Principes d’économie politique/II-1-I

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LIVRE II

LA PRODUCTION




PREMIÈRE PARTIE

LES FACTEURS DE LA PRODUCTION




En vertu d’une tradition consacrée depuis les premiers économistes, on a toujours distingué trois agents de la production : la terre, le travail et le capital. Cette division tripartite a l’avantage d’être commode pour la classification et il ne nous paraît pas qu’il y ait utilité à l’abandonner, du moins dans un livre élémentaire comme celui-ci.

Mais elle a besoin de quelques rectifications préliminaires. L’économie politique classique a toujours manifesté une tendance fâcheuse à mettre ces trois facteurs de la production sur pied d’égalité et il est certain qu’en cela elle a été influencée par l’idée préconçue de justifier les revendications de chacun d’eux (ou plutôt de ceux qui les représentent) dans la répartition éventuelle des produits en attribuant : — au travailleur, le salaire, — au propriétaire de la terre, la rente, — au propriétaire du capital, le profit.

Une semblable préoccupation doit être absolument écartée pour le moment. Nous n’avons à nous occuper ici que de la production. Or, à ce point de vue, il saute aux yeux que ces trois facteurs jouent des rôles très inégaux.

Des trois, le travail est le seul qui puisse prétendre au titre d’agent de la production dans le sens exact de ce mot. L’homme seul joue un rôle actif ; seul il prend l’initiative de toute opération productive.

La nature joue un rôle absolument passif, elle ne fait qu’obéir à la sollicitation de l’homme, le plus souvent même après de longues résistances. Pourtant, elle constitue un facteur indispensable de la production, toutes les fois du moins qu’il s’agit de richesses corporelles[1]. On peut même à bon droit l’appeler un facteur originaire de la production, car non seulement il est concomitant à l’action du travail, mais encore il lui est préexistant. L’activité de l’homme ne saurait s’exercer dans le vide ; elle ne procède pas par un fiat créateur ; elle doit trouver en dehors d’elle les matériaux indispensables et c’est précisément la nature qui les lui fournit.

Le troisième, le capital, non seulement ne joue qu’un rôle purement passif comme la nature et ne mérite en aucune façon le nom d’agent, mais même il ne saurait être qualifié comme celle-ci de facteur originaire. Il n’est qu’un facteur en sous-ordre qui, au point de vue logique comme au point de vue généalogique, dérive des deux autres. Le capital, comme nous le verrons d’une façon plus précise, est un produit du travail et de la nature mis à part pour la production. Le véritable nom qui lui convient est celui d’instrument, dans le sens large de ce mot.

  1. Quand il s’agit de produits immatériels ou de ce que nous appelons des services rendus (p. 52), il est clair que le travail de l’homme suffit : — à moins qu’on ne prétende, non sans quelque subtilité, comme certains économistes italiens, Mazzola notamment, que ces services eux-mêmes ne peuvent se transmettre que par l’intermédiaire d’agents naturels. Le chant d’une cantatrice, le conseil d’un médecin ne peuvent arriver à notre oreille, il est vrai, que par l’intermédiaire des vibrations sonores de l’air.