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Les feux d’artifice

Tribulations et recherches d’un inventeur. — Une étrange conception

Un inventeur de mes amis a la bonté de me tenir, depuis longues années, au courant de ses recherches, de ses travaux, de ses espérances et je crois que le moment est venu, avec sa permission, d’en faire part à mes lecteurs.

Depuis longtemps, il était hanté de cette idée originale de faire des feux d’artifice en plein midi ; mais non pas des feux d’artifice lumineux, comme ceux que l’on tire le soir, ce qui serait absurde puisqu’il serait infailliblement éclipsés par la lumière du soleil, mais bien des feux d’artifice composés de nuit, de ténèbres, pour trancher dans la lumière, comme les classiques feux d’artifice tranchent dans la nuit.

— Je sais bien, me disait-il, qu’au premier abord, l’idée paraissait extravagante et toutes les personnes à qui j’en ai parlé m’ont traité de fou, mais je ne me suis pas laissé décourager pour si peu. Du moment que l’on peut piquer la nuit des mille feux, des mille lumières, des fusées et des soleils ordinaires des feux d’artifice, on doit pouvoir renverser la proposition et piquer le ciel du plein midi des fusées, des soleils, des fleurs, des motifs décoratifs faits de nuit et de ténèbres, c’est-à-dire d’ombre, de noir.

Deux faits m’ont conduit à formuler ce raisonnement étrange, et, si voulez bien le permettre, je vais vous les exposer.

— Mais comment donc !

— Le premier fut pour moi une révélation subite, je veux parler des fontaines lumineuses qui remontent déjà, comme vous savez, à 1889, à la grande Exposition, du moins à Paris.

Là, j’observais ce phénomène étrange et vraiment merveilleux que chaque gouttelette d’eau, pendant un temps appréciable, emmagasinait et retenait captive la lumière, même en retombant. Ce fut pour moi le trait de lumière et je me dis : puisque l’eau est capable d’emmagasiner ainsi la lumière, il faut que je trouve un autre corps pour retenir et emmagasiner de même la nuit, les ténèbres en plein jour et le problème de mon feu d’artifice, fait de ténèbres en plein midi est résolu :

Oui, mais où, mais comment trouver ce corps, ce gaz, ce liquide ? S’il formait un corps solide, il serait éclairé lui-même à la surface et mon but n’était pas atteint, tandis que je rêvais d’un immense bouquet de fleurs de ténèbres en plein midi dans le ciel, très noires, se détachant vigoureusement dans l’atmosphère et cependant comme diaphanes, donnant bien l’impression et la sensation d’un bouquet de vide… Le vide, j’avais trouvé, et ce sont vos propres travaux sur l’électricité ne se changeant en lumière et en chaleur que dans l’ambiance de notre atmosphère qui furent pour moi le second trait de lumière…

— Vous êtes bien aimable. Alors, vous avez trouvé ?

— Théoriquement, oui ; du moment que la lumière ne se manifeste que dans notre atmosphère, il me suffit de trouver le moyen de faire le vide pour tous mes bouquets, soleils, fusées, pièces montées, etc… et alors j’ai bien véritablement mon feu d’artifice de ténèbres en plein midi. Ce sera tout à fait épatant !…

Et poursuivant la vision entrevue et caressée depuis tant d’années dans l’espace, les yeux fixes, mon pauvre inventeur était vraiment transfiguré. Je fus saisi à la fois d’admiration et de terreur devant cette puissance de l’idée, alors même qu’elle paraît extravagante aux autres hommes et j’eus comme un remords et comme un grand déchirement au cœur, en pensant que mes propres recherches sur l’électricité, comme agent unique de l’univers, avaient pu être la cause déterminante de ses propres expériences.

Mais tout à coup, sortant de l’extase où il était plongé depuis quelques instants, il se laissa tomber lourdement dans un fauteuil-crapaud, anéanti, brisé ; le visage convulsé exprimait la plus horrible souffrance et, d’une voix rauque et sourde, il s’écria, en donnant un coup de poing formidable sur la table :

— Oui, certes, je la tiens, je la vois, la découverte unique au monde, mais comment faire pour enfermer le vide comme la goutte d’eau renferme la lumière ? Oui, dans quoi, comment enfermer, capter ce vide, le rendre obscur en l’isolant du milieu ambiant qui transforme l’électricité en lumière ; vous avez pourtant raison, les rayons Rœntgen sont là pour le prouver. Mais le vide m’échappe, je ne puis pas le domestiquer à ma volonté et ces jolies fleurs de ténèbres qui hantent ma pensée, comment faire pour les rendre tangibles et visibles et comme palpables aux yeux de tous ?

Cet effort l’avait exténué. Je lui fis prendre un cordial et tâchai de lui faire fumer un bon cigare, pour détourner le cours de ses idées ; ce fut peine perdue et mon pauvre ami retourna à son laboratoire, l’esprit torturé par l’incessante hantise de sa découverte.

Ça ne fait rien, si jamais un jour, il arrive à nous donner en plein midi, ces feux d’artifice, faits de ténèbres et d’ombres noires dans le ciel lumineux et clair — rien n’est impossible à la science — je vous promets de vous prévenir et de vous inviter tous à la première grande représentation publique.