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PrécoceÉditions modernes (p. 51-58).
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IV


La chevelure ébouriffée, son corps souple et gracile nu sous un ample peignoir de soie, les pieds nus dans des babouches de cuir rouge, Jeanne courut vers la glace. Une minute, elle considéra son visage aux traits purs et nota le cerne de ses yeux. Elle eut un rire gamin et silencieux :

— On a fait des folies… des folies d’amour… les petits fous… j’en ai mal aux cuisses !

Sa douleur ne devait pas être excessive, car d’un pas allègre, elle s’en alla vers la salle à manger. Maurice l’y attendait, mais déjà il s’était installé chez lui dès le premier jour, parce que, pour lui, comme pour elle, la vie simplement continuait. Le dos enfoncé dans un fauteuil, les jambes sur une chaise, il lisait son journal. Jeanne vint à lui et s’assit sur ses genoux, tandis que de ses bras nus elle lui fit un collier tiède. Très sensible à ce contact palpitant, sans la moindre pudeur, d’un doigt nerveux, il déboutonna le peignoir et, les yeux fous, contempla le corps souple et nerveux de sa jeune femme. Comme les seins se dressaient orgueilleux ; comme leur pointe turgide était rose, d’un rose tendre. Il tendit les lèvres vers ces boutons tentateurs et les baisa longuement. Tout de suite, elle ferma les yeux, son corps s’abandonnant, la tête renversée en arrière, le corps révulsé, s’offrant. Il l’apaisa… d’un geste audacieux… elle ne protesta pas… elle admettait tout… deux êtres qui s’aiment peuvent tout se permettre… il n’y a pas de fausse pudeur, des choses permises et des choses défendues, il n’y a que deux êtres jeunes, beaux, ardents, qui veulent vibrer !

Entre eux, nulle gêne, nul embarras, ils étaient l’un à l’autre, non point à cause des formalités du mariage, mais parce qu’ils s’aimaient sincèrement, parce qu’ils aimaient les caresses qu’ils se prodiguaient sans passion excessive, sans affolement.

Vaniteux, lorsqu’il la vit apaisée, il lui demanda :

— Eh bien ! Madame, êtes-vous satisfaite de votre époux ?

Elle eut un haussement d’épaules moqueur :

— Peuh ! tu sais, il ne faudrait pas trop t’enorgueillir de prouesses qui ne sont dues qu’à tes vingt-six ans !

— Comme tu es pleine de sagesse !

— C’est pourquoi je suis heureuse. Je pense tout simplement que le mariage est une union de deux individus.

— Et tu es heureuse ?

— Entièrement, complètement. Je désirais être toujours auprès de toi, parce que tu me plais. J’ai obtenu ce que je souhaitais, maintenant, il s’agit de continuer notre vie de façon à ce que nous soyons continuellement unis comme aujourd’hui.

Il la serra dans ses bras, confiant en l’avenir. Contre lui, il la sentait amoureuse et paisible, les sens calmés, le cœur en paix. Rien ne pouvait la troubler, ayant eu assez de confiance dans les bras de l’amant pour exprimer ses désirs, tous ses désirs, lui montrer ses préférences, lui indiquer ce que son corps ardent désirait, ne craignant pas de le guider, de le diriger, de ralentir ou de précipiter son rythme. Et comme il s’était plié sans difficulté, heureux lui-même du bonheur qu’il procurait, à toutes ses exigences, il l’avait conquis d’emblée, mettant en elle la satisfaction entière.

Maintenant, ils avaient d’autres soucis qu’ils partageaient avec sérieux, chacun apportant sa part d’intelligence et de bonne volonté dans la conduite des affaires communes.

Négligeant de boutonner son peignoir, le rejetant au contraire en arrière, les mains aux hanches, elle exhibe avec impudeur son corps gourmand de caresses, bien campée sur ses hauts talons, les jambes gainées dans des bas de soie, ses cuisses orgueilleuses éblouissent par leur carnation tendre. La ligne du ventre est pure, à peine marquée d’une légère saillie… elle va se perdre vers des coins légèrement ombreux… blonds et lumineux ; les seins palpitent encore tant la secousse amoureuse a été profonde. Les yeux battus, elle reconnaît, avec un rien de gouaille :

— La lune de miel, c’est beau !… Tiens, à propos, on la passera à Paris !

— Évidemment, tu ne pensais pas aller à Naples ?

Elle dit :

— Non, c’est bon pour les décavés qui se marient à quarante-cinq ans, après avoir nocé sur toutes les banquettes de velours de la capitale. Nous avons assez de jeunesse sans avoir besoin du soleil de Naples !

— Parfait ! Alors, que décides-tu ?

— Rien. On s’amusera de toutes sortes de façons durant tes huit jours de vacances… les distraction… nous les avons sous la main !

Elle eut un geste audacieux qui le fit sourire, fier de sa virilité.

Approuvé. Va t’habiller et nous filons déjeuner à la Cascade… Après, nous trouverons bien dans le bois des sentiers ombreux… et déserts.

Elle s’enfuit en riant ; cette équipée plaisait à sa gaminerie de petite Parisienne dessalée. Elle se fit belle pour plaire au mari qui était surtout l’amant. Et elle revint pour lui reprocher qu’il ne se préparait pas assez vite. Mais il se trouvait bien dans cette douce intimité, une paresse heureuse le retenait dans ce fauteuil. Il attira la jeune femme contre lui ; elle rit bien fort, ne protestant pas de cette fringale d’amour ; à peine lui reprocha-t-elle de friper sa jolie robe.

Mais ils sortirent enfin, un peu plus de rouge aux joues, une flamme joyeuse dans les yeux.