Prime Jeunesse/06

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Calmann-Lévy (p. 34-36).
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VI

Je me souviens de ce beau soir d’été où elle me fit appeler pour assister à la répétition générale de sa toilette de mariée. Dans sa chambre, que les jasmins de nos murs emplissaient de la plus suave odeur, je la trouvai assise devant une glace et ajustant sa couronne, tandis que son voile, étendu sur les fauteuils bleus, faisait près d’elle comme un nuage. C’était l’époque où les crinolines, les cages d’acier avaient pris leurs proportions les plus extravagantes, et il me sembla qu’elle émergeait d’une véritable montgolfière de soie blanche. La fenêtre était grande ouverte, on entendait les martinets passer et repasser dans le ciel avec leurs cris de joie, et les mille petites cassolettes des jasmins nous envoyaient un fol excès de parfum.

Étant entré le même soir dans la chambre de ma mère, j’avisai sur une chaise un grand carton de modiste que je ne connaissais pas : « Je parie, maman, dis-je, que c’est ton chapeau pour le mariage ? — Tout juste, mon petit ! — Oh ! bonne mère, fais-le-moi voir ! » Ma mère dépensait sans doute très peu d’argent pour sa toilette, cependant son goût était si sûr, que tout ce qu’elle avait, même les choses les plus simples, charmait toujours. Je ne lui avais jamais connu que de jolis chapeaux, mais je restai en extase devant celui-ci qui me parut une merveilleuse trouvaille de couleurs. Il avait, bien entendu, la forme disgracieuse qui sévissait cette année-là, avec une « passe » très haute et un long « bavolet » ; mais il était en crêpe vert, d’un délicieux vert céladon très pâle, orné de paquets de roses saumon voilées d’une imperceptible gaze blanche et d’où s’échappaient des plumes, du même vert adorable que le chapeau lui-même… Naturellement j’exigeai qu’elle l’essayât, et je crois que je n’avais encore jamais vu ma bien-aimée maman aussi jolie que là-dessous, avec ses beaux yeux si fins, son visage régulier sans une ride, ses boucles presque sans un fil d’argent. Ce fut d’ailleurs la dernière image de ma mère vraiment jeune qui resta fixée dans ma mémoire.