Pour l’Ombre/9

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La Revue blancheTome 3 (série belge) (p. 182-191).

Pour l’Ombre[1]


(Suite)


VIII


« …Nos rêves sont pour les choses idéales, car je suis une qui se respecte. »
Heine.



Henri comme Jeanne étaient si pressés de se marier qu’ils ne laissèrent guère aux fiançailles que le temps requis pour les formalités indispensables. Malgré les protestations indignées d’Émilie ils ne laissèrent même pas aux parents du jeune homme le temps d’arriver, et Jeanne s’ingénia à régler les choses le plus rapidement et le simplement qu’elle put.

En tout, elle n’avait écouté qu’un sentiment confus qui était comme de la honte et qui lui donnait le courage de résister à sa sœur.

Elle ne fit pas une visite, et consentit à regret à de simples billets de faire-part qui ne devaient être envoyés qu’après la cérémonie. À l’ébahissement d’Émilie — qui s’était tout naturellement réservé ce soin — Jeanne se chargea elle même de tous les détails, préoccupée avant tout de ne pas attirer l’attention.

À force de précautions, le mariage passa presqu’inaperçu en ville, on ne commença de « clabauder » que plus tard.

Pour masquer son empressement à quitter Douai la jeune mariée demanda à être présentée aussitôt à ses beaux parents, et, deux heures après la messe, le ménage partait pour le midi.


Mme Dannay qui avait à peine trouvé le temps de bouder, ne cacha ni son indignation ni sa fureur : elle était persuadée qu’on lui avait volé quelque chose. Son mari essaya d’atténuer les torts des jeunes gens, timidement excusa « une ardeur… après tout… bien naturelle… » parla du « besoin d’être seuls » ; cette audace lui valut un regard sévère qui le foudroya et Émilie lui reprocha amèrement « son manque de principes et sa complicité. »

— Mais c’est honteux ! Ils ont eu l’air de se cacher… ce ne sont pas des façons : pas un dîner ! pas une soirée ! pas un chat ! et cette messe bâclée !… On ne se marie pas comme ça !… ça ne s’est jamais vu…

Elle s’emporta si bien que le bon homme se hâta de capituler, de l’approuver pour la calmer. À part soi, il donna pour excuse à sa lâcheté qu’après tout les jeunes mariés étaient loin et qu’il restait seul à supporter l’orage.


Dans le coupé qui les emportait et où plus personne ne les gênait, Henri et Jeanne fiévreusement s’abandonnaient à des caresses passionnées, goûtaient enfin des délices qui les extasiaient.

Le grondement du train trépidant, les champs multicolores traversés à toute vitesse, les stations tumultueuses, les stupides sièges incommodes, le bruit et la poussière, même le ridicule de cette nuit de noces en wagon — à peine entrevu par éclairs — tout passa dans une ivresse de baisers.

La cuisante chaleur de la Provence eut seule raison de leur ardeur et ils se réveillèrent au bout du voyage, exténués, fripés, noirs de crasse, et, si défaits, si honteux qu’ils s’efforcèrent de chasser des souvenirs qui les embarrassaient.


Sur le quai de la petite gare toute blanche, brûlée de soleil, Jeanne, aveuglée, ahurie, se laissa mouiller de larmes, manger de baisers, par un colosse de femme, fardée parfumée, sanglée dans une robe voyante et par un vieillard à favoris blancs dont l’air digne contrastait avec le complet clair et le chapeau de paille cocasse : c’étaient les parents d’Henri et ils le pressaient dans leurs bras, à son tour. Les exclamations enthousiastes, les interjections et les cris dont ils entrecoupaient ces embrassades parurent sauvages au sang froid de Jeanne.

Dans la vénérable calèche qui, dans un nuage de poussière, les emmena jusqu’à la campagne, où le procureur et sa femme passaient les vacances, on fit une présentation plus sérieuse, mais le bavardage exubérant et sonore qui l’étourdissait ne fût point pour mettre la jeune femme à son aise. Elle vécut tout un jour dans une fièvre inquiète. Elle ne se calma un peu qu’au soir, quand, retirée dans sa chambre elle put se serrer contre son mari qui la réjouit de ses baisers.

L’accueil que Jeanne reçut ne manqua point d’être chaleureux et flatteur. Son beau père, enchanté du parti inespéré qu’Henri avait su rencontrer, en témoignait à la jeune femme sa reconnaissance ; pour lui plaire, adoucissait tant qu’il pouvait sa mine quelque peu renfrognée de vieux magistrat misanthrope. La belle-mère d’Henri faisait aussi de son mieux. Elle s’était éprise par avance, comme d’une « héroïne », de cette jeune femme que les lettres d’Henri disaient riche, instruite, jolie, spirituelle ; en plus sa visite, devait distraire une solitude trop silencieuse, donner libre cours à une jacasserie généralement contenue. Ravie, peut-être en raison de son imposante stature, du charme un peu mièvre et de la gentille allure de « la petite » elle avait aussitôt déployé ses lourdes grâces à l’entour d’elle.

Mais, dès les premiers soirs, le pays avait déplu à Jeanne.

D’abord elle l’avait examiné avec curiosité, heureuse de voir enfin ce ciel de Provence dont elle avait lu si souvent des descriptions dans les romans. Mais, du soleil resplendissant, elle ne remarqua que la brûlure cuisante ; du cristal d’azur du ciel, que l’ennui de son uniformité ; du vaste paysage luxuriant, aux lointains bleuis et dont la transparence de l’air rapprochait les formes, que la fatigue de sa précision et de ses lignes trop arrêtées. Le long ruban des routes blanches, encadrées d’une verdure, comme poudrée, les maisonnettes aux teintes claires, la lumière et la crudité des couleurs brûlaient ses yeux ; la poussière l’étouffait et le chant des cigales l’assourdissait. À peine sa désillusion fit grâce à la mélancolie des oliviers poudreux et au caractère d’un pèlerinage à quelque Notre-Dame de village, où, parmi les tumultueuses boutiques de foire, grouillant à l’entour de la chapelle, au bord d’un clair ruisseau encaissé, dans un décor resplendissant, les garçons enrubanés déroulèrent la farandole au son des fifres et des tambourins.

Plus précisément elle souffrit de la vie trop paresseuse et trop peu confortable, et, comme le soleil et la complicité du pays l’endormaient dans la mollesse, il lui tarda bientôt de secouer sa torpeur. Aussi son estomac pâtit comme ses yeux et ses oreilles, se révolta de la cuisine à l’huile et l’ail, de la douceur des fifres et de la fraîcheur des pastèques. Enfin, elle fut torturée par les mouches et les moustiques dont les attaques raffolaient et dont à peine les moustiquaires la purent garantir la nuit.

Elle avait encore apporté l’enthousiasme de ses souvenirs littéraires et considérait de tous ses yeux « ces Latins qui une seconde fois ont conquis la Gaule ». ils lui apparurent sous la forme de paysans au cuir tanné, peinant aux champs, désaltérés d’une gorgée d’eau bue à même le cruchon colorié renversé au dessus de leur tête, rassasiés d’une croûte de pain et d’une gousse d’ail ; de femmes aux robes claires, courant pieds nus ; de paisibles bourgeois se chauffant placidement au soleil, abrités sous des parasols ou d’immenses chapeaux de paille. Toute cette population, trop simple à son gré, d’aspect trop peu victorieux, qui ne s’emportait qu’en paroles sonores, que surtout elle trouvait sale et qui puait, contredit l’idée qu’elle s’en était faite. Elle fut choquée de n’avoir rien perçu « de la flamme et du vent du midi. »

Pourtant, elle eut dû l’avouer, ce qui la préoccupait plus que ses souvenirs littéraires et ses considérations esthétiques sur le paysage, plus que ses répugnances, c’étaient les caresses d’Henvi auxquelles elle s’abandonnait avec délices. Il avait éveillé en elle une ardeur sensuelle qu’elle ne connaissait pas : elle oubliait presque tout le reste pour n’être qu’à ce bonheur nouveau qu’elle goûtait avec emportement.

Pour cela encore, elle était génée, la présence de ses beaux parents lui pesant, arrêtant ses élans. Elle en vint à leur savoir mauvais gré des regards complaisants qu’ils avaient pour leurs caresses, de leurs propos et de leurs sourires.

Elle avait préparé à leur intention un rôle de « fille tendre et empressée, » « d’orpheline recueillie, entourant de piété et de gentillesses des parents qui consentaient à l’adopter, reportant sur eux, une part de l’amour qu’elle avait pour leur fils. » Mais ils lui avaient paru « trop vulgaires et trop communs » ; leur exubérance avait choqué sa nature calme, et, dès leur accueil trop chaleureux, trop « bon enfant » elle avait renoncé à jouer son rôle, le trouvant « bébéte » ; les manifestations de leur tendresse la dégoûtaient des sentiments de famille : plus ils se mettaient en frais, plus elle s’éloignait d’eux. Il lui sembla que les câlineries du père s’adressaient à sa fortune et elle prit en horreur ses baisers au goût d’ail. Quant aux gentillesses de sa femme trop fardée et trop parfumée, à ses lourdes grâces rancies, elles lui donnaient des nausées. Jeanne supportait mal les interminables récits où la pauvre femme rappelait des succès et un bonheur imaginaire, les compliments et les fadeurs dont elle l’accablait et lui en voulait de l’érudition et des connaissances dont elle faisait parade. Elle trouva grotesques les simulacres de scènes de jalousie que la grosse femme faisait en minaudant à son vieux galantin de mari, trop empressé auprès de sa bru.

Bientôt ils ne lui apparurent plus qu’au travers des souvenirs d’enfance qu’Henri lui avait racontés autrefois et de ses plaintes qui l’avaient émue. Elle vit le père indifférent et dure, la marâtre cruelle et coquette, suspecta d’hypocrisie leur masque d’amabilité et la tendresse qu’ils affectaient. Elle trouvait Henri stupide d’ajouter foi à leurs gentillesses intéressées, de leur en savoir gré, mais n’osait lui expliquer qu’ils ne le gâtaient à présent que parce qu’il notait plus à leur charge et qu’il avait su faire son chemin. Pourtant elle finit par s’irriter de sa bonhommie tranquille et réjouie de son mari qui contrastait avec son mécontentement à elle.

Ce voyage dont ils s’étaient promis tant de joie, commençait mal et si son ivresse de passion suffisait au bonheur de Jeanne, son séjour chez ses beaux parents, dans ce pays qui lui déplaisait lui était si insupportable qu’elle eût hâte d’en être débarrassée.

Au temps des fiançailles, leur projet romanesque avait été « de passer un mois à s’aimer au soleil et sous le ciel bleu de la Provence » et à rentrer après en s’arrêtant à Paris. Mais Jeanne, déjà plus que fatiguée, mit tant d’insistance à se plaindre de la chaleur et des moustiques, que force fut à Henri d’avouer « qu’on pouvait après tout s’aimer aussi bien en tout pays ». Puis elle usa d’un autre moyen pour arriver à se faire emmener sans paraître l’exiger ; elle parla de Paris.

Entre eux, jusque là, ils n’avaient jamais parlé de Paris que vaguement. Henri imaginait sous ce mot une succession confuse de plaisirs merveilleux, dans un décor féerique, amplifiant le prestigieux souvenir de quelques échappées de l’école de Versailles, de quelques bordées courues avec ses camarades ; mais il arrivait mal à dégager du brouillard de sa mémoire quelque chose qui répondît à ses espérances. Il prévoyait — à présent qu’il était riche — quelque chose de différent mais d’autrement beau que ses distractions de sous-officier pauvre. Jeanne comprit qu’il ne connaissait pas grand chose de Paris et profita ses aveux pour l’éblouir.

Ce sujet se prêta à des développements intarissables.

Lui, la questionnait naïvement sur les théâtres, les monuments, les fêtes, prenant l’avant goût de tous les plaisirs qu’il se promettait. Elle ne répondait qu’évasivement à ces questions dont la précision enfantine l’agaçait, mais, lui mettait l’eau à la bouche ; par exemple elle s’étendait plus complaisament sur les bibliothèques, les musées, les académies, « ces manifestations d’art et ce cercle de littérature et d’art qui fait de Paris une ville unique » et « cette gloire qu’il a d’être le centre le plus brillant de la science et de toutes les choses de l’esprit » mais s’en tenait toujours à des généralités qui lui paraissaient « plus relevées et plus dignes. » Henri imaginait plus difficilement que le reste ces distractions et ces merveilles, dont sa femme ne parlait d’ailleurs que vaguement mais trouvait encore dans ce qu’elle disait de quoi s’enflammer d’avantage.

Jeanne fit si bien que, huit jours après leur arrivée, ils s’arrachèrent, assez brusquement, aux étreintes des patents et partirent, ravis, elle de se sentir soulagée, lui, de voir approcher la réalisation d’un projet caressé de longtemps. Mais, tandis qu’Henri, qui avait nagé dans la joie, emportait de ces rapides journées une émotion douce, attendrie, faite de chers souvenirs retrouvés au pays où il avait vécu, de ceux que lui laissaient la bonté de ses parents, meilleurs à présent, et les nuits emplies de sa passion, Jeanne gardait une impression pénible de ce séjour écourté, mais encore trop long, cette impression qui échappa d’ailleurs totalement à Henri trop occupé à jouir de son bonheur et trop pénétré de félicité, frappa au contraire Mme Dannay à la lecture des lettres « si spirituelles et si brillantes » qu’elle recevait de sa sœur : elle en profita pour mépriser d’avantage le midi.

Tandis qu’ils roulaient vers Paris, Jeanne s’amusa de la joie dont son mari exultait si naïvement. Mais, de le voir si enfant, et de comparer les sentiments qu’il ne savait dissimuler à l’émotion profonde, « sérieuse », qui emplissait sa poitrine et dont elle osait à peine parler, elle songea tristement à la différence de leurs âges, comptant les années qu’il avait de moins qu’elle : des pressentiments pénibles l’assaillirent. « Saurait-elle tenir ce rôle de nièce et d’éducatrice qu’elle avait rêvé à ses côtés ? Était-ce bien le rôle qui leur convenait à l’un comme à l’autre ? » Mais petit à petit, à le considérer, elle s’attendrit à la pensée du bonheur qu’elle allait lui donner et de la reconnaissance qu’elle lui devrait et sa rêverie d’abord grave glissa à des pensées sensuelles qui achevèrent de la réjouir. Pourtant elle s’aperçut pour la première fois, combien le lieutenant perdait en quittant l’uniforme. Même, son pauvre complet jaune si mal ajusté et l’invraisemblable chapeau mou café au lait, dont il était coiffé, tout son accoutrement, « sans distinction » l’agita d’un mauvais rire ; elle se promit de changer tout cela au plus tôt.

Sa pensée flotta ainsi entre ces différentes idées jusqu’à ce qu’elle la fixât sur la vie qu’ils allaient mener à Paris et tout ce qu’elle se promettait de lui montrer. Péniblement, elle rassemblait ses souvenirs épars, pour se trouver, aussitôt débarquée, à la hauteur de la tâche qu’elle s’était imposée.

Mais tous ses beaux projets si pleins d’assurance s’évanouirent, mis en désordre par les premières difficultés qu’elle rencontra. Elle avait voulu s’occuper de tout et perdait la tête parmi les billets, les bagages et les bulletins, si énervée de l’ahurissement de son mari et si émue qu’elle ne pouvait arriver à retrouver le nom d’un hôtel, s’affolait de piétiner et de sentir toujours Henri à ses trousses.

Dans l’omnibus qui les emmenait au Grand Hôtel dont elle s’était enfin ressouvenue, le lieutenant, nerveux, donnait de la tête aux carreaux, demandait, parmi le vacarme de la voiture, des noms et des explications qu’elle entendait mal et auxquelles elle répondait au hasard.

Jeanne put jouir à son aise de l’émerveillement de son mari dans le « hall » de l’hôtel. Il dissimulait mal son admiration pour les lumières, le mouvement, la domesticité nombreuse et variée, tout un luxe qui dépassait ses prévisions.

一 C’est très chic !… C’est très bien tout ça !… C’est très chic

Elle, d’un petit air entendu et détaché lui souriait, se délectait de la joie qu’elle lui donnait. Pourtant, elle dut froncer le sourcil à quelques exclamations par trop naïves qui échappèrent à Henri devant le domestique qui les conduisait.

Il ne tenait pas d’aise, si franchement ravi qu’elle ne put lui tenir rigueur ; puis, il se montra si pressé de « faire aussitôt un tour sur le Boulevard », qu’elle renonça à réserver pour le lendemain le bonheur de la première promenade et qu’ils sortirent.

Dehors, il devint muet d’ahurissement, roulait de grands yeux effarés, la poussait du coude. Elle se mit alors, pour offrir à son enthousiasme un sujet « plus relevé » à disserter brillamment sur tout ce qu’ils voyaient. Il entendait des mots des salles de rédaction enfièvrée de « premières » de « soupers qui sont des fêtes de l’esprit » de « brasseries de cénacles » de « noctambules » ; imaginait les « orgies de la fête » les « salons des Clubs », « le jeu ruisselant d’or », les réceptions éclatantes et la magie des coulisses, les discussions artistiques, les « folies des millionnaires » et les « excentricités des journalistes », tandis qu’elle composait à mesure, de bribes de romans ou de chroniques, la légende du Paris nocturne dans toute sa beauté, l’idéal d’opérettes et de cabinets particuliers.

Brusquement, il l’entraîna dans un café, fasciné par les lumières, la masse des consommateurs bruyants.

À peine installée, Jeanne s’émut de l’allure louche des femmes qui s’y entassaient, et, rouge de honte, voulut sortir. N’ayant prévu qu’un café comme les autres, elle s’irritait d’être tombée dans un établissement de raccolage et en voulait affreusement à son mari « de l’avoir entraînée dans cet endroit où elle n’était vraiment pas à sa place » ! Henri très amusé de ce qu’il voyait, ne comprenait rien à ses airs effarouchés, insista pour rester. Elle finit par se laisser convaincre, sa curiosité s’éveillant au spectacle qu’elle observait et dissimula sa gêne sous des dehors hautement méprisants.

Des femmes allaient et venaient par la salle ; leurs toilettes tapageuses et leurs bijoux voyants s’harmonisaient à la crudité du gaz et à l’épanouissement des dorures. Quelques-unes causaient et buvaient par groupes ; d’autres plaisantaient avec les garçons, d’autres criaient et gesticulaient. À des tables voisines, un homme âgé, à favoris et à lunettes, luttait contre les agaceries de deux grosses vieilles et leur riait, béat ; deux femmes causaient posément et de très jeunes gens, aguichés, risquaient des regards pudiques sans parvenir à oser.

Une fille vint se camper devant leur table, tout le corps penché sur son bras raidi, lança :

— C’est tout ce que tu payes…

et continua sur le même ton.

Jeanne, le feu aux joues, regardait son mari à la dérobée ; le sourire dont il accueillait les provocations de la fille lui parut cruellement stupide et elle se mit à détailler le ridicule de l’accoutrement du lieutenant.

Des scènes analogues se renouvelèrent, inspirant à Jeanne des tirades de compassion méprisante « pour le misérable métier de ces pauvres femmes » jusqu’à ce qu’ils partissent, très étonnés de tout le temps passé là, mal à leur aise.

Par les rues assombries et désertes, pressant le pas aux cris et aux chants qui éclataient, ils rentrèrent à l’hôtel sans échanger un seul mot.

(à suivre)

Thadée NATHANSON.

  1. Rev. Bl. de Sept., Nov., Déc. 1890, Janv., Fév., Mars., Av., Mai, Juin 1891.