Premier recueil de diverses poésies tant du feu sieur de Sponde que des sieurs Du Perron, de Bertaud, de Porchères et autres, non encor imprimées, recueillies par Raphaël Du Petit Val, 1604/Stances/Tel estoit ce bel astre

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, François d'Arbaud de Porchères
Premier recueil de diverses poésiesImprimerie Du Petit Val (p. 19-21).

STANCES.

 

Tel estoit ce bel astre à son entree au monde
Et deslors qu'il sortoit de son tendre berçeau,
Clair au poind qu'on le veit autant que le flambeau
Qui luit le jour diffus, & la nuict dessous l'onde,

Ce feu sur le poignant de sa premier Aurore
Nous enbasmoit les champs du nectar de ses pleurs,
Et les champs repousseoient un doux printemps de fleurs,
Encore les pleurs couloyent, les fleurs croissoyent encore.

Les lis croissoyent sur tout, le lis que ce feu mesme
Regardoit d'un rayon si benin de ses yeux
Qu'on soupçonna deslors qu'il aimeroit bien mieux :
On voit de meilleur œil, tousjour ce que lon aime.

La mere des amours, à demy fletrissante
Veit reverdir son Myrrhe en toufeaux ombrageux :

Les palmes qu'elle donne aux Amans courageux
Enlasserent plus fort leur force renaissante.

Mais depuis que du temps la course coustumiere
Anima, de ce feu, les grillantes ardeurs,
Les corps ne sentoyent plus, du Soleil, que froideurs,
Et les ames brusloyent dessous ceste lumiere.

Le pauvre Amour, couvert d'un funebre nuage
Des rayons pallissans d'une fausse beauté,
Tout aussi tost qu'il veit brusler ceste clarté,
Esclata tout en lustre & changea de visage.

Il se leve, ravi de ces flammes nouvelles :
Voici, voici, dit-il, du secours à l'Amour,
Et pour luy faire honneur il volette alentour :
Mais il en fist la preuve & se brusla les aisles.

O presage asseuré, s'escria-t-il à l'heure,
Que ce flambeau si beau n'esclaire point en vain,
Et qu'il faut, en laissant un travail incertain,
Que ce repos certain me serve de demeure.

Je voy de toutes pars ma torche consumée
Jetter la cendre en terre et l'estincelle aux cieux :
Ce feu, ce feu, tout seul, peut rallumer mes feux :
Car tous les autres feux n'ont que de la fumee.

Deslors Amour perdit franchement sa franchise
Et de tous ces beaux champs en fist un beau desert,
Il maistrisoit n'aguere, & maintenant il sert,
Mais ce service là valloit bien sa maistrise.

Il met son arc, ses traits, es mains de la Deesse,
Pour un gage certain qu'elle l'avoit soustrait ;
Mais gardez vous, dit-il, gardez qu'un jour le trait
Duquel vous blesserez luy mesme ne vous blesse.

Elle les prend soudain d'aise toute ravie,
Se glisse dedans l'air où sont les demi-dieux,
Eslance tout d'un coup cent flesches de ses yeux
En frappe tout un monde, & leur oste la vie.


Les Nimphes d'alentour, comme elles l'apperceurent,
Se cacheront de honte aux ombrages des bois :
Mais elle, qui ne veit rien digne de ses loix,
S'en vint & leur osta la honte quelles eurent.

Cependant les beautez luy croissoyent davantage,
Et tous les poincts du jour forçoyent leurs actions
Pour achever le poinct de ses perfections,
Mais elle croissoit plus encore de courage.

Ainsi d'un haut dessein vivement animee,
Prend la fleche, qu'Amour luy mesme avoit preveu,
Tire à force, fend l'air & va dedans le feu
Où sa fleche luy fust tout d'un coup allumee,

A ce rencontre heureux la belle se sent prise,
Accolle sa beauté contre ceste grandeur,
Et trouvant sa ardeur pareille à sa grandeur,
Se baigne au beau succez d'une belle entreprise.

Amans, ces doubles feux que vous meslez ensemble
Ne sont que le pourtrait de ces deux feux jumeaux
Qui calment les courroux des bouillonnantes eaux,
Et rasseurent la nef des vents dont elle tremble.

Puissiez vous, tout ainsi que ces germaines flammes,
Survivre l'un à l'autre & jamais ne mourir,
Sans pouvoir tour à tour vous entresecourir
D'ames pour vos amours, & d'amour pour vos ames.