Poésies de Benserade/À une belle insensible qui demandoit des vers

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Poésies de Benserade, Texte établi par Octave UzanneLibrairie des bibliophiles (p. 126-129).



À une Belle insensible qui demandoit des vers.

STANCES.


Dispensez-moy, Belle insensible,
De contenter vôtre désir ;
Ne m’ordonnez pas le plaisir
De rendre ma peine visible ;
Révoquez ce commandement,
Qui peut augmenter mon tourment,
Sans accroître vôtre puissance.
Je ne sçaurois vous obéir,
De peur que mon obéissance
Ne vous oblige à me haïr.

Je recevrois beaucoup de gloire
De vous présenter de mes Vers,
Et de laisser à l’Univers
Des marques de vôtre Victoire ;
Mais, dans cet excès de douleur
Où me réduit mon grand malheur,

Je voy bien qu’il me faut contraindre,
Et qu’il vaut mieux ne point parler,
Ne pouvant parler sans me plaindre
Des feux dont je me sens brûler.

Laissons le récit déplorable
Du sort d’un malheureux amant ;
L’on ne trouve rien de charmant
Dans l’entretien d’un misérable.
Le triste objet de ses travaux,
Le nombre infini de ses maux,
Le cours éternel de ses larmes,
Ses désespoirs, ses déplaisirs,
Ne vous feroient point voir de charmes
Qui pussent flatter vos désirs.

Quel objet vous peut-il dépeindre,
Dans les supplices qu’il ressent.
Qu’un tourment sensible et pressant
D’une ardeur qu’il ne peut éteindre ?
Mais lors qu’il vous seroit offert,
Le tableau sanglant de ses fers
Ne serviroit qu’à vous déplaire,
Et l’excès de sa passion,

Exciteroit vôtre colère,
Et non vôtre compassion.

Vous ne verriez dans ses pensées
Que de tragiques mouvemens,
Et les mortels ressentimens
De ses infortunes passées ;
Vous n’entendriez dans son transport
Que les vœux qu’il fait à la mort
Pour finir son cruel martyre ;
Et s’il n’étoit pas écouté,
Il accuseroit vôtre empire
D’injustice et de cruauté.

Il vous nommeroit infidelle,
Cœur de rocher, cœur sans pitié,
Âme dure et sans amitié,
Ingrate, inhumaine et cruelle.
Il vous mettroit devant les yeux,
Les mots les plus injurieux,
Les fureurs les plus violentes ;
Et peut-être sans y penser.
Par ses paroles insolentes
Sa main pourroit vous offenser.

Il est vray qu’il porte dans l’âme
Un désir sincère et discret,
Un amour céleste et secret,
Exempt d’orgueil comme de blâme :
Il est vray que ce pauvre amant
Consomme ses jours constamment
Dans une flâme pure et belle ;
Mais par un destin rigoureux,
Vous la jugeriez criminelle,
À cause qu’il est malheureux.

Il vaut mieux garder le silence,
Que voir mon amour condamné ;
J’aime mieux être infortuné
Par respect que par insolence :
Je sçay bien que dans les langueurs
Que me font souffrir vos rigueurs,
Ma plainte seroit légitime,
Mais non, je ne me plaindray pas,
Et je veux être exempt de crime,
Plutôt qu’être exempt du trépas.



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