Pressé de désespoir, mes yeux flambants je dresse

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Et je me resouviens des célestes flambeaux,
Comme le lis vermeil de ma dame faict naistre
Un vermeillon pareil à l’aurore des Cieux.
 
Je voy mon lict qui tremble ainsi comme je fais,
Je voy trembler[1] mon ciel, le chaslit et la frange
Et les soupirs des vents passer en tremblottant ;
Mon esprit tremble ainsi et gemist soubs le fais
D’un amour plein de vent qui, muable, se change
Aux vouloirs d’un cerveau plus que l’air inconstant.

Puis quant je ne voy’ rien que mes yeux peussent voir,
Sans bastir là dessus les loix de mon martyre,
Je coulle dans le lict ma pensée et mes yeux ;
Ainsi puisque mon ame essaie à concevoir
Ma fin par tous moyens, j’attens et je désire
Mon corps en un tombeau, et mon esprit es Cieux.


III[2]

PRESSÉ de desespoir, mes yeux flambans, je dresse
A ma beauté cruelle et baisant par trois fois
Mon pongnard[3] nud, je l’offre aux mains de ma déesse,
Et laschant mes souspirs en ma tremblante voix,
Ces mots coupez je presse :

Belle, pour estanctier les flambeaux de ton ire,
Prens ce fer en tes mains pour m’en ouvrir le sein.
Puis mon cueur haletant hors de son lieu retire,
Et le pressant tout chault, estouffe en l’autre main
Sa vie et son martire.

Ha Dieu ! si pour la fin de ton yre ennemie
Ta main l’ensevelist, un sepulchre si beau
Sera le paradis de son ame ravie,
Le fera vivre heureux au milieu du tumbeau
D’une plus belle vie !
 
Mais elle faict sécher de fièvre[4] continue
Ma vie en languissant, et ne veult toutesfois.
De peur d’avoir pitié de celuy qu’elle tuë,
Rougir de mon sang chault l’ivoire de ses doitz
Et en troubler sa veuë.

Aveugle ! quelle mort est plus doulce que celle
De ses regards mortelz et durement gratieux[5]

Qui desrobent mon ame en une aise immortelle ; J’ayme donc mieux la mort sortant de ses beaux yeux Et plus longue et plus belle ![6]


IV

[7]

PLEUREZ avec moy, tendres fleurs,
Aportez, ormeaux, les rozées

  1. Var. Ms. Monmerqué. Je fay trembler…
  2. Cf. Ms. Tronchin, viii, fol. 48. — Ms. Monmerqué, p. 165.
  3. Lire : poignard.
  4. Var. Ms. Monmerqué : Sécher de rage.
  5. Var. Ms. Monmerqué :

    Aveugle que je suis, quelle mort est plus belle
    Qu’à coups de ses regards mortelTi et gracieux,
  6. Var. Ms. Monmerqué -.plus belle, plus cruelle.
  7. Tronchin, viii, fol. 64, r. - Monmerqué, p. iio.