surveiller, lui donna comme très-beau un livre de Méditations que des Capucins, en venant prêcher au monastère, avaient tout dernièrement apporté. Ce livre, si simple qu’il fût, parut beau également à la jeune Angélique, et elle y trouva quelque sujet de consolation.

Ce fut alors que son jour marqué arriva. À peu de temps de cette lecture, un capucin, le Père Basile, survenant vers la nuit, demanda à prêcher. L’abbesse, qui rentrait d’une promenade au jardin, jugea qu’il était tard ; puis, se ravisant, elle y consentit. Elle aimait assez à entendre ces prédications de passage, et y trouvait parfois une diversion aux sermons assez pitoyables ou ridicules que venaient faire, aux grandes fêtes, les écoliers des Bernardins. La Communauté se rendit au sermon du capucin, comme il était déjà nuit. Il prêcha, à ce qu’il paraît, des anéantissements et des humiliations du Fils de Dieu en sa naissance et dans sa crèche. Ce qu’il dit, au reste, l’abbesse, est-il rapporté, ne s’en souvint pas précisément et n’aurait pu le rendre, même à peu près. Ce qui est certain, c’est qu’une grande action s’opéra : «Pendant ce sermon, dit-elle, Dieu me toucha tellement, que, dès ce moment, je me trouvai plus heureuse d’être religieuse que je ne m’étais estimée malheureuse de l’être, et je ne sais ce que je n’aurais pas voulu faire pour Dieu, s’il m’eût continué le mouvement que sa Grâce me donna.» Cette heure, est-il dit encore, fut comme le point du jour qui a toujours été croissant en elle jusqu’au midi.

De grandes crises suivirent, comme c’est l’ordinaire dans ce travail de la Grâce, même là où il est le plus soudain. Depuis ce soir du sermon prêché par le Père Basile au Carême de 1608, jusqu’au 25 septembre de l’année suivante, autre mémorable journée, comme on le verra bientôt, la vie de la mère Angélique fut une lutte et une angoisse continuelle, une angoisse en dedans par ses scrupules, ses désirs et ses mélanges de terreur et de ferveur, une lutte autour d’elle avec ses religieuses, ses supérieurs et sa famille, qui tous, plus ou moins, s’opposaient à l’accomplissement de ce qu’elle avait conçu.

Le premier obstacle à cette réforme eût été le Père Basile lui-même, qui en était l’instrument. Heureusement l’abbesse, le trouvant un peu jeune pour elle qui n’avait que seize ans et demi, ne s’adressa pas sur l’heure à lui en particulier, et se contenta de le faire remercier par une de ses sœurs. Depuis, elle apprit qu’il était extrêmement déréglé et une vraie cause de désordre au sein de plusieurs maisons religieuses où il avait été introduit. Se contenant donc en elle-même, elle commença d’agiter des projets de changement et de haïr derechef sa condition, non plus de religieuse, mais d’abbesse, par des motifs tout opposés aux anciens. Elle aurait voulu fuir à cent lieues, se cacher de tous, ne plus jamais voir aucun des siens, quoiqu’elle les aimât, et vivre n’importe où en sœur converse, n’étant connue que de Dieu. Cette lutte renfermée dura jusqu’à la Pentecôte. Un autre capucin, le Père Bernard, de beaucoup plus âgé que le précédent et d’un air tout à fait austère, étant venu prêcher, la jeune abbesse osa s’ouvrir à lui de ses désirs de réforme ; mais celui-ci, en homme peu éclairé, prit acte à l’instant des paroles de l’abbesse pour prêcher si sévèrement la Communauté, qu’il choqua et révolta les bonnes sœurs : autre écueil déjà par excès. La prieure représenta, fort judicieusement en apparence, à la mère Angélique que c’était une ferveur de dévotion qui la tenait pour lors et qui la quitterait peut-être avant trois mois, qu’elle allait tout bouleverser, cependant ; et autres raisons de bon sens naturel que chacun eût trouvées. L’abbesse découragée ne songeait plus qu’à laisser l’abbaye, pour se faire ailleurs simple religieuse. Là-dessus, le Père Pacifique, digne et vieux capucin, qui justifiait tout à fait son nom et qui visitait parfois le monastère, survint et fut pris pour juge ; le Père Bernard, l’autre capucin plus emporté, était présent. Le Père Pacifique, bien que plus spirituel et mis plus tard au rang des Bienheureux, cherchait à concilier humainement, à ajourner, à ne rien vouloir d’impossible, et le Père Bernard, bien que moins religieux, parlait plus haut et plus dans le sens prochain de Dieu, comme le remarque la mère Angélique en son récit.[6] Le Père Pacifique entrait dans l’idée qu’Angélique quittât l’abbaye ; le Père Bernard exigeait qu’elle tînt bon et emportât la réforme d’assaut. De là, de nouvelles angoisses. Elle se jetait alors dans des austérités extraordinaires, et, comme en désespoir d’agir au dehors, elle se tournait contre elle-même. C’était peu de ne se vêtir que de drap grossier, de ne coucher que sur la couche la plus dure ; elle se relevait la nuit secrètement et s’en allait prier dans un grenier, de peur que la dame de Jumeauville, qui couchait dans sa chambre, ne la trouvât debout. On la surprit se cautérisant, de nuit, les bras nus avec de la cire brûlante. Je passe d’autres détails trop peu gracieux. — «Que voulez-vous ?» disait-elle plus tard comme en riant lorsqu’on la mettait sur ce chapitre, «tout était bon dans ce temps-là !»

Cependant le Père Bernard, chaque fois qu’il essayait de brusquer la Communauté, y renouvelait l’obstacle. Les religieuses, qui s’opposaient (bien que respectueusement toujours) à une réforme, étaient précisément celles, on le conçoit, qui avaient été le plus régulières jusque-là et le plus modestes ; elles croyaient n’avoir rien à réformer. Le Père Bernard, dans l’ardeur indiscrète de ses règlements, voulut les aller porter, comme de la part de l’abbesse, à l’abbé de Morimond, grand vicaire de M. de Cîteaux, pour les faire autoriser ; en vain l’abbesse lui représenta que l’abbé de Morimond avertirait son père ; ce qui ne manqua pas d’arriver.[7]

M. Arnauld, averti presque en même temps par l’abbé de Morimond et par la surveillante, madame de Jumeauville, exigea qu’aux vendanges prochaines sa fille le vînt voir à sa maison d’Andilly. Il la trouva dépérissant de santé et en proie à une mélancolie opiniâtre. Il s’éleva contre l’intrusion des Pères Capucins dans son monastère ; lui dit que ces gens-là ne voulaient que se faire de son abbaye une bonne ferme à leur bénéfice, et déclara s’opposer expressément à ces réformes sans frein. De telles luttes nouvelles, que la tendresse du sang rendait si sensibles, achevèrent de troubler la jeune Angélique, et redoublèrent une fièvre quarte qui la minait. Ces beaux ombrages d’Andilly, qu’elle avait tant aimés lors de l’année de sa première maladie, et sous lesquels elle s’étonnait qu’on ne voulût pas toujours vivre quand on les possédait, jaunissaient cette fois sans charme à ses yeux et ne l’attachaient plus. Elle revint le 18 octobre à son monastère, plus triste et plus brisée que jamais, résolue de servir Dieu, et pourtant ne voulant rien entreprendre contre le gré de son père ; non pas vaincue, mais toute désarmée.

Le second coup de la Grâce, qui inclina décidément sa volonté, frappa moins de quinze jours après son retour. Le jour de la Toussaint, en effet … — Mais, à propos de cette oeuvre dite de la Grâce, et sur les singularités qu’elle nous offre ici, quelques réflexions et précautions explicatives sont nécessaires. Nous touchons dès le début au cœur de notre sujet, à la clef même de la foi de Port-Royal.

Et d’abord, au point de vue purement humain, à ceux qui ne verraient dans l’opération dite de la Grâce qu’un phénomène psychologique particulier, qu’un état, une passion par moment régnante de l’âme humaine, à ceux-là le phénomène devrait encore paraître assez extraordinaire du moins, assez éminent et assez rare, tant en sa nature qu’en ses effets, pour mériter d’être étudié de près dans ses circonstances avérées, dans ses exemples les plus incontestables. À ceux-là donc, à ceux qui ne voudraient voir qu’en observateurs philosophes et rationalistes les hauteurs et les extrémités de l’âme humaine, je ne craindrai pas de dire que, comme ils n’ont rien de plus divin à nous offrir et qu’ils ne trouvent rien apparemment d’étranger à eux dans ce qui est humain, cette étude que je fais à travers les minutieux détails d’une réalité, toujours pauvre par quelque endroit, n’a rien qui doive sembler puéril et petit, ou trop bizarre. Car, encore un coup, c’est au prix de ces particularités, par moi décrites, que l’âme humaine arrive (les philosophes eux-mêmes ne le nieront pas) à un certain état fixe et invincible, à un état vraiment héroïque, d’où elle exécute ensuite ses plus grandes choses. Il n’est pas de petit chemin qui mène là. Le procédé de l’esprit en pareil cas, ne serait-ce qu’à titre de procédé, vaut d’être connu. Voilà pour les uns ; mais aux autres, à vous qui croyez, qui attachez au mot de Grâce un sens lumineux et divin, à vous tous Chrétiens d’esprit et de foi dans les différentes nuances, je dirai :

Ne vous étonnez pas trop, je vous en prie, de ces détails qui peuvent offenser nos moeurs et vos propres habitudes plus dégagées des pratiques sensibles ; ne vous en scandalisez pas, et n’allez pas croire que, bien qu’il y ait eu quelque excès sans doute, l’ensemble de tous ces soins et de tous ces scrupules n’était pas nécessaire à l’oeuvre, incontestablement utile et grande, qu’on va voir sortir. Ces petits, ces humbles, et, comme on est tenté de les appeler par moments, ces misérables moyens, émanaient d’un grand et saint esprit et tendaient à une haute fin. À la place précise où se trouvait cette jeune abbesse, dans un couvent spirituellement si délabré, au commencement du dix-septième siècle, les moeurs générales et sa condition particulière étant ce qu’on les a vues, il n’y en avait peut-être (parmi ces moyens employés par elle) que très peu d’inutiles. Même en se plaçant dans une autre communion, dans un christianisme moins assujetti aux règles extérieures et aux pratiques traditionnelles, pourvu que ce soit encore un vrai et vif christianisme, c’est-à-dire un christianisme véritablement croyant à la chute, à la rédemption et à la Grâce, il n’y a pas trop à s’étonner de la singularité, tantôt rebutante, tantôt futile en apparence, de ces moyens. La Grâce admise, la Grâce subsistant, et si ce royaume spirituel distinct qui est le sien, et où il nous faut incessamment désirer d’entrer et d’habiter par l’esprit, n’est pas chimère, il n’y a pas de petits moyens qui aident à y pénétrer ; il n’y a pas de moyens absolus, et autant il est d’âmes humaines à des époques et dans des situations différentes, autant il peut y avoir de portes différentes aussi, et d’ouvertures même bizarres, à cette cloison entre le monde et Dieu, qu’il faut forcer. Toute ouverture est bonne, si par là on pénètre. Et même on ne peut, ce semble, pénétrer et être digne du seuil que si l’on est décidé au fond à l’atteindre à tout prix et n’importe par quelle ouverture. Je veux dire que, bien qu’il puisse avec raison sembler actuellement inutile à beaucoup de vous, Chrétiens, de faire ce que la mère Angélique croyait nécessaire, de se brûler les bras, de ne pas quitter la serge ou la bure, de fermer le guichet à son père (comme tout à l’heure on le verra), il est hors de doute que s’il y avait à accomplir, à atteindre un devoir à travers quelqu’une de ces choses d’apparence petite ou répugnante, celle-ci devrait être à l’instant acceptée. Cela même est trop évident. À la guerre, les plus brillants, s’il le faut, restent huit jours quelquefois dans les boues sans changer d’habit ni se débotter. Eh bien ! dans son continuel combat, la mère Angélique croyait qu’il fallait presque ainsi l’aire ; peut-être avait-elle raison. Les difficultés de la Grâce dans ces conditions d’alors étaient autres ; ne nous hâtons pas de juger sa mesure. Chez ceux même qui estiment la justification possible actuellement et dans l’ordre naturel de la vie par des moyens plus simples, par un appareil moins minutieux et moins rigoureux, il ne saurait être nié que, dans des cas particuliers et extraordinaires, ce n’est pas trop des plus singuliers efforts, des plus vigilantes angoisses. Quiconque croit à la Grâce et à cette place forte du salut ici-bas ne doit donc pas trop s’étonner de voir que plusieurs y entrent à toute force, les uns en rampant contre terre et comme à plat ventre, les autres par le soupirail dont la grille déchire en passant, ou par l’égout qui ne souille que l’habit, ou par la lucarne escaladée du toit qui peut au dehors prêter à la risée, et par où pourtant descendit le paralytique. Jean Newton, Oberlin, Félix Neff,[8] sont entrés, à leur manière et selon leur voie ; vous qui la suivez, n’excluez pas celle des personnages non moins chrétiens dont nous traitons, si étrange d’abord à votre sens et si tourmentée qu’elle vous puisse paraître. Les réveils chrétiens, dans les siècles et dans les communions diverses, doivent s’opérer diversement et, pour ainsi dire, selon des formes différentes de sursaut ; l’essentiel est qu’ils s’opèrent.

  1. Relations sur la Vie de la Révérende Mère Marie des Anges ; 1 vol. in-12, 1737.
  2. Ou plutôt un passage de lettre. En rendant compte à M. de Villeroy des affaires d’État dont il avait entretenu le Pape dans l’audience du 25 mai 1601 , le cardinal ajoutait: «Aussi lui parlai-je, à l’accoutumée pour des particuliers, et entre autres pour une petite-fille de M. Marion, avocat du roi en la Cour de Parlement, qu’on désire être faite coadjutrice de l’abbesse du monastère de Port-Royal, Ordre de Cîteaux, au diocèse de Paris: qui est une affaire bien difficile pour le bas âge auquel est ladite fille; et Sa Sainteté n’y a point encore pris résolution. J’y ai fait et ferai tout ce qui me sera possible pour l’obtenir.»
  3. Elle n’avait été bénie précédemment que comme religieuse ou comme coadjutrice.
  4. Mémoires pour servir à l’Histoire de Port-Royal et à la Vie de la Révérende Mère Angélique de Sainte-Magdeleine Arnauld, réformatrice de ce monastère. Trois vol. in-12 ; Utrecht, 1742.
  5. Il fallut user d’un petit stratagème pour la décider à écrire la Relation commencée qu’on a d’elle (Mémoires tout à l’heure cités, tome Ier, pag. 262 et suiv.) — Elle disait souvent, quand on la mettait sur ce chapitre des premiers temps, qu’elle aurait eu sujet de rédiger un livre de la Providence de Dieu, tant elle en avait fait d’expérience. Elle ajoutait qu’il lui prenait quelquefois envie d’écrire ce lire de la Providence, de peur qu’on ne vînt à oublier, à laisser perdre dans la suite ces premières miséricordes. On la pressait alors extrêmement de s’y mettre et d’écrire ; mais elle était au fond si ennemie de faire des livres (à la différence de la seconde mère Angélique de Saint-Jean, sa nièce, que nous verrons, comme dit Racine, plus naturellement scientifique), qu’elle rejetait bien vite et bien loin cette vague idée, qui n’avait guère été, dans sa bouche, qu’une manière de dire. On eut alors recours aux grands moyens, à M. Singlin, le directeur ; et elle se décida par obéissance et avec répugnance, se méfiant peut-être de l’usage qu’on ferait de l’écrit après elle. Elle se mit donc en retraite dans une petite cellule écartée, nommée la Guette, et là, priant encore plus qu’écrivant, elle retraça le précieux détail de ses commencements ; encore, une interruption qui vint à la traverse lui servit-elle à propos pour ne pas pousser le récit jusqu’à la fin.
  6. Ce qui le fait comparer, par le bon janséniste Guilbert, à l'ânesse de Balaam, qui disait bien sans savoir.
  7. Cet abbé de Morimond, comme l’abbé de Cîteaux, était dans les bonnes coutumes de l’Ordre, et eût permis aux maisons de son obédience plutôt le relâchement que l’austérité. On lit dans une Relation : «En 1594 ou 1595, les religieuses que l’on appelait les Dames de Saint-Antoine, dont était abbesse Mme de Thou (soeur du premier président et tante de l’historien), très honnête fille, jouèrent une tragédie de Garnier appelée Cléopâtre, où les filles étaient vêtues en hommes, pour représenter les personnages ; et les spectateurs étaient l’abbé de Cîteaux, nommé La Croix, et les quatre principaux abbés, de Clairvaux, de Morimond, de Pontigny et de La Ferté.» (Mémoires pour servir à l’Histoire de Port-Royal; Utrecht, 1742; t. II, p. 274.) — Cela n’a pas empêché cet abbé de Morimond, le Révérend Claude Masson, d’être appelé dans son Épitaphe le Réformateur général des monastères de la Forêt-Noire, de l’Auvergne, de l’Allemagne, de la Pologne, de la Suisse, etc.
  8. Voir les diverses Vies qui ont été écrites de ces excellents hommes. — (Il ne fallait pas moins que toutes ces considérations et explications préliminaires, dans mon Cours de 1837, pour bien établir les conditions de mon sujet et me donner le droit de développer cette Histoire d’un cloître, devant un auditoire composé en totalité de chrétiens réformés.)