Pourquoi la Vie/3

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Librairie des sciences psychologiques (p. 14-18).


III

ESPRIT ET MATIÈRE


Il n’est pas d’effet sans cause ; rien ne procède de rien. Ce sont là des axiomes, c’est-à-dire des vérités incontestables. Or, comme on constate en chacun de nous l’existence de forces, de puissances qui ne peuvent être considérées comme matérielles, il y a nécessité, pour en expliquer la cause, de remonter à une autre source que la matière, à ce principe que nous nommons âme ou esprit.

Lorsque, descendant au fond de nous-mêmes nous voulons apprendre à nous connaître, à analyser nos facultés ; lorsque, écartant de notre âme l’écume qu’y accumule la vie, l’épaisse enveloppe dont les préjugés, les erreurs, les sophismes ont revêtu notre intelligence, nous pénétrons dans les replis les plus intimes de notre être, nous nous y trouvons face à face avec ces principes augustes sans lesquels il n’est pas de grandeur pour l’humanité : l’amour du bien, le sentiment de la justice et du progrès. Ces principes, qu’on retrouve à des degrés divers, aussi bien chez l’ignorant que chez l’homme de génie, ne peuvent provenir de la matière, qui est dépourvue de tels attributs. Et si la matière ne possède pas ces qualités, comment pourrait-elle former, seule, des êtres qui en sont doués ? Le sens du beau et du vrai, l’admiration que nous éprouvons pour les œuvres grandes et généreuses, ne sauraient avoir la même origine que la chair de nos membres ou le sang de nos veines. Ce sont plutôt là comme les reflets d’une haute et pure lumière qui brille en chacun de nous, de même que le soleil se reflète sur les eaux, que ces eaux soient troubles ou limpides.

En vain prétendrait-on que tout est matière. Eh quoi ! nous ressentons de puissants élans d’amour et de bonté ; nous aimons la vertu, le dévouement, l’héroïsme ; le sentiment de la beauté morale est gravé en nous ; l’harmonie des choses et des lois nous pénètre, nous ravit ; et rien de tout cela ne nous distinguerait de la matière ! Nous sentons, nous aimons, nous possédons la conscience, la volonté et la raison ; et nous procéderions d’une cause qui ne renferme ces qualités à aucun degré, d’une cause qui ne sent, n’aime ni ne connaît rien, qui est aveugle et muette ! Supérieurs à la force qui nous produit, nous serions plus parfaits et meilleurs qu’elle !

Une telle manière de voir ne supporte pas l’examen. L’homme participe de deux natures. Par son corps, par ses organes, il dérive de la matière ; par ses facultés intellectuelles et morales, il procède de l’esprit.

Disons plus exactement encore, au sujet du corps humain, que les organes composant cette admirable machine sont semblables à des rouages incapables d’agir sans un moteur, sans une volonté qui les mette en action. Ce moteur, c’est l’âme. Un troisième élément relie les deux autres, transmettant aux organes les ordres de la pensée. Cet élément est le périsprit, matière éthérée qui échappe à nos sens. Il enveloppe l’âme, l’accompagne après la mort, dans ses pérégrinations infinies, s’épurant, progressant avec elle, lui constituant une corporéité diaphane, vaporeuse. Nous reviendrons plus loin sur l’existence de ce périsprit.

L’esprit gît en la matière comme un prisonnier en sa cellule ; les sens sont les ouvertures par lesquelles il communique avec le monde extérieur. Mais, tandis que la matière décline tôt ou tard, périclite et se désagrège, l’esprit augmente en puissance, se fortifie par l’éducation et l’expérience. Ses aspirations grandissent, s’étendent par delà le tombeau ; son besoin de savoir, de connaître, de vivre est sans borne. Tout montre que l’être humain n’appartient que temporairement à la matière. Le corps n’est qu’un vêtement d’emprunt, une forme passagère, un instrument à l’aide duquel l’âme poursuit en ce monde son œuvre d’épuration et de progrès. La vie spirituelle est la vie normale, véritable, sans fin.