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La Conquête du vide

À l’assaut de l’Himalaya. — Enlevez-moi le ballon. — Le scaphandrier vainqueur

On est toujours à nous parler de la conquête de l’air ; c’est une mauvaise blague, une infecte légende qu’il est vraiment temps de détruire. C’est bien de la conquête du vide dont il doit être question puisque tout le monde sait, nonobstant la célèbre expérience de Gay-Lussac, qu’au-dessus de 7 000 mètres — 21 000 pieds, si vous aimez mieux, on passe l’arme à gauche, à cause du manque d’air respirable.

Or que l’on ne paisse monter à 8 000 mètres dans les airs, ou descendre à la même profondeur, dans un sous-marin plongeur, électrique et étanche, l’homme s’en est assez bien consolé jusqu’à ce jour[1], mais que l’on ne puisse pas explorer toute la terre, parce qu’elle est trop haut ! que l’on ne puisse pas même escalader le mont Everest ou Gaurisankar, au sommet de la chaîne de l’Himalaya parce qu’il a 8 840 mètres d’altitude, que l’on ne peut pas y respirer, que le sang vous sort par les oreilles et par tous les pores, voilà qui est par trop guignolant, comme disait la duchesse d’Uzès en apprenant la mort de Boulanger.

Je ne cite pas les innombrables pics qui ont de 7 à 9 000 mètres, comme le Chamalari, par exemple, mais il est certain que jusqu’à ce jour la nature semblait avoir dit à l’homme, en face de ce séjour de la neige comme disent les Indiens : tu n’iras pas plus loin que 7 000 mètres d’altitude et les régions supérieures de l’Himalaya resteront toujours pour toi des régions mystérieuses et inviolées.

Oh ou !, c’était guignolant et même humiliant pour l’humanité savante !

Sur ces entrefaites, un riche et puissant rajah des environs, qui avait entendu parler de mes travaux sur l’électricité et la haute atmosphère et qui n’était pas rat, me fit appeler pour résoudre le problème, en m’offrant autant d’or que je voudrais, pour trouver la solution de la question ; vous pensez bien que je suis parti dare-dare aux Indes.

Arrivé aux pieds de l’Himalaya, le rajah — qui n’est point la première syllabe de son nom ? — me montra d’un air désespéré un superbe ballon captif qui ne pouvait pas monter si haut, puisque les hommes tombaient en syncope à 7 000 mètres d’altitude et même à six !

Sans hésitation aucune je lui répondis :

— Mon prince, enlevez moi ce ballon, donnez-moi des hommes et un crédit illimité et dans six mois. nous organiserons avec les agences des caravanes pour le sommet du Chamalari, à 9 000 mètres au-dessus du niveau de l’Océan Indien… Aujourd’hui c’est fait mais n’anticipons pas.

Cependant le rajah fut si content de cette promesse formelle que, me sachant de Paris et non pas de Marseille il me passa de suite au cou le grand cordon de l’ordre de l’Éléphant de Corail !

Toujours dare-dare, en utilisant une cascade de la force de 11 731 chevaux, je fis établir à 6 800 mètres d’altitude, dans un pli de terrain, une puissante machine à refouler l’air comprimé, archi-comprimé et je fis venir de Paris une collection variée de diverses pointures (?) ou tailles de scaphandres.

Une fois en possession de ces vêtements (?) aussi lourds que peu élégants, je dis au rajah :

— Mon prince, le problème est résolu, nous allons aller demain sabler le champagne au sommet le plus élevé de l’Himalaya à 9 000 mètres.

II fut épaté mais, brave, me promit de me suivre, avec son premier ministre, son argentier, la grande favorite et trois de ses enfants.

Le lendemain, de grand matin, ayant tous couché dans mon usine d’air comprimé, installée comme un palais et à laquelle on accédait par un funiculaire en poil de chameau galvanisé — encore une de mes inventions — nous revêtîmes tous un scaphandre suivant notre taille, avec par derrière, en même temps, un joli tuyau en gutta-percha relié à l’usine et devant nous fournir l’air nécessaire pour vivre à ces grandes hauteurs. De plus un fil téléphonique courait le long du tuyau et reliait la bouche de chacun de nous avec l’usine :

Gravement, lentement, lourdement, nous partîmes et commençâmes à escalader ces sommets éternellement blanc et jusque-là inviolés.

D’abord chaque coup de piston nous envoyant l’air produisait une certaine trépidation, comme le vent d’Autan à Toulouse, mais bientôt la grande favorite déclara elle-même que cela produisait une impression charmante et chacun se mit à rire sous son hublot de mica, moins transparent, mais plus léger que le verre. Mais comme on ne pouvait pas s’entendre à travers le scaphandre et surtout à cause du manque d’air, dans ces hautes régions, on causait en écrivant ses impressions sur le papier de son bloc-note.

Au bout de quelques heures de lente ascension, nous fûmes à moitié chemin et comme j’avais fait capitonner les scaphandres de fourrures en poil d’hareng-saure, personne ne souffrit du froid.

Après avoir bien usé de nos piolets, nous atteignîmes le sommet du Chamalari et par un tuyau ad hoc nous pûmes tous sabler le champagne.

Huit jours après nous recommencions l’expédition avec de nombreux porteurs scaphandriers et arrivés sur le sommet nous montions en quelques heures une vaste salle en bois, avec toutes les rainures parfaitement étanches et avec un gros tuyau ad hoc, venant de l’usine et un baromètre attaché au mur pour suivre les progrès de la pression, nous faisions remplir la chambre d’air, ce qui nous permettait de retirer nos scaphandres et de coucher sur la position après avoir fait un véritable festin et avoir prononcé les discours d’usage.

Le rajah en pleurait de joie et d’orgueil pour son règne, la science, le progrès, ses États et son auguste famille.

Aujourd’hui, le problème est résolu, j’ai conquis le vide, ce qui est mieux que conquérir l’air, plutôt je l’ai vaincu. Mes scaphandriers sont en train d’établir un funiculaire jusqu’au sommet, où j’ai fait établir plusieurs chambres à air comprimé et l’on pourra même s’y rendre sans scaphandres, dans les chambres à air comprimé, remplaçant les wagons des funiculaires.

De là-haut, à 9 000 mètres d’altitude, par un beau soleil, on jouit d’un spectacle unique au monde et l’on est tranquille, au milieu de ces neiges éternelles : le silence y est absolu. Seulement il y fait froid et le soleil n’éclaire déjà plus comme ici, le milieu ambiant et transmetteur de l’air lui faisant défaut. Chose curieuse, c’est comme qui dirait un soleil de minuit en Laponie !

Pour terminer, je suis heureux d’informer mes lecteurs que d’ores et déjà j’organise des caravanes de Paris au prix de vingt mille francs, classe unique, aller et retour, rendez-vous place de la Concorde, aux pieds de l’Obélisque, le 1er avril de l’année prochaine.

Les personnes qui voudront s’y rendre directement, trouveront tous les jours, à mon usine d’air comprimé, des tickets donnant droit à l’ascension et à trois coupes de champagne, au prix unique de 1 000 francs.

Il n’y a aucune réduction pour les militaires !

Que l’on ne s’y trompe pas, ce sera la promenade à la mode de demain pour les gens vraiment chics !



  1. Surtout depuis ma descente au fond du Pacifique, telle que je l’ai contée ici-même.