Pour se damner/Dernière volonté

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DERNIÈRE VOLONTÉ


Quand je verrai la mort venir,

qu’on ouvre le coffret de rose, Et sur ma lèvre à jamais close

Qu’on mette le cher souvenir.
Thilda.


Raoul l’aimait follement, de cet amour qui prend les hommes à vingt ans ou à soixante, et dont le dénoûment bronze les uns et brise les autres.

Il avait vingt ans, mais elle ne l’aimait pas ; elle estimait son mari, assez pour ne le tromper qu’avec une grande passion pour excuse, et cette passion n’était pas venue.

Sa beauté blonde faisait rêver aux choses tendres et éthérées, sa mignonne personne, faite de sourire et de grâce chaste, rappelait les pastels de Latour qu’on dirait effacés par les baisers amoureux.

Elle le plaignait de tant l’adorer, mais, naïvement cruelle, elle lui laissait voir son cœur paisible, et parlait d’amitié.

Enfin comme il souffrait beaucoup, il voulut s’éloigner, et vint lui faire part de sa résolution, un jour qu’elle déjeunait seule, son mari étant absent pour quelques semaines.

Elle l’approuva, fortifia ses bonnes intentions par toutes sortes de phrases abominablement amicales, et lui demanda quand il comptait partir.

— Ce soir, ce soir même !

— Alors je ne vous aurai pas lundi, c’est le jour de ma fête, tous mes amis m’apporteront des fleurs. — Je le sais, Madame, et je vous supplie d’accepter aussi mon humble cadeau, lundi soir vous le recevrez.

Il partit, et elle le suivit des yeux avec un soupir ; c’était peut-être la poésie de sa vie qui s’envolait.


Le lundi arriva tout joyeux, chargé de présents ; amis et amoureux vinrent danser et papillonner ; elle était radieuse, et donnait des poignées de mains et des baisers avec sa grâce tranquille.

Vers minuit, on vint lui annoncer qu’il y avait dans l’antichambre une immense caisse à son nom.

Les invités réclamèrent la caisse avec des exclamations de joie, et on apporta au milieu du salon une énorme boîte de velours rouge fermée par un crochet en or.

En souriant, elle mit sa petite main sur le crochet et ouvrit la boîte.

Raoul, mort, était couché sur des oreillers de satin ; sa pâleur livide ressortait parmi tout ce rouge ; il avait les mains jointes et dans ses doigts tenait un papier plié.

Ce furent des cris d’horreur ; les femmes s’évanouirent, les hommes sortirent le cadavre de sa tombe de satin et le couchèrent sur un divan ; le marquis de R… prit le billet des mains du mort et lut tout haut :

« Pardonnez-moi, Madame, de venir ainsi troubler vos plaisirs, mais il me faut mourir, puisque vous ne pouvez être à moi ; accordez-moi une grâce, faites ma dernière volonté ; toute seule, veillez-moi ; cette nuit entière restez près de votre petit Raoul, qui meurt pour vous avoir trop aimé ! »

— Oh ! oui, s’écria-t-elle en sanglotant et en se jetant à genoux devant le mort, mon pauvre cher Raoul, je passerai seule la nuit en prières près de vous.

Tous s’éloignèrent ; elle revêtit un peignoir sombre, ses gens firent un lit de parade sur lequel fut couché le pauvre amoureux ; on amoncela à ses pieds tous les bouquets de la fête, puis elle resta, les yeux fixés sur ce visage charmant que la mort n’avait pas encore défiguré.


Elle songeait qu’il l’avait en effet bien aimée ; ses larmes coulaient sur les mains froides de Raoul, elle le plaignait de toute son âme, mais elle ne s’accusait pas : en repoussant son amour elle avait fait son devoir.

Vers trois heures, malgré son ardent désir de veiller jusqu’au matin, elle s’assoupit ; sa tête blonde tomba sur l’oreiller, à côté de celle du mort. Alors elle eut une sensation étrange : il lui sembla que des lèvres chaudes se posaient sur ses lèvres à elle, et brusquement elle s’éveilla.

Elle se jeta en arrière avec un cri de surprise et d’épouvante.

Raoul debout, la regardait en souriant.

Rassurez-vous, ma bien-aimée, dit-il, je suis bien vivant ; vous m’aviez chassé et je voulais passer une nuit auprès de vous. — Mais comment ?… C’est affreux, je ne comprends plus.

— Il faut comprendre que je t’adore et que je te veux ; je t’expliquerai plus tard comment un de mes amis, médecin célèbre, m’a plongé dans cette léthargie qui a tous les symptômes de la mort ; mais les instants sont précieux, laisse-moi seulement te dire combien je t’aime.

— C’est une lâcheté et une trahison indigne, dit-elle en se tordant les mains ; je serai la fable de Paris ; vous n’avez pas songé à mon honneur, je suis perdue sans retour.

— Non, je vous sauverai, je le jure. Voici mon plan : Je partirai au jour ; vous mettrez un de vos gens dans la confidence et vous direz que vous m’avez fait transporter chez moi ; alors je me charge du semblant de mes funérailles, puis je quitterai Paris, et on n’entendra plus parler de Raoul.

— Vous mentez ! s’écria-t-elle avec mépris ; vous mentez encore ! Demain, tout le monde rira de l’aventure, et vous resterez pour étaler ma honte et mon désespoir.

Mais sans répondre, il lui tendait les bras avec des appellations passionnées, il l’attirait sur son cœur en des violences qui la gagnaient ; elle lui rendait ses baisers, foudroyée par cette flamme qui passait en elle.

— Eh bien ! oui, dit-elle éperdue en lui jetant les bras au col, tu as raison, soyons heureux ; qu’importe le reste !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le lendemain, quand le jour fut venu, on entra dans la chambre ; les fleurs avaient roulé sur le tapis, les bougies s’éteignaient ; elle, toujours à genoux, priait près du cadavre glacé de Raoul. Elle se releva lentement et sortit sans mot dire ; elle avait hâte d’aller jeter au loin le couteau plein de sang qu’elle tenait caché sous sa robe.