Préfaces et Manifestes littéraires/Sophie Arnould

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G. Charpentier (p. 227-237).

SOPHIE ARNOULD

PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION[1]


Nous achetâmes, il y a deux ans, chez M. Charavay, une liasse de papiers, — ne sachant guère ce que nous achetions. Dans cette liasse se trouvaient pêle-mêle des documents, des notes, des extraits, des fragments, l’ébauche d’une étude sur Sophie Arnould, des mémoires inachevés de la chanteuse, attribués par le manuscrit à Sophie elle-même, enfin des copies de lettres de Sophie.

Une lecture attentive de ces dernières amena la conviction dans notre esprit : ces lettres étaient incontestablement de Sophie ; mais si nous n’avions pas de doute, le public avait le droit d’en avoir. Il fallait les preuves. Les catalogues d’autographes nous les fournirent immédiatement. Des copies que nous possédions, nous rencontrions des extraits, publiés d’après les originaux, dans les catalogues de vente de lettres du 3 février et du 14 mai 1845, du 16 avril 1849, du 10 mars 1847, du 2 mars 1854. Plus tard, une lettre dont nous faisions l’acquisition, chez M. Laverdet, se trouvait être le double, exactement textuel, d’une de nos copies ; plus tard encore, une lettre de Sophie, relative à la machine infernale de la rue Saint-Nicaise, que voulait bien nous communiquer M. Chambry, présentait la reproduction littérale d’une autre de nos copies. L’authenticité était donc établie et parfaite : c’étaient vingt-deux lettres inédites de Sophie à M. et à Mme Bélanger, sauvées et retrouvées.

Les Mémoires de Sophie, — ils ne vont malheureusement, ces Mémoires, que de sa naissance à son enlèvement, — ont pour nous la même authenticité historique. Il ne leur manque que la preuve des lettres, la preuve autographe. Mais c’est le tour et l’esprit de Sophie Arnould, et son ton et son accent. Cette voix même un peu enflée, ces parures de roman qu’elle donne à sa jeunesse, ce rehaussement de sa famille, cette allure moins libre et se guindant devant le public de sa vie, n’est-ce pas le caractère et le goût propre des mémoires d’une comédienne qui se confesse ? Sophie n’affiche-t-elle pas, dans une lettre à Lauraguais, de l’an VII, donnée dans ce volume, l’intention d’écrire l’histoire de ses amours ? Et si ces mémoires étaient fabriqués, pourquoi s’arrêteraient-ils en chemin ? Toutefois, n’ayant point derrière nous le manuscrit autographe, nous n’avons osé hasarder aucun extrait ; nous nous sommes contentés de tirer de ces mémoires les faits qui amplifient, certifient, contredisent, avec un accent de vérité incontestable, les récits déjà publiés.

Il fallait encore apporter à cette étude l’intérêt de tous les documents autographes, que la bonne volonté des amateurs pouvait mettre à notre disposition. Nous avons réussi, et nous remercions M. le marquis de Flers, M. Chambry, M. Boutron, M. Fossé d’Arcosse, etc., de nous avoir donné, d’avoir offert au public les restes et les reliques de ce rare et charmant esprit.

    EDMOND ET JULES DE GONCOURT.
    Paris, 12 janvier 1857. 

Postérieurement à la publication de la première édition de ce volume, j’ai retrouvé, j’ai acquis le commencement des Mémoires autographes de Sophie Arnould[2]. Malheureusement, ce n’est qu’un très petit fragment. Il y a en tout quatorze pages, dans lesquelles Sophie recommence trois fois l’histoire de sa naissance et de ses premières années. Toutefois, quelque incomplet que soit le manuscrit, son existence démontre que les Mémoires annexés aux lettres n’ont pas été fabriqués, qu’ils ont été bien réellement écrits par la célèbre actrice, à la sollicitation d’un ami, d’un teinturier, d’un éditeur dont le nom est resté inconnu.

    E. G.
    Décembre 1876. 

Depuis la publication de cette préface de la seconde édition[3], j’ai eu connaissance d’un article de l’AMATEUR D’AUTOGRAPHES (août 1878) dans lequel M. Dubrunfaut avançait qu’on ne connaissait pas le manuscrit autographe de Sophie Arnould. Si, sans aucun doute, du moins un fragment incontestablement de la main de Sophie, — les quatorze pages que je possède, — et où elle recommence trois fois l’histoire de sa naissance et de ses premières années. Seulement, alors je croyais à une suite autographe des Mémoires, peut-être perdue, peut-être enfouie dans quelque collection inconnue ; à l’heure présente je n’y crois plus guère ; je suis presque convaincu que la paresseuse artiste, que l’écriture n’amusait pas, s’est arrêtée à la quatorzième page, et que les mémoires manuscrits que j’ai entre les mains, — sauf le commencement, — par un certain Talbot, sur la commande de Loiseau, n’ont pas été rédigés, dis-je, sur un brouillon de la chanteuse, mais bien d’après ses confidences et ses conversations. Cela est confirmé par le prospectus du livre qui a seul paru et que je possède également. Et ce prospectus, je le donne comme l’annonce d’un livre construit d’une manière assez originale pour le temps, et qui devait contenir des lettres et des documents que je ne retrouve pas dans les papiers de Talbot en ma possession.


Prospectus.

HUIT CONTEMPORAINS,

OU

CORRESPONDANCE AUTOGRAPHE DE

Sophie Arnould.

ADANSON, philosophe naturaliste ; NOVERRE, maître de ballets ; Le comte de LAURAGUAIS-BRANCAS ; FAUJAS DE SAINT-FOND, naturaliste ; BEAUMARCHAIS ; Mme BEAUMARCHAIS ;

AVEC

Feu BÉLANGER, architecte du roi, etc., etc.,

PRÉCÉDÉE D’UNE PARTIE DE LA VIE DE SOPHIE ARNOULD, ÉCRITE PAR ELLE-MÊME ;

D’UNE NOTICE HISTORIQUE SUR CHACUN DES PERSONNAGES PRÉCÉDENS ;

D’UN FAC-SIMILÉ DE CHACUNE DE LEURS ÉCRITURES ;

ET ORNÉE DE TROIS PORTRAITS, AU NOMBRE DESQUELS SE TROUVE CELUI DE SOPHIE ARNOULD, DESSINÉ PAR BO IZOT.


La France, amusée dans son enfance par des hochets, bercée dans sa jeunesse par des prestiges de gloire, et parvenue enfin à la raison de l’âge mûr, s’est lassée de mensonges, d’illusions, de fables…

Au lieu de cela, que nous ont offert les mémoires contemporains ? l’esprit de parti, les animosités particulières, les préjugés, l’intérêt surtout, dénaturant, décolorant les faits, en publiant d’imaginaires…

Les lettres familières nous semblent plus particulièrement destinées à enrichir l’histoire de documents authentiques. Cet abandon de l’amitié, cette causerie de l’intimité, n’admettent ni faussetés ni détours, et comme l’on n’en soupçonne pas plus qu’on n’en redoute la publicité, les pensées les plus secrètes s’y trahissent, l’esprit et le cœur s’y montrent sans déguisement.

Les lettres que nous annonçons au public sont déjà recommandables, comme on le voit, par le nom des personnages qui les ont écrites, et dont nous possédons les originaux ; mais quand on apprendra qu’elles renferment tout ce qu’il y a de plus instructif à la fois, de plus original et de plus piquant ; quand on saura que la science, la politique, la littérature, y ont leur compte avec de nouveaux aperçus, quand on y verra le vieux philosophe Adanson, l’homme le plus scientifique et le plus profond qui fût jamais, s’enivrer des regards d’une Dervieux, et tourner le fuseau presque à ses pieds ; Noverre, déployer toutes les ressources de l’imagination la plus riche ; Mme Beaumarchais, effacer presque les Ninon et les Sévigné ; et cette brillante Sophie Arnould, parer tour à tour son style de tout ce que l’esprit a de folle gaieté, de tout ce que le cœur a de sentiments les plus exquis, révéler avec cet abandon séduisant toutes les petites indiscrétions du boudoir et nous initier aux mystères de l’alcôve, c’est alors surtout que nos lecteurs nous sauront gré de notre entreprise. 2 vol. in-8, 12 francs.

NOTA. — Cet ouvrage sera précédé d’une Correspondance de divers particuliers de distinction avec Bélanger, puis d’un Discours sur l’architecture et sur les arts en général par Bélanger, et de différentes lettres du même à divers personnages.

J’avais espéré découvrir dans les Papiers de Bélanger, acquis par le Musée de la Ville de Paris, à la vente Dubrunfaut, quelques nouvelles copies de lettres d’Adanson, de Noverre, de Beaumarchais, etc., donnant des détails circonstanciés sur la chanteuse ; mais, sauf quatre lignes d’une lettre de « l’ami Moyreau », je n’ai rien trouvé que les éléments d’une curieuse biographie de Bélanger, et des réflexions, des projets, des mémoires de l’amant de Sophie sur le goût, sur l’établissement d’échaudoirs, sur le prix du cuivre, sur les enterrements des condamnés révolutionnaires.

    EDMOND DE GONCOURT.
    Novembre 1884. 
  1. POULET-MALASSIS et DE BROISE, 1861. 1 vol. in-18.
  2. Addition à la préface de la première édition, publiée dans l’édition illustrée donnée par DENTU en 1877, petit in-4o.
  3. Addition à la préface de la première et de la deuxième édition, donnée dans l’édition publiée par G. CHARPENTIER en 1885.