Pour lire en bateau-mouche/28

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La lutte contre le froid

Manchons-chaufferettes. — Comme en Chine


L’autre jour, à l’inauguration de la statue de Balzac, pendant que j’étais sous la tente et dans l’attente du ministre, un de mes voisins que je n’avais pas l’honneur de connaître et qui n’était certainement pas de la Société des Gens de Lettres où nous nous connaissons tous, du moins à Paris, se mit à entamer la conversation sur un ton de navrante banalité qui a été si bien « photographiée » par ce brave Eugène Chavette qui était plus observateur qu’il ne voulait bien se l’avouer à lui-même.

— Il fait bien froid.

— Vous l’avez dit.

— Le ministre ne devrait pas se faire attendre.

— Évidemment.

Mais tout cela n’était qu’une fente, une ruse, et je ne tardai pas à m’apercevoir que j’avais le bonheur ou le malheur — on allait voir — de me trouver en face d’un inventeur qui allait bientôt, se moquant de Balzac comme d’une guigne, enfourcher son dada favori.

Or, comme chacun sait, les ruses des inventeurs sont bien supérieures à celles des Apaches ; je ne cherchai donc même pas à fuir et je me mis résolument à l’écouter avec un intérêt d’autant plus visible que je n’étais pas fâché de trouver un partenaire pour tuer le temps.

— Oui, Monsieur, reprit-il en ramassant la conversation que j’avais laissée tomber entre les banquettes de velours rouge à crépines d’or, il fait relativement froid et nous souffrons déjà horriblement ; mais c’est bien notre faute.

— Vous avez un moyen de supprimer le froid ?

— Non, Monsieur, mais vingt, mais cent moyens plus simples et plus ingénieux les uns que les autres de vous en préserver.

— Ça y est, me dis-je, le voilà à cheval, attendons.

— Les Français passent pour le peuple le plus spirituel de la terre ; je le veux bien, mais c’est aussi le plus routinier. Il y a certes de grands savants, de grands inventeurs, mais il n’y a pas l’ingéniosité. Et tenez, pour me faire comprendre, je vous dirai que le Français est gai, tandis que l’Anglais possède l’humour et que si le premier sait se meubler avec art, le second seul connaît le vrai confort.

— Je me suis trompé alors.

— Pourquoi !

— Parce que je vous avais pris pour un inventeur et je vois que vous êtes un sociologue doublé d’un observateur.

— Vous êtes trop aimable, mais je ne suis qu’un bien modeste inventeur et encore je ne fais que recueillir et vulgariser les idées vraiment pratiques que j’ai pu trouver à l’étranger.

— C’est le fait d’un bon cœur.

— N’est-ce pas ? Mais je poursuis. Tenez, des peuples aussi pratiques que les Anglais ou les Américains, mais plus ingénieux, ce sont à coup sûr les Chinois et les Japonais. Vous savez qu’il y a des provinces entières, dans ces deux diables d’empires, où il fait très froid en hiver.

— Je l’ai en effet entendu dire par la fille de ma concierge qui est restée sept ans femme de chambre d’un mandarin à Tokio.

— Vous voyez bien. Si je vous en parle, c’est en connaissance de cause, car j’ai voyagé en Extrême-Orient pendant plusieurs années comme placier pour le compte d’une fabrique de choucroute comprimée de Hambourg… Mais j’arrive au sujet qui nous intéresse.

— Tiens, c’est juste.

— En hiver, aussitôt qu’il fait froid, les Chinois sortent leurs sandales ou souliers-chaufferettes. C’est ingénieux et simple comme tout : il y a derrière, à la place du talon, un petit tiroir que l’on ouvre et que l’on remplit de braises incandescentes ; on referme et l’on peut ainsi vaquer à ses affaires en ayant bien chaud aux pieds et quand c’est éteint, dans toutes les maisons où vous allez, on vous offre les deux ou trois petits morceaux de braises rouges. Et puis il y a des marchands de braises pour souliers, au coin des rues, comme chez nous il y a des marchands de marrons, qui vous fournissent le combustible nécessaire pour une somme insignifiante.

— C’est en effet très ingénieux.

— N’est-ce pas ? Eh bien, j’ai trouvé mieux pour Paris.

— Vous m’intéressez vivement.

— Voilà. Ici tout le monde à de bons et solides souliers fourrés, souvent des guêtres et ces petits appareils de chauffage inférieurs ne me paraissent pas très utiles. Mais j’ai pensé aux dames et c’est pour elles que j’ai travaillé.

— Bravo !

— Elles sont toujours gelées, les pauvrettes, en hiver, et j’ai inventé pour elles toute une série de manchons qui sont destinés à faire disparaître à jamais ou plutôt à éviter les crevasses horribles et les engelures douloureuses. J’ai donc gradué pour tous les goûts et pour tous les degrés de chaleur ; pour les dames qui veulent une chaleur vive et qui n’a point besoin de durer très longtemps, j’ai inventé le manchon-chaufferette dont le tour en aluminium capitonné, très léger, est rempli de braises incandescentes à l’instar des Chinois et des Japonais. Pour celles qui veulent une température plus douce, je livre les manchons à l’eau chaude qui se tiennent à une température uniforme pendant plusieurs heures. Enfin, pour les dames qui font de longs voyages en chemin de fer, si pénibles en hiver, de Paris à Marseille, par exemple, je livre le manchon électrique, chauffé par une petite pile qui peut fonctionner parfaitement pendant trente-et-une heures consécutives et même plus, en ce sens que l’on peut arrêter le courant à volonté.

Enfin avec le manchon au radium, je viens d’inventer un véritable meuble de famille qui fonctionne régulièrement, d’après les calculs les plus certains, pendant quarante-cinq-mille ans.

— C’est merveilleux.

— Non, Monsieur, c’est tout simplement pratique ; mais encore est-il qu’il fallait le trouver. Et puis, vous savez, quand on est sur une piste, une découverte, une application ingénieuse n’arrive jamais seule. Aussi, comme disait un ingénieur de mes amis, j’ai renversé l’hypothèse, et j’ai pensé que je devais chercher à obtenir les bienfaits de la fraîcheur en été. Aussi, avec quelques gouttes des nouveaux gaz liquéfiés dans un petit tube imperceptible… mais ça serait trop long à vous expliquer ; enfin, je vais pouvoir, la saison prochaine, autour des beaux jours, livrer à mes contemporaines des Petits vents du Nord vraiment bien curieux.

Je commençais à être vivement intéressé par ce diable d’homme qui possédait cette logique froide et raisonnante, si impressionnante, des inventeurs convaincus.

Mais le voile venait de tomber qui nous cachait. la tête puissante de Balzac et la conversation tomba de même.

En sortant, nous passâmes devant deux braseros ; mon voisin me serra la main en me disant :

— Je vais envoyer un manchon-chaufferette à votre femme.

Je le remerciai avec une touchante effusion.

Hélas ! Je l’attends toujours et j’en suis à me demander si par hasard cet inventeur ingénieux ne serait pas doublé d’un fumiste.

Ça ne fuit rien ; l’idée est bonne et je la livre à mes gracieuses contemporaines ; qu’un grand constructeur, qu’une maison de nouveautés s’en empare. Il y a certainement des millions à gagner : les Parisiennes sont si frileuses ! Et puis avec les manchons-chaufferettes-électriques, on peut même faire cuire des œufs à la coque, ce que j’oubliais de dire. C’est précieux en voyage et rien qu’en Russie, ça aura un succès fou !