Premier péché/25

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Bal Blanc


Ah ! que c’est amusant le bal ! disait la blonde débutante, fine et gracieuse dans sa fraîche toilette. Le tulle vaporeux l’enveloppait comme d’un nuage, et dans le tourbillon des danses, ses petits pieds touchaient à peine le parquet. Emportée dans un rêve, elle ne savait plus, elle ne pensait plus, elle se laissait aller au doux bercement des phrases flatteuses qui, en retentissant pour la première fois à ses oreilles, troublaient délicieusement son cœur.

On lui avait dit qu’elle était charmante, on lui avait soufflé qu’elle était jolie et spirituelle, et à la troisième invitation, le beau danseur remarqué entre tous lui enveloppait une déclaration dans une de ces phrases banales, empruntées au vocabulaire des polichinelles de salon.

Rougissante, son petit cœur battant à tout rompre, trop émue pour parler, elle inclina sa blonde tête pour cacher l’incarnat des joues, pendant que dans son cœur se chantait une harmonie exquise.

Lui, souriait, flatté une fois de plus de l’habituel succès de ses mots troublants. Il s’amusait à les souffler à toutes les naïves fillettes qui, entrant dans la vie le sourire aux lèvres, l’âme illusionnée, tendent leurs oreilles roses pour toutes les belles phrases : jolies ignorantes qui sauront trop tôt le vide de ces cœurs sur lesquels leur grâce, jeune, est impuissante.

Une rose de son corsage tombe à ses pieds et lui, s’en emparant, la porte à ses lèvres, et la cache vite dans un calepin. Pauvre calepin, que d’étouffements de roses entre ses plis, soigneusement doublés de satin… petites mortes incinérées à la flamme du joyeux feu de cheminée. Et celle-là, ce soir même, ira se consumer pendant que la jolie enfant ébauchera son rêve de bonheur dans la chambrette bien close…

Le bal continue toujours. On cause à peine, on danse beaucoup, et la débutante emportant le dernier regard ému qui s’est fixé sur elle, se retire dans un coin sombre d’où elle peut regarder, bien tranquille, la foule brillante.

Elle se sent heureuse du bonheur rêvé, et comprimant son petit cœur, elle répète :

Oui, ce doit être cela, l’amour !

Elle veut le regarder, lui, souffrant déjà de le voir sourire à d’autres : cela lui semble un vol contre lequel toute son âme proteste. Il papillonne autour des beautés, distribuant ses sourires, répétant ses fadeurs, avec le même regard admiratif qui trouble les jeunes cervelles.

La pauvre le regardait encore lorsqu’elle le voit accepter une autre fleur détachée du bouquet d’une jolie amie, et après le traditionnel baiser, la mettre dans le même calepin…

Un cri monte à ses lèvres : elle le retient ; mais en son cœur un brisement se fait, et lentement, les yeux tristes, la lèvre désenchantée, elle murmure :

Oui, ce doit être cela, le monde !

Pauvre petite, la première illusion est déjà passée, et de cette minute la fillette a vécu, la femme lui survit : sérieuse et fine, méfiante des vains hommages et comprenant que l’amour vrai ne se déclare pas ainsi.

Cette désillusion lui ouvre les yeux. Elle comprend une foule de choses inconnues, elle devine maintes tromperies : elle pressent qu’aux roses il est des épines, et vivement la jeune fille se redresse.

C’est la lutte, eh ! bien, elle est prête, et son cœur brave et aimant n’est pas de ceux qui se donnent dans une minute, pour se reprendre dans l’autre. Elle se sent tous les dévouements, toutes les tendresses, et ce trésor-là sera gardé pour l’être digne de le recueillir.

Pauvre petite débutante, elle sourit maintenant, mais à la vraie fête, loin de ce bal où après trois tours de valse, elle a compris ce que certaines lèvres sèment de banalités, de mensonges inconscients et de douleurs voilées…