Premières poésies (Évanturel)/Pastel

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Augustin Côté et Cie (p. 25-26).



PASTEL



ON peut voir, me dit-on, à Wexford, en Irlande,
Oublié dans le coin d’un musée, un pastel
Trop beau pour n’être pas de l’école flamande,
Représentant les murs décrépits d’un castel.

Le passé trop vieilli que le présent profane,
À ses créneaux brisés donne un cachet de deuil.
La mousse, le sainfoin, l’ortie et la bardane,
Seuls amis d’aujourd’hui, s’embrassent sur le seuil.


Tourelle en éteignoir par le couchant rougie,
Ogives et vieux ponts par les siècles rasés,
Prennent, à qui mieux mieux, des airs de nostalgie,
Comme aux jours d’autrefois leurs vieux barons blasés.

On croirait, en voyant le soleil disparaître,
Sous les grands peupliers qui bordent le chemin,
Qu’on va voir deux ou trois châtelaines paraître,
Revenant de la chasse un faucon sur la main.

Mais le rêve se perd. — Le castel en ruine
Passe devant nos yeux fatigués dès longtemps,
Comme le Juif-Errant qui se traîne et chemine,
En haillons, à travers les âges et le temps.