Pour l’histoire de la science hellène/Préface

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Felix Alcan (Collection historique des grands philosophes) (p. v-vii).




PRÉFACE





Il y a dix ans que ce livre est commencé ; j’en ai poursuivi le rêve au milieu des occupations d’un métier qui ne le favorisait guère, et, en même temps, je me laissais aller à consacrer de plus en plus mes loisirs à des recherches spéciales touchant l’histoire des mathématiques. Aussi n’aurais-je jamais terminé ce volume, entrepris sur les origines de la science en général, si, d’un côté, la bienveillante hospitalité de la Revue philosophique ne m’avait permis de publier, par fragments, la majeure partie de mes idées à ce sujet, au fur et à mesure que je les coordonnais, si, d’autre part, je n’avais été soutenu par l’appui dévoué, par les infatigables encouragements de celle qui est désormais la chère compagne de ma vie. Elle s’est sacrifiée à cette œuvre ; c’est bien à elle que mon livre est dû, et je voudrais qu’il pût être plus complètement digne d’elle.

L’approbation qu’ont donnée à mes articles de la Revue les juges dont j’estime surtout le suffrage, tant à l’étranger qu’en France, devrait peut-être me rassurer complètement, sinon sur le sort qui attend mon ouvrage, du moins sur sa valeur véritable. Car en le remaniant et l’augmentant, j’ai la conscience de l’avoir sérieusement amélioré dans le détail, tandis que je crois, d’autre part, être parvenu à lui donner une réelle unité organique. Mais, dans les parties complètement inédites de mon travail, il en est une dont le but pourrait être méconnu et qui réclame dès lors quelques explications.

Il s’agit de la traduction que j’ai donnée, d’une part, des fragments qui nous restent des premiers philosophes grecs, de l’autre, des textes relatifs à leurs opinions physiques. J’ai voulu donner une idée de l’ensemble de ces textes et de ces fragments à ceux qui, tout en pouvant s’y intéresser, les ignorent et ne se trouvent pas en mesure de les étudier dans les éditions critiques et les commentaires spéciaux. Loin de prétendre remplacer, en quoi que ce soit, ces éditions ou ces commentaires, pour bien marquer, au contraire, que je regarde comme indispensable d’y recourir pour toute question de détail, je me suis borné à rendre le plus fidèlement possible les textes que j’ai suivis, sans essayer d’en pallier les obscurités et sans m’arrêter aux incertitudes qu’ils présentent.

Telle est la tâche que j’ai voulu accomplir, la jugeant utile, parce que j’écris en France, où l’érudition philologique n’est que trop rare ; mais c’est l’étude de travaux analogues sur les mathématiques anciennes qui m’a fait sentir à moi-même la nécessité de la philologie et m’a finalement conduit à m’en occuper dans une mesure de plus en plus large. Si je puis à mon tour lui gagner, sur un autre terrain, un seul adepte nouveau, je ne croirai pas avoir perdu ma peine.

Quant aux difficultés que j’ai eu à surmonter, elles sont bien connues de tous les juges compétents, et je n’ai pas à y insister ; mais peut-être serais-je plus satisfait moi-même des traductions contenues dans ce volume, si je n’avais pas dû en poursuivre le travail bien loin de Paris, où je l’avais conçu et longuement médité.


Paul TANNERY,
Directeur des Tabacs de Lot-et-Garonne.


Tonneins, le 7 juin 1887.