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LA MANIFESTATION DU PREMIER MAI


La société protectrice des animaux se décide enfin à fournir des fontaines Wallace aux chiens, aux chevaux et aux oiseaux, tandis qu’il y a de longues années que ce système fonctionne un peu partout et que je l’ai signalé à Liège depuis longtemps.

À propos de ladite société j’ai pu me procurer les bonnes feuilles d’un manifeste de la plus haute importance qu’elle compte lancer bientôt à cinq millions d’exemplaires ; aussi je suis heureux de pouvoir en placer les parties essentielles sous les yeux de mes lecteurs :

… « On parle beaucoup de la journée de huit heures pour les hommes, ce qui est bien, mais on a complètement oublié dans ce grand mouvement les animaux — ces frères intelligents et dévoués — ce qui est mal.

C’est plus qu’une lacune, c’est une insulte aux lois sacrées du progrès ; nous venons combler l’une et protester contre l’autre.

Article Premier. — Tous les animaux quelconques ne pourront pas travailler plus de huit heures par jour.

Art. 2. — Les chevaux de fiacre, d’omnibus, de transport, etc., ne pourront excéder ce chiffre de huit heures et si les journées sont plus longues, il devra être établi un roulement, comme cela se fait pour les employés.

Art. 3. — Les chiens de chasse, ratiers etc., seront protégés par le même règlement.

Art. 4 — Les jardins des Plantes, d’Acclimatation, zoologiques, etc., ne resteront pas ouverts plus de huit heures par jour de manière à ne pas forcer les ours, les singes les phoques, et autres bêtes à faire une parade trop longue par courtoisie pour les bonnes d’enfants et les militaires, capables de leur donner des courbatures ou de les rendre névropathes.

Art. 5. — Les mastroquets qui font racoler les clients par des perroquets ou des merles parleurs, ne pourront laisser ces intéressants volatiles plus de six heures à leur devanture, attendu que pour ces bipèdes, beaucoup plus faibles que l’homme, un travail de huit heures serait absolument abusif.

Art. 6. — De même que le travail est défendu aux enfants au-dessous d’un certain âge dans les fabriques et que le travail de nuit leur est défendu aussi bien qu’aux femmes, de même les animaux savants dans les cirques, hippodromes et autres établissements forains, singes, éléphants, chiens dressés et cochons sympathiques, seront assimilés, avec juste raison, aux femmes et aux enfants ; tout travail de nuit leur sera donc interdit et, de plus, ils ne pourront paraître sur les planches que le jour où ils auront atteint leur âge de puberté.

Art. 7. — Une commission composée de vétérinaires et de membres de l’Institut sera chargée de faire observer le présent règlement à la foire aux pains d’épices aussi bien que sur tout le territoire français et, dans les colonies.

Art. 8. — Là où les membres de l’Institut feraient défaut, ils pourront être remplacés par les sages-femmes et les apothicaires de l’endroit.

Art. 9. — Le travail de nuit ne dépassant pas huit heures est permis à titre exceptionnel pour les chats qui ne sauraient faire de bonne besogne pendant la journée.

Art. 10. — Les pipelets, les vieilles filles et les camelots étant considérés comme des animaux malfaisants sont tenus en dehors des présents règlements, tant pis pour eux s’ils se font claquer par excès de travail, ce qui d’ailleurs paraît peu vraisemblable, étant donnée leur paresse bien connue.

Art. 11. — Les poissons… »

Là se terminent les feuillets en question dont l’importance capitale n’échappera à personne, aussi est-ce avec une profonde émotion que je me suis empressé d’adresser toutes mes félicitations à la vaillante société protectrice des animaux qui va faire, une fois de plus, preuve de mansuétude et de grandeur d’âme.