Pour le baccalauréat

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Revue internationale de l’enseignement, volume 37, juin 1899, Texte établi par François PicavetSociété de l’enseignement supérieur37 (p. 327-329).

POUR LE BACCALAURÉAT


On va peut-être supprimer le baccalauréat, mais sûrement on le remplacera par un autre examen. S’il est vrai qu’on ne détruit que ce qu’on remplace, encore faut-il qu’on gagne au change. El si on ne change pas les mœurs et la pratique des examens, quelque examen que l’on organise, on n’aura rien gagné. Au risque de paraître réactionnaire ou plutôt révolutionnaire et fantaisiste, je propose de garder — provisoirement, c’est-à-dire pour longtemps encore — le baccalauréat.

Je tiens à déclarer que j’applaudis à toutes les éloquentes — et même aux violentes protestations qu’il soulève. La mode est à la violence même contre l’Université ; et l’on ne peut pas avoir pendant vingt ans préparé ou interrogé des candidats au bachot sans se laisser, par moments, aller à la mode de le bafouer. Et je suis autant que personne navré du vide et du néant que présente l’esprit du pur candidat, épouvanté aussi de l’avenir que nous ménagent les jeunes gens qui n’auront été que des candidats à des examens primaires, secondaires ou supérieurs. Il faut donc supprimer le baccalauréat ! — Oui, si l’on extirpe ainsi le mal, et si l’on transforme l’esprit des études ; non, si l’on ruine, en supprimant toute sanction des études secondaires, toute culture générale, bientôt tout enseignement secondaire, ou si l’on rétablit une autre sanction qui dans dix ans aura mérité la mort. I faut que les élèves travaillent pour s’instruire, et ils ne s’instruiront vraiment que s’ils ne préparent pas un examen ; nous en sommes tous d’accord, et pour les élèves de toutes les écoles. Mais à ceux qui auront ainsi fait on ne pourra en refuser le témoignage et le droit de s’en servir ; c’est, aussi bien, l’intérêt de la société. Et l’on aura des hésitations, au moins pour les élèves moyens ; et il y aura entre ces témoignages de provenance très diverse (je les suppose tous consciencieux, pour simplifier) des différences, des inégalités où le public ne saura plus se reconnaître : et l’on rétablira des garanties communes avec un ou plusieurs examens, d’abord pour certaines catégories d’élèves, bientôt et nécessairement pour tous les élèves. Voilà pourquoi il faut garder le baccalauréat, même avec son nom un peu déconsidéré, mais toujours clair et commode.

Mais il faut aussi le relever, et ne lui conserver la vie qu’en le rendant digne de vivre. Je suis convaincu que deux ou trois réformes terre-à-terre, très simples, très prosaïques — par là même très difficiles, mais non impossibles après tout — y pourraient suffire. Laissons de côté la question du jury ; là n’est pas l’essentiel, et j’accepte toutes les modifications que l’on voudra pourvu que le jury soit et suit regardé comme compétent et impartial. — Pourquoi le baccalauréat est-il détestable ? Parce qu’il est trop facile, parce que l’on n’y juge que superficiellement les candidats, surtout parce que telle est sa réputation, qui désorganise les classes. S’il est trop facile, ce n’est pas la faute du programme, ni du mécanisme de l’examen, ni même des recommandations qui ne servent qu’à abuser la sollicitude des papas et des mamans, et ne sont qu’un échange de politesses insignifiantes. C’est la faute de l’esprit public, d’un faux sentiment démocratique, des réclamations puériles des familles et de l’opinion, des circulaires recommandant l’indulgence (ne l’a-t-on pas fait il y a une dizaine d’années ?), enfin de la tiédeur ou de l’indifférence, faut-il dire du découragement des Universités ? Tout le monde déclare aujourd’hui qu’il y a trop de bacheliers, trop d’avocats, de médecins, de professeurs, etc. Mais tout le monde se plaint aussi que les épreuves du baccalauréat soient trop difficiles. Il faut pourtant choisir. Voici une solution : ne donnons que des sujets ou des questions de force moyenne, mais jugeons plus sévèrement les réponses[1]. Il n’en faut pas plus pour écarter les non-valeurs et les candidats préparés par l’industrie. C’est une première réforme très simple puisqu’elle consiste à substituer les notes 6 ou 7 aux notes 9 où 19, c’est-à-dire à ne pas noter passable ce qui est insuffisant. Il n’y faut que du courage et de la décision, Dira-t-on que cela est chimérique, et qu’il est plus facile — et plus efficace — de bouleverser encore une fois tout notre enseignement ?

Autre réforme banale et héroïque, I faut surveiller mieux. Quand on les surprend, les fautes sont sévèrement punies — pourvu qu’on ne s’avise pas de les faire juger par un tribunal ; les tribunaux ou les jurys acquittent toujours les vols de diplôme. Mais il y a beaucoup de fraudes, et l’on en surprend assez peu. La conscience et même le zèle des professeurs qui surveillent sont évidemment hors de cause ; mais j’estime que l’on se trompe souvent sur l’adresse des candidats et sur sa propre perspicacité. On croit qu’il suffit de surveiller bien le commencement de la séance, puis de jeter un coup d’œil de temps en temps, d’avertir ou de menacer ceux que l’on voit se rapprocher pour causer, et que l’on peut d’ailleurs, mène quand on est seul, lire à son aise ou travailler. Erreur ! Les candidats, c’est leur vraie supériorité, sont, à ce jeu, plus habiles que nous : et le candidat est, sauf exception, peu scrupuleux, Les jeunes gens les plus sympathiques ne voient aucun inconvénient à se servir de leurs notes, à demander ou à donner un renseignement au voisin : à qui s’en étonne ils répondent invariablement que cela ne fait de tort à personne. Ce sont des mœurs à réformer par l’éducation ; si décriée que soit l’éducation des lycées, ce n’est pas là que cette réforme sera le plus difficile. En attendant, il faut surveiller : l’important est de décourager la fraude ; voilà le premier service à rendre aux bonnes classes de l’enseignement secondaire, Les précautions des Facultés les plus exigeantes, interdiction de sortir, usage de feuilles de couleurs différentes, etc., tout cela est excellent, mais ne suffit pas ; il faut surveiller et ne pas faire autre chose.

Enfin, à l’oral, on juge superficiellement parce qu’on juge trop vite. En dix minutes, quelquefois cinq, quelquefois moins, on décide sur la valeur ou la culture de l’esprit d’un jeune homme en sciences, en lettres, en histoire, etc, Sans doute, il y a de telles inepties ou de tels traits de lumière qu’ils semblent décisifs. Mais on risque toujours de mal juger quand on juge sur une phrase ; et c’est parce qu’il est trop court que l’examen devient affaire de mémoire. Imaginez qu’au lieu de dix ou cinq minutes le candidat soit interrogé vingt minutes ou une demi-heure sur chaque matière ; quel est l’examinateur consciencieux qui ne se fera pas fort de le juger en connaissance de cause ? et, cela revient au même, quel est le candidat qui pourra suffire à cette interrogation bienveillante mais serrée et prolongée, avec de la récitation pure ? Aujourd’hui, il faut expédier l’examen ; nous jetons deux ou trois coups de sonde ; le candidat pressé n’a pas le temps de réfléchir et de donner sa mesure. Il récite avec assurance et obtient une bonne note ; ou bien il ànonne, se reprend, répète ce que nous disons trop complaisamment, rencontre quelques expressions justes, sans rien comprendre du reste ; et nous-mêmes regardant l’heure, obligés d’en appeler un autre, nous le renvoyons en lui donnant par scrupule, par prudence une note moyenne. Voilà pourquoi les médiocrités passent et avec elles tant de non-valeurs. — Mais comment interroger plus d’une heure chaque candidat ? Ils sont trop, et nous sommes trop pressés ! — Ils seront toujours trop si nous sommes trop pressés ; et nous le serons toujours si nous ne comptons pas cette besogne dans notre métier. Si on pense qu’elle ne nous revient pas, il faut le prouver, et la confier à des hommes qui auront le temps et le devoir de la bien faire ; mais n’accusons pas le baccalauréat de ce qui tient au surmenage ou aux répugnances des professeurs de Facultés. Avant de le détruire, quand nous ne sommes pas d’accord pour Île remplacer, faisons l’essai loyal de ce qu’il peut donner.

C. Chabot,
Professeur-adjoint à l’Université de Lyon.
  1. J’ajoute qu’il faudrait renoncer à proposer trois sujets de composition mieux vaudrait augmenter le nombre des compositions) et à maintenir pour un an une admissibilité souvent accidentelle.