Pour la patrie : roman du XXè siècle/Prologue

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PROLOGUE.


Hæc omnia tibi dabo, si cadens adoraveris me.
Je vous donnerai toutes ces choses, si en vous prosternant vous m’adorez.
(Matt. iv. 9.)


— Eblis ! Eblis ! Esprit de lumière ! Éternel Persécuté ! Dieu vaincu mais vengeur ! Moi, ton Élu, moi, ennemi juré de ton ennemi Adonaï, je t’invoque. Apparais à mes yeux, âme de l’univers ! Esprit de feu, viens affermir ce bras consacré à ton œuvre de destruction et de vengeance ! Viens me guider dans la lutte contre le Persécuteur !

Ainsi parlait un tout jeune homme, debout devant une sorte d’autel où brûlaient des parfums. Au-dessus de l’autel était un immense triangle lumineux.

L’aspect du jeune homme était en harmonie avec ses terribles paroles. Son œil noir flamboyait, ses traits, que la nature avait faits très beaux, étaient bouleversés par la haine. Tout chez lui portait l’empreinte de la passion, de la vengeance, et d’une sombre énergie.

Autour de lui s’étalaient des meubles d’une grande richesse. Des objets d’art, des statues, des tableaux respirant la plus affreuse luxure ornaient la pièce au fond de laquelle s’élevait l’autel satanique.

Du dehors venaient, confus et indistincts, les bruits de la grande ville. Car bien que la nuit fût déjà fort avancée, Paris, dans ces jours de trouble qui marquèrent la fin de l’année 1931, dormait peu.

À peine le jeune homme eut-il cessé de parler qu’une forme vague apparut entre l’autel et le triangle, au milieu de la fumée des parfums. Ou plutôt, c’était là fumée même qui, au lieu de monter en bouffées irrégulières, comme auparavant, prenait cette forme mystérieuse.

Le luciférien frémit.

— Eblis ! Eblis ! s’écria-t-il, tu viens ! tu viens !

Rapidement, la forme devint de moins en moins confuse. Ses contours se découpèrent nettement. C’était la forme que les artistes donnent aux anges. L’apparition était lumineuse ; mais sa lumière n’était pas éclatante et pure ; elle était comme troublée et obscurcie. Le visage du fantôme était voilé.

— Eblis ! s’écria le jeune homme de plus en plus exalté, parle à ton Élu ! Dis lui où il doit aller, ce qu’il faut faire pour travailler au triomphe de ta cause, pour te venger d’Adonaï ?

Une voix qui n’avait rien d’humain, un murmure qui semblait venir de loin, et qui parlait plutôt à l’intelligence qu’à l’oreille, répondit :

— Traverse les mers, rends-toi sur les bords du Saint-Laurent où tes ancêtres ont jadis planté l’Étendard de mon éternel Ennemi. C’est là que ton œuvre t’attend. La Croix est encore debout sur ce coin du globe. Abats-la. Compte sur mes inspirations.

La voix se tut. L’apparition s’évanouit. À sa place il n’y avait que la fumée des parfums qui montait en spirales vers le triangle.